Dimanche 19 avril 2009 à 22:55

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Il me prenait par la manche et me demandais « tu veux vraiment mourir ? » encore et encore. Et moi je riais en allumant une cigarette. Je regardais autour de moi, j’essayais de ne pas perdre une miette de toute cette grâce, il y avait dans l’air ce parfum un peu coupable de calme avant la tempête. Parfois, je me laissais bercer par le souffle innocent de la mi nuit, lorsque rien n’ose encore se mouvoir de peur de briser cet accord chimérique. Mais il y a toujours un détail pour faire voler l’illusion du miroir. J’aime la brume, le déluge, tout ce qui m’accable de cécité, pourvu que je n’ai plus à regarder ce que l’empire humain tout entier tendu vers cet ultime but : réduire la Terre à un tas de galets que l’océan emportera par lassitude.
Cette harmonie bandé comme prête à se rompre, je la guettais, je désirais la faire mienne, afin d’omettre le monde un instant, mais le monde était toujours là, lancinant, comme un roulement de tambour qui jamais ne prend fin, j’en serai morte par langueur si je n’avais fomenté ce projet absurde : ma vie contre une autre. Ma vie pour sauver un être vivant.
Cela n’a pas été si simple de laisser mes prétentions derrière moi, mon confort ouaté… à présent je suis prête. Je n’ai qu’à presser la gâchette.
Nous avons distillé notre ciguë jusque dans le cœur de la planète. La seule chose qu’il me reste à faire pour ne plus avoir honte d’être humaine, d’être complice du carnage, de cette barbarie cannibale, c’est d’offrir ma vie. Une vie pour rien, peut-être. Mais une vie brûlante.

