Ça y est, je suis perdue au sein de ce grand bosquet dont les arbres semblent autant de barreaux à ma prison. Je voudrais juste qu'on me laisse sortir.
Je ne cours plus, je n'appelle plus à l'aide. Il n'y a personne qui m'attend, dehors. Il n'y a personne qui m'attend nulle part.
J'ai abandonné mes chaussures trop usées, avec ma fierté et mes derniers lambeaux d'espoir au bord d'un sentier. Le Diable m'emporte.
Je n'ai plus peur, je n'ai plus mal, mes pieds sont en sang, et j'aurais sans doute très faim si j'étais vivante. Il y a des choses sur lesquelles on ne fonde pas trop d'illusion.
Je connais Brocéliandre, je sais qu'elle ne me laissera pas mourir avant de me savoir totalement broyée. Et les sirènes au bord du lac.
Brocéliandre attend que j'abandonne la lutte, que je me rende à elle. Elle me tuera de mes propres mains.
C'est le jeu, c'est la règle de ce jeu de massacre où les candidats tirent à vue et finissent pendus à une branche.
Triste victoire que la mienne.
Je ne cherche plus à sortir, je ne cherche plus le Nord, je sais que les arbres marchent lorsque je leur tourne le dos.
La forêt met des racines sous mes pas pour que je trébuche. Pure provocation.
De toute façon je n'ai jamais demandé à vivre, et toutes les fois où j'ai été heureuse ne m'ont pas abrutie au point que j'oublie que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
De toute façon, ma vie dehors n'avait aucun sens. Mourir est encore la meilleure chose qui peut m'arriver dans ma petite existence sordide.
Vous semblez toujours choqué lorsque vous apprenez que quelqu'un a tenté de mettre fin à ses jours, comme si la mort était l'ultime tabou, pire que l'inceste et le viol, pire que le crime et le viol. Et si je vous disais que il y a bien longtemps que j'ai envie de crever ? Que même si je ne tenterais pas de mettre fin à mes jours si la mort se présente je ne fuirais pas en courant ? Que pour moi il n'y a rien de plus naturel que de vouloir mourir, c'est quand cette pensée me quitte que je m'inquiète. Faire des projets, s'accrocher à des rêves ne change rien.
Être heureuse ne change rien.
J'attends d'appuyer sur le bouton stop.
Sinon je ne me serais jamais engagée dans ce jeu de dupes. Brocéliandre ne me laissera pas perdre si facilement. Divertissement devant les cadavres.
Trop trop trop... Toujours des questions, jamais des réponses, donner le meilleur de soi-même pour servir les autres, un cran de l'engrenage, n'être qu'une carpette qui ne mérite que d'être écrasée, il n'y a pas de mérite personnel car le mérite n'existe pas. Mériter quoi ? Mériter le droit de crever, ça ne vous inquiétez pas on y a tous droit. Les humains vraiment bons n'existent pas, ils sont tellement rares qu'on les appelle des anges, de toute façon nous sommes trop rationnels pour être désintéressé, la vocation n'existe pas, la seule vocation que peut avoir un humain ici-bas, c'est de survivre et de s'assurer une petite place au milieu du fumier.
Et cette petite boule de chiffon sale au fond de nous, qu'on tente d'enterrer de peur que les autres la voient, mais je sens son odeur nauséabonde d'ici.
Vous pouvez toujours fuir, me raconter combien vous êtes vertueux et trainer à même le sol votre ego devant moi comme pour vous élever, je vous connais.
J'ai lu les augures dans vos tripes encore chaudes, je les ai ensanglanté de la pointe de mon couteau.
Tous les humains sont laids, tous les humains ont des pensées qui empestent, et vous pourrez toujours me dire que s'élever c'est justement lutter contre, tenter de s'élever...
Ne me faites pas rire. Il n'y a rien où l'on puisse s'élever, le seul paradis auquel on est encore accès est artificiel, en attendant il y a l'Enfer. Rien d'autre.
À tout prendre, entre vous et moi, je préfère encore Brocéliandre et ses jeux malsains.
De toute façon je vais mourir, maintenant ou plus tard, Brocéliandre aura raison de moi et c'est aussi bien ainsi, maintenant déjà...
Crise de panique, un genou à terre et l'air qui refuse de rentrer dans mes poumons, encore un artifice de cette forêt perverse, à notre image.
Mourir m'a toujours semblé un projet d'avenir admirable.
Je voudrais rentrer... Je voudrais juste que tout s'arrête...
Je n'en peux plus, il ne se passe pas un jour sans que j'ai envie d'appuyer sur Game Over. La forêt gagnera, même dans trois milliards d'années je ne serai pas à même de la mettre échec et mat.
Je n'en peux plus, je n'en peux vraiment plus.
Je suis prisonnière, les murs se rapprochent et je n'ai rien pour entraver leur mortelle étreinte, si jamais leur mouvement se suspend un instant et même me laissent un peu d'air, c'est juste pour tromper ma vigilance et hâter mon trépas.
Je ne suis plus rien, rien qu'un humain qui agonise, rien qu'un humain qui n'appelle plus au secours parce que personne ne viendra, rien qu'un humain qui perd pied et se laisse happer par les abysses sans que personne n'y prenne garde car de toute façon la mort n'intéresse personne, rien qu'un être humain qui se noie dans le palais de l'Atlantide.
Je ne suis qu'une goutte d'eau dans cet océan de larmes, et bientôt je serais un arbre de cette forêt, un bouleau frêle sur lesquels les gamins graveront « nique ta mère » car les gamins ne savent plus rien dire d'autres.
Je serais un noisetier à l'agonie, à l'image de ma vie.
Je serais une haie de ronces. Je voulais juste m'en sortir.
(Rédigé en mode "insomniaque, vu décal. horaire !)