Dimanche 17 avril 2011 à 18:06

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Je t’ai attendu longtemps tu sais, dans cette gare inondée par le soleil. Enfin, je t’ai attendu jusqu’à ce qu’il soit temps de partir. Nous étions partis tôt, je n’avais pas eu le temps de te revoir. Alors je me suis dit que tu viendrais peut-être me rejoindre à la gare. Bien sûr, je n’y croyais pas vraiment –tout le monde est tellement pressé de nos jours - mais je me suis dit que pour moi tu arrêterais peut-être de courir, pour effacer le bleu de l’absence.
A la gare, j’attendais –le train ou toi, suivant celui qui arriverait le premier. Rien de pire que les voyages. C’est toujours la même chose : on court, on s’inquiète de manquer le train comme si c’était grave, on a toujours peut d’avoir oublié quelque chose et de fait on laisse toujours un peu de soi, car si on revient ça ne sera jamais pareil. Je déteste les voyages parce que je pars et que je ne te reverrai pas. Bientôt je ne penserai plus à toi : tu redeviendras un élément du voyage, un bibelot qui prendra la poussière avec les autres. Et c’est ça le plus triste. Ce sera comme si tu n’avais pas compté.
Si au moins tu étais venu à la gare, inquiet à l’idée de n’avoir manqué, décoiffé comme si tu tombais du lit, au moins nous aurions laissé une empreinte l’un sur l’autre. Tu m’aurais cherché des yeux, j’aurai levé d’un bond et je t’aurai prise dans mes bras brièvement en te demandant ce que tu faisais là, comme si je ne le savais pas. Tu aurais enserré ma taille, j’aurai fait comme si je ne m’en étais pas rendue compte, nous aurions échangé quelques mots, nos visages auraient manqué de se toucher. Ton étreinte se serait relâchée, nos mains se seraient enlacées, nous nous serions assis l’un à côté de l’autre. Peut-être même que j’aurai manqué mon train et ça n’aurait pas été important. Mais tu n’es pas venu.
D’ailleurs, peut-être que même si j’étais resté un peu plus longtemps, il ne se serait rien passé entre nous. Ou pire, une histoire tellement banale quel n’aurait rien à raconter, un souvenir qui s’efface. Peut-être que je ne te plaisais pas. Mais dans le bleu de l’absence, je t’ai attendu, juste au cas où. Bien sûr nous n’avions pas rendez-vous, nous n’aurons jamais rendez-vous. Mais c’était un doux rêve.
Je me fais vieille.