Dimanche 19 avril 2009 à 22:35

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Ils étaient trois, parce que parfois il faut être trois pour accomplir de grandes choses. Cette femme toujours un peu ivre, ce docteur et cette enfant des rues bien sûr. Elle avait la peau brûlante comme le poison.
Ils savaient bien que je ne voulais pas mourir, je leur avais dit encore et encore…
La femme m’a prit la main, elle disait « nous sommes des assassins. Nous allons tout arranger. ». ils voulaient réparer le monde et le seul moyen qu’ils ont trouvé, c’est détruire, encore et encore. Le feu du chaos battait dans leurs veines, vous auriez dû voir leurs yeux, c’était de la lave en fusion, rouge rouge rouge, à chaque battement de leurs cœurs mutilés elle se mouvait, elle serpentait derrière leurs pupilles. Ils avaient cela en eux… ce brasier.
Qui a allumé cet incendie glacé ? Il n’y avait plus rien d’humain en eux, plus rien, ils étaient réduits à des gestes mécaniques, comme s’ils se raccrochaient aux derniers lambeaux de ce qu’ils avaient pu être avant d’être consumés par la haine, la femme était morte depuis longtemps déjà et elle buvait et buvait mais le docteur, il sauvait des vies aujourd’hui encore il oscule machinalement les cadavres qui constellent sa route, le précède comme un tapis de glace et l’enfant fume, pille, brise, comme pour reprendre les droits auxquels elle a renoncé, comme pour demander à ce qu’on la regarde, personne ne regarde jamais.
Que sont-ils devenus ?
Et je leur disais, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir, je savais qu’ils pouvaient me sauver, ils avaient cet antidote, c’est ainsi qu’ils se préservaient, et l’enfant m’a souri, a pressé son front contre le mien, elle m’a avoué son amour et sur ce triste sourire ils ont disparu, personne ne comprend, personne ne sait qui ils sont, personne ne sait qui ils sont, ils aiment à dire qu’ils ne sont personne, mais moi je sais, je sais que cette femme a aimé à en mourir, je sais que ce docteur a laissé mourir ses propres enfants pour venir en aide à tous ces étrangers, je sais que cette fille m’avait au fond des ténèbres du monde de la rue, des gangs, des coups, des vols ; je sais qu’ils n’étaient pas seuls mais qu’ils ont tout laissé derrière eux. J’ai vu dans leurs yeux tout leur dégoût. Pour ce qu’ils sont. Pour les humains. Pour le monde entier. Ils n’ont trouvé mieux que tout détruire.
Ils m’avaient promis un dernier lever de soleil, il me reste au moins ça, je me surprends à rêver qu’elle me rejoindra pour le contempler avec moi. Un lever de soleil, c’est tout ce qu’il me reste. Et déjà voilà l’aube, au loin sur une plaine herbeuse qui a survécu loin des hommes, cette gelée blanche, cette rosée qui a prit froid avant le lever du jour, et je me souviens comme j’aimais la neige, autrefois, le soir de Noël, de ces moments qui vous font oublier le monde autour, où l’on peut juste être heureux en oubliant le reste, et je pensais à elle, à cette enfant, autour d’un brasero précaire, dehors le soir de Noël, avec quelques compagnons d’infortune et parfois même seule sous la neige qui brûlait sa peau, qui marquait sa chair, et je pouvais l’oublier, ce poids énorme, cette rose de plomb dans mon cœur, car elle l’avait choisi.
Voilà ce qu’ils étaient : les fous, les révoltés. Ils ont voulu détruire le monde, se sont nourri de l’énergie du Chaos, encore et encore. Et voilà.
Dieux, j’avais oublié combien l’aurore était belle. Avons-nous pu recréer en culture cette délicatesse, comme nous avons tenté de le faire avec tout le reste ? Maintenant c’est la neige, mon Dieu c’est peut-être Noël aujourd’hui, je vais mourir et cela n’a peut-être plus d’importance. Je voudrais que cette jeune fille, Charlotte, soit auprès de moi : elle est trop occupée à déchirer le monde, comme un vieux décor de papier. Elle voulait contempler l’Absolu en face et je crois qu’à présent il est derrière ses pupilles.
Je n’approuve pas ce qu’ils ont fait, cette femme en cendres (il paraît qu’elle a réduit une clinique de chirurgie esthétique en gravas, autrefois. Pour le geste.), ce docteur qui a vu tant de morts que la mort est devenue une part de lui et cette gamine écorchée que j’ai aimé, par intermittences, mais je peux comprendre.  Le monde était cassé, il est cassé depuis longtemps, et en voyant cette aube flamboyante, l’aurore aux doigts de fées, je me dis après tout, peu importe ? Ce n’est peut-être pas si mal, après tout. Ce n’est peut-être pas si mal.

Dimanche 19 avril 2009 à 14:35

Seule comptait alors la pluie qui s'écoulait goutte à goutte sur les manèges abandonnés des enfants, ces monstres tristes dont les grincements ne sont plus couverts par les rires des enfants. Comment faire lorsque le monde s'effondre ?
Enfin je suis seule, les derniers cadavres se brisaient au loin sur les trottoirs, la civilisation, ça me donne la nausée. Personne ne viendrait me rejoindre ici, c'est ma punition. C'est bien.
Les balançoires tremblent encore, le vent, les fantômes hantent ce lieu à jamais inutile, les enfants ne viendront plus, et qu'est-ce que c'était beau un enfant qui riait. C'est pour eux que je l'ai fait.
J'étais aux côtés de quelques uns de mes amis agonisants, je leur devais bien ça, c'est ma punition, et il me semblait discerner dans leurs yeux dilatés par la douleur ce soulagement, jamais ils n'auront à affronter l'âge adulte, ses désillusions, sa lâcheté, ses massacres.
Déjà leurs visages s'effacent, lorsque je serai partie qu'en restera-t-il ?
Autour de moi les vautours, ils viennent nettoyer les lambeaux de mon massacre. Je les aime bien. À les voir je me sens moins seule.
Parfois je regrette. Même Dieu a laissé l'espérance du doute à l'humain. Comme il a dû regretter. Moi, je le regrette. Parfois je me prends pour Son instrument, la conséquence logique et monstrueuse d'un monde déréglé. C'est bien l'humanité qui m'a faite telle que je suis, telle que ce j'ai fait.
Parfois ton visage m'apparait par vague, mon bel amour, ma première victime. Tu ne méritais pas de voir la mort de tous les autres. Tu ne méritais pas de voir ma tendre survie, ma chaleureuse inhumanité, cet assassin au cœur pur. Tu es beau. Qu'en reste-t-il ? Je sais que ta raison aussi se heurtait à ce scandale quotidien, je sais que toi aussi tu rêvais de tout détruire. Comment pourrait-il en être autrement, ma moitié arrachée à mon sein, mon cadavre désarticulé. C'est pour toi que je l'ai fait.
À présent je suis seule, c'est ma punition. Je conjecture, quel animal prendra notre place ? Les vautours me tournent autour, ils se demandent quand je leur servirai de déjeuner. J'essaye de les apprivoiser, sympathiser avec un animal, c'est bien tout ce qui me reste.
Parfois, j'espère mourir bientôt, d'un virus quelconque ou d'un prédateur. Parfois, je pense à toi. C'est bien.

