Il me prenait par la manche et me demandais « tu veux vraiment mourir ? » encore et encore. Et moi je riais en allumant une cigarette. Je regardais autour de moi, j’essayais de ne pas perdre une miette de toute cette grâce, il y avait dans l’air ce parfum un peu coupable de calme avant la tempête. Parfois, je me laissais bercer par le souffle innocent de la mi nuit, lorsque rien n’ose encore se mouvoir de peur de briser cet accord chimérique. Mais il y a toujours un détail pour faire voler l’illusion du miroir. J’aime la brume, le déluge, tout ce qui m’accable de cécité, pourvu que je n’ai plus à regarder ce que l’empire humain tout entier tendu vers cet ultime but : réduire la Terre à un tas de galets que l’océan emportera par lassitude.
Cette harmonie bandé comme prête à se rompre, je la guettais, je désirais la faire mienne, afin d’omettre le monde un instant, mais le monde était toujours là, lancinant, comme un roulement de tambour qui jamais ne prend fin, j’en serai morte par langueur si je n’avais fomenté ce projet absurde : ma vie contre une autre. Ma vie pour sauver un être vivant.
Cela n’a pas été si simple de laisser mes prétentions derrière moi, mon confort ouaté… à présent je suis prête. Je n’ai qu’à presser la gâchette.
Nous avons distillé notre ciguë jusque dans le cœur de la planète. La seule chose qu’il me reste à faire pour ne plus avoir honte d’être humaine, d’être complice du carnage, de cette barbarie cannibale, c’est d’offrir ma vie. Une vie pour rien, peut-être. Mais une vie brûlante.