Dimanche 3 avril 2011 à 2:23

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Lorsque je l’ai rencontrée, c’est comme si une digue s’était brisée en moi. J’avais l’impression qu’un fil rouge nous reliait, depuis cette vie ou une autre. Mais je ne parvenais pas à déchiffrer son visage. J’aurai voulu passer quelques instants seul avec elle pour en avoir le cœur net, mais c’était une fête de famille : il y avait toujours quelqu’un.
J’ai pensé un instant me glisser dans sa chambre lorsque la musique se serait tue et les lumières éteintes (peut-être qu’elle n’attendait que ça, un geste romanesque, hardi et risqué… Moi, j’aurai aimé qu’elle le fasse), ça aurait été si simple, la maison où elle dormait était si proche de la mienne, je savais où était sa chambre... Mais je n’ai pas osé (peur d’être surpris, peur d’être rejeté, peur de ne pas être à la hauteur), de toute façon je suis sûr que ça aurait juste servi à lui faire peur.
Je ne savais comment la revoir, j’en étais à envisager de la réclamer lors d’une crise ou d’un accident quelconque, sur mon lit d’hôpital, le drame aurait compensé l’incongruité, au pire on aurait mis ça sur le compte de la fièvre et de la morphine et tant pis pour moi.
Etrangement, c’est elle qui m’a contactée, quelques mois après notre première rencontre : elle allait à un concert, elle voulait savoir si par le plus grand des hasards j’accepterai de l’héberger. Bien sûr, j’ai accepté. Avant de m’acheter un billet.
J’avais prévu mille scénarii pour qu’elle tombe dans mes bras avant les dernières notes : aucun ne s’est réalisé. Heureusement, il me restait le plan B : il n’y avait qu’un lit une place dans mon petit studio d’étudiant. Pourtant, en la voyant pelotonnée sous la couverture, j’étais sur le point de me dégonfler encore, de lui proposer de dormir par terre. Mais elle a tapoté le bord du matelas, je n’ai pas pu m’empêcher de m’allonger à ses côtés. Si près d’elle, son odeur m’enivrait, ses cheveux balayaient l’oreiller, tendus dans ma direction comme pour m’attirer.
J’ai maladroitement posé ma main sur son côté, ça a été comme un signal. Elle m’a attiré contre elle. Ses baisers me brûlaient. J’ai fini par lui avouer en chuchotant que je n’avais jamais connu une femme au sens biblique (à cause de ma maladie, celle qui pesait sur mes épaules depuis ma naissance, je ne m’étais jamais autorisé à m’attacher à une fille à ce point, et puis j’avais peur de ne pas y arriver, d’être à bout de souffle en quelques instants, moi qui avais du mal à monter une pente sans perdre haleine). Elle a suspendu ses mouvements et m’a jaugé pendant un instant du regard. Je me suis dit que j’avais tout gâché, que tout était fini. Mais elle a soupiré, comme quand on s’apprête à accomplir une lourde tâche, avant de poser ses lèvres sur les miennes à nouveau.
Je ne savais pas ce qu’elle attendait de cette relation, je n’osais pas lui demander. Après tout, j’étais peut-être le seul à me sentir attiré par elle comme si elle était mon double. Alors j’ai commencé à lui parler de ma maladie, comme pour lui dire à quoi s’attendre. Au bout de quelques phrases, elle m’a fait signe de me taire. J’ai eu peur qu’elle me dise que ça lui était égal, que maintenant elle voulait dormir. Elle a dit « On a le temps pour y penser. De toute façon, on se battra ensemble. ».
C’était ma première. Et quand je repense à ses paroles, à ses airs de sirène égarée ce soir-là, ses cheveux moites qui ruisselaient le long du bras sur lequel elle était appuyée, ses jambes qui se perdaient dans les plis de la couette, ses yeux aigue-marine, intenses… Je me dis que ce sera aussi la dernière.

Mercredi 16 mars 2011 à 21:29

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Plutôt discrète, le premier souvenir que j’ai d’elle, c’est un sourire léger, l’air de dire « je suis charmante mais je suis timide alors laissez-moi tranquille. ». Pas le genre de filles qui marque les esprits.
Je l’ai revue plusieurs fois, malgré la distance entre nos deux domiciles, et à sa manière de poser sa main sur mon bras lorsqu’elle me disait bonjour, à son visage toujours énigmatique qu’elle tournait souvent vers moi, je me suis dit qu’elle ferait une conquête acceptable.
Je me suis bientôt trouvé seul avec elle, je suppose qu’elle n’attendait que ça, elle était tendue comme une souris qui se sait observée par le chat. J’ai caressé sa joue et j’ai posé mes lèvres sur les siennes, tout simplement. Elle s’est laissée faire un instant, comme pour dire « ne t’arrête pas » et elle a eu un mouvement de recul en disant à voix basse qu’elle voyait quelqu’un.  Mais ses yeux me disaient « dis-moi que cela ne compte pas » alors j’ai décidé de passer outre et on a passé un petit moment à s’embrasser, puis elle a préféré rejoindre les autres. Je suppose qu’elle ne voulait pas que cela paraisse suspect, mais à mon sens ses joues rouges et ses yeux fuyants l’étaient plus encore, mais allez raisonner une femme qui rougit.