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Jeudi 16 avril 2009 à 23:03

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Entre les murs de son ennui, entre amour et le reste, elle descendait d’une barque échouée sur le sable, une lanterne à la main. Elle était toujours un peu ivre, elle aimait se perdre disait-elle, elle se noyait encore et encore, rêvait de ne plus rejoindre la surface. Sa démarche chaloupée… Elle riait fort, faisait perdre la tête aux hommes sur son passage, mais c’était non, toujours non. Elle aimait s’étendre sur le sable, esquisser des anges sur la plage encore frileuse au petit matin tandis que tout flambe.
Elle était déesse des ombres, on se réunissait autour d’un brasier de Saint Jean qu’elle dressait au large du ressac, alors elle souriait et les autres l’oubliaient, blottis dans leur propre inconsistance.
Elle aimait voir Artémis brûler, entre chiens et loups, alors que nous étions tapis à l’abri du jour et de ses assassins, elle me confia, entre deux larmes, « J’aime. » Je lui pris les mains « C’est formidable ! ». Elle me regarda, le poison semblait se dissoudre dans ses veines et elle me dit avec un sourire qui aujourd’hui encore fait frissonner ma chair - il est gravé en moi et me consume encore – « Non. Non, ça ne l’est pas. » et il fallait voir ses larmes se perdre dans son sourire chargé de toute la tristesse du monde.
Elle manqua de mourir de douleur mais elle perdit son âme, damnée gagnant le repos éternel.

Mardi 14 avril 2009 à 11:24

http://melancholic.cowblog.fr/images/VirginSuicide14.jpgUne odeur d’herbe fraîchement coupée, j’adore cette fragrance, cet été froid comme une planche courbe. Le soleil n’est pas encore là. Un parfum de nostalgie, de jamais plus, d’insouciance. Souvent à l’approche des grandes chaleurs et du temps qui s’étend à ne plus savoir qu’en faire me reviennent ces images éthérées, ces sensations douces-amères, ces illuminations semblables à aucunes autres… Je parcours ces vieilles pages, symbole des jours éteints, des échos comme des fantômes de ce que je ressentais alors… Même la lumière semble différente. Le temps se perd, il n’y aura jamais de fin ; rien ne presse… Aujourd’hui ou peut-être demain… Allongée dans l’herbe d’un vert insoutenable, épaisse et moelleuse, assise à la terrasse d’un café près d’une fontaine qui ruisselle malgré la chaleur feutrée, une tasse fumante qui exhale l’arôme onctueux de café fraîchement moulu le soleil inonde la rue ce défilé incessant il n’y a personne pour moi…
Fuir ailleurs afin d’être totalement étrangère, en dehors du monde…
Du temps volé, une bulle d’oubli, ici ou ailleurs. Sucré amer, il aura toujours le goût des souvenirs, du mensonge et de la finitude et le temps nous rattrape toujours…
Jamais plus, jamais plus…

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