Je ne pensais pas la voir avant longtemps mais étrangement elle me manquait alors j’ai pris le train pour Paris, sans prévenir. Elle a paru surprise de m’entendre au téléphone mais elle m’a proposé un rendez-vous, tout simplement.
En la voyant… je suppose qu’il y a des coups de foudre à retardement. Je sentais soudain nos destins liés l’un à l’autre, je suppose qu’elle l’avait éprouvé bien avant moi. On a parlé pendant des heures.
Comme je n’avais nulle part où aller, elle m’a invitée chez elle, naturellement.
Elle a établi un code de choses qu’on pouvait faire et pas faire, parce que « je vais sans doute te paraitre hypocrite mais j’aurai trop mauvaise conscience d’aller plus loin pour l’instant. ». Elle m’a demandé qu’on garde le contact, qu’on fasse connaissance, avant de décider de ce qu’on –surtout elle- allait faire.
Avant de la rencontrer, je ne pensais pas faire ma vie avec quelqu’un, je ne voulais imposer mon agonie prématurée à personne. Mais j’ai appris qu’il y avait au moins une femme assez forte pour surmonter ça. Et pourtant, elle paraissait si désemparée parfois, lorsqu’elle repoussait encore le moment de renoncer à lui, de renoncer à moi…

j’ai découvert en elle un double, une oreille infatigable au bout du fil. Nos vies étaient divisées entre Paris et Toulouse, son appart et le mien, le bonheur à temps partiel au parfum de fruit défendu. Bien sûr que j’étais jaloux. Mais je savais que c’était le prix à payer.
Un jour, je n’ai pas pu m’en empêcher, j’ai brisé l’accord tacite entre elle et moi, j’ai demandé des nouvelles de l’autre, l’air dégagé mais la gorge chargée de fiel. Elle a tourné vers moi ses yeux de faon.
« - Mais on s’est séparé il y a des semaines, tu ne le savais pas ?
- Tu ne m’as rien dit. Alors, tu vois quelqu’un d’autre ? »
Elle a posé ses mains sur les miennes et elle m’a répondu d’un air doux « mais enfin, c’est toi que je vois, ce sera toujours toi ». Alors, je lui ai demandé presque malgré moi si elle voulait m’épouser. Et elle a dit oui, tout simplement.

Mercredi 9 mars 2011 à 23:20

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Avec elle, tout semblait plus facile. Je n’avais pas à être malade, je n’étais plus cette chose fragile que mes proches s’efforçaient de préserver. Elle ne voulait jamais en parler, elle s’efforçait juste de faire attention, je suppose, en prenant soin de ne jamais fumer en ma présence ou en augmentant le thermostat des radiateurs. Parfois, ça me rendait triste, parce qu’il y avait tout ce pan de ma vie, plein d’aiguilles et de médecins, qu’elle ne semblait ne pas voir, qu’elle refusait de voir. Je crois qu’elle voulait que je me sente normal. Et la plupart du temps, ça marchait. Mais parfois, j’avais l’impression qu’elle ne me voyait pas du tout.
Elle m’avait prévenue qu’elle ne serait jamais tout à moi, qu’il y a avait ce travail qui comptait beaucoup pour elle. Je voulais qu’elle me voit, moi.
Alors un jour, je ne sais pas pourquoi celui-là plutôt qu’un autre, j’ai essayé de mobiliser son attention. Voir si j’étais toujours sa priorité. Si elle m’aimait toujours ou si je n’étais qu’un animal familier un peu encombrant auquel elle s’était accoutumée. J’étais heureux qu’elle me traite comme un homme alors j’ai simulé la faiblesse pour qu’elle me materne, je faisais des caprices et des chatteries.
Elle n’était pas du genre à se faire avoir : elle a marché une fois, deux fois, et puis elle a dit « la prochaine fois, appelle ta mère, moi je ne marche plus ». Bien sûr, je pensais qu’elle continuerait à voler à mon secours. C’est pour ça que les couples sont faits, non ?
Je l’ai réveillée en pleine nuit, haletant, je lui ai demandé un comprimé quelconque qui devait être dans la l’armoire à pharmacie, comme si j’étais trop faible pour ramper jusque-là.
Elle s’est levé et a mis le téléphone dans mes mains, avant de fourrer quelques affaires dans un sac, je l’ai vue sortir de la chambre sans comprendre. Ce n’est qu’en entendant le ronron de son scooter que j’ai compris qu’elle s’en allait mais il était trop tard pour la retenir. Je pensais qu’elle avait juste besoin de manifester son indépendance, un dossier à boucler à son travail et elle reviendrait. Trois semaines plus tard, elle ne répondait toujours pas au téléphone.
Peu après, j’ai eu une crise et j’ai passé quelques jours à l’hôpital, en observation. A mon réveil, elle était là, tout simplement, sur un fauteuil à côté du lit. Elle n’avait jamais voulu m’accompagner.
Devant mon air surpris, elle a levé les sourcils d’un air dépité. « Tu as vraiment cru que je te laisserai tomber ? » m’a-t-elle demandé.
J’aurai dû me rappeler qu’elle déteste qu’on touche à son sommeil, asphyxie ou pas.

Dimanche 6 mars 2011 à 17:41

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Ça faisait longtemps que je n’étais pas rentrée chez moi. C’est vrai que ce n’est plus vraiment chez moi, mais j’ai toujours les clefs, alors…
Le mobilier de l’entrée n’a pas changé, il faut dire que Félix n’est pas du genre à faire des folies dans la décoration, je me souviens que lorsqu’on avait emménagé je m’étais chargée de tout. Il y a encore des photos de moi sur la cheminée, c’est vrai qu’il voulait que je revienne mais moi j’ai toujours peur qu’on me coupe les ailes.
Je ne peux pas m’empêcher de fureter un peu, rien n’a vraiment changé, à part quelques télévisions, plus neuves plus grandes et plus plates, disséminées dans la maison (Quand le chat n’est plus là les souris dansent) et jusque dans la chambre pour relayer le tumulte. D’ailleurs mes affaires sont toujours dans l’armoire, c’est vrai que j’avais pris l’essentiel mais je pensais qu’il jetterait le reste dans un débarras quelconque, dans des cartons au grenier. Les coins à bazar, ça a toujours été ma spécialité et il n’est pas un maniaque non plus, alors…
J’ai envie de laisser une trace de mon passage, un souvenir de nous négligemment jeté en travers du lit, comme cette chemise qu’il m’avait offerte après que j’ai tragiquement renversé une glace sur celle que je portais. Italie, Venise. Lune de miel. Mais ce serait sans doute cruel. Après tout, c’est moi qui suis partie, en laissant derrière moi ces mots tranchants comme du verre brisé, ceux qu’on dit quand on quitte quelqu’un qu’on aime encore, pour faire place nette. On se dit qu’en coupant au scalpel, ça cicatrisera plus vite. Mais on dirait que Félix n’a jamais cicatrisé (je suppose que si j’avais vraiment voulu partir, je n’aurai gardé ni les clefs ni la bague, j’aurai fait place nette dans les tiroirs mais je ne pouvais pas me résoudre à partir sans laisser un ancrage pour remonter jusqu’à lui. Cette histoire me dévorait.).
C’est bizarre, dans la boîte à bijoux il y a des bagues et des colliers que je ne reconnais pas. Comme s’il avait continué à m’en offrir après mon départ, et que faute de pouvoir me les donner il les avait offert à ma cassette. Mais je dois me tromper.
J’entends du bruit en bas, il doit être rentré. Je ne peux pas m’enfuir comme une voleuse mais je n’ai pas vraiment le droit non plus d’être ici. Les clefs, c’est tout ce qu’il me reste. Surtout, je n’ai pas envie de le croiser. Je ne sais pas ce que ça pourrait donner. J’étais juste venue prendre des nouvelles de son état, de la maladie qui le ronge, parce que je m’inquiète toujours pour lui, malgré tout (ses amis auraient cafté, il faut toujours que je fasse tout toute seule). Un grand amour, ça ne s’oublie pas. En plus, je suis au premier étage. Je connais assez cette maison pour savoir que faire le mur, c’est mission impossible. Je l’entends qui s’agite dans la cuisine, c’est vrai que c’est l’heure du dîner. Avec un peu de chance le bruit des casseroles couvrira celui des marches en chêne.
J’arrive en bas de l’escalier, il m’attend dans l’encadrement, armé d’une poêle menaçante. Il n’a pas l’air surpris de me voir là, il ne manifeste aucune émotion. Un sourire doux et un peu las flotte sur ses lèvres, le sourire qu’on a quand on retrouve un vieil ami, assorti d’une pointe de résignation, comme pour dire « tu ne partiras donc jamais ? ». Il me demande d’une voix calme « tu restes pour dîner ? », comme s’il ne doutait pas que j’accepterai. Je crois que je vais rester encore un peu. Peut-être jusqu’à la fin.

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