Lundi 25 octobre 2010 à 23:46

http://grandquebec.com/upl-files/papillon_bleu.JPG

Se laisser surprendre par la beauté d’une rue anonyme, un jour d’automne. Le soleil baigne le carrefour, croisé au détour d’une promenade, lui seul parvient à conférer cette beauté à cette route qui devient ruelle intime. La saveur acidulée des vacances de la Toussaint, du temps sans contrainte, si rare. Leur brièveté leur donne la douceur des ailes de papillon. Rien ne presse, pour une fois, alors on s’immobilise sur le trottoir et on contemple ce croisement en marge de la ville, comme une route de village qui se serait égarée. Il n’y a presque personne, c’est si rare, on pourrait presque se croire en été, dans une rue familière et aimée, quelques arbres parachèvent l’illusion. Mais il faut bien rentrer.

Mardi 21 septembre 2010 à 17:32

http://melancholic.cowblog.fr/images/amazingdarkfantasyartillustrationphotoedit1d33f1453be049e2f1644c7a3a94e735hlarge.jpg

Je fais des rêves et ces rêves me construisent. Peu à peu les images aléatoires et surannées, fragiles comme des toiles d’araignée que le réveil déchire, s’impriment en moi et me transforment.
À chaque fois que je la regarde, je pense au rêve et l’atmosphère devient plus moite, plus confinée. Je repense au rêve et à la fraicheur des draps sur lesquels nous étions étendues côte à côte, à son sourire un peu gêné (elle me tenait la main devant ses amies), à sa jupe un peu froissée (le rêve était une fête, le rêve était une fièvre). Le rêve efface l’instant et je la désire à nouveau, moi qui n’avais jamais désiré une femme.
Je n’ose pas lui en parler, ça lui ferait peur. De toute façon, ce rêve m’appartient, il est gravé dans ma chair. Je la regarde et je savoure d’un œil neuf sa grâce discrète, son charme retenu. Qui parle, le rêve ou moi ? Dans les rêves, tout est tellement plus intense, débarrassé de pensées intermittentes. Le rêve parasite mes réflexions et mes goûts, il fait de moi une créature chimérique, je ne sais plus si ces images sont des souvenirs ou des mensonges. Les rêves font tellement plus vrais.
Ce soir, je rêverai de quelqu’un d’autre.

Vendredi 10 septembre 2010 à 21:07

http://melancholic.cowblog.fr/images/juliaelbyvuda.jpg

Assis l’un à côté de l’autre, le silence oscille, hésitant ; nous partageons une cigarette, un instant de répit. Il ne me regarde pas, je ne suis qu’un masque anonyme, posé là par hasard, je sais qu’il m’identifie plus qu’il ne me reconnait.
J’aimerai me déverser en lui, lui graver toutes mes pensées, tous mes soupirs sur la peau pour qu’enfin il m’offre un sourire. Je l’empoignerai, lui ferai face et il ne pourra faire autrement que de me regarder. Sans regard, le masque n’existe pas.
On prendrait un train pour aller nulle part, on deviendrait intimes, complémentaires. Il y aurait une étincelle et je ne serai plus obligée de dire des insanités pour peupler le silence, c’est le rôle qu’on m’a attribué. Il devrait m’embrasser, comme une évidence. Il devrait en être ainsi car le masque n’existe que dans l’amour des autres.
Je déteste lorsqu’il me rejoint dehors, l’air un peu las, comme si je ne comptais pas. Je déteste lorsqu’il me dit au revoir de loin, pressé de fuir, comme pour éviter de me toucher. Je déteste lorsque mon regard se perd vers lui et qu’il ne croise jamais le sien, il regarde toujours ailleurs. Je voudrais lui dire « et pourtant cette aparté entre nous, cette discussion qui refusait de finir, ça veut bien dire que ça compte, n’est-ce pas ? Ça veut bien dire que je suis digne d’exister ? ». Mais les masques ne disent pas des choses pareilles.
Il faut peut-être attendre encore un peu.

Mercredi 25 août 2010 à 19:25

http://melancholic.cowblog.fr/images/LostInTranslation9.jpg
Je n'en suis pas fière et pourtant j'en tire une sourde excitation qui pulse dans mes veines. Je n'ai pas besoin qu'on me fasse la morale. Je n'ai même pas l'impression d'être en faute, pour moi ça ne compte pas. Il est trop vieux pour que ça compte.
Je ne sais pas qui a fait le premier pas. C'était trop bizarre pour qu'il y ait vraiment un premier pas.

On s'est rencontré sur notre lieu de travail, moi je vendais des livres (c'était les vacances) et lui il descendait du siège pour vérifier la conformité des couvertures avec les données informatiques, des choses captivantes de ce genre. Moi, la première fois que je l'ai vu, je me suis dit qu'il était plutôt pas mal, pour un vieux (surtout en comparaison des sales tronches des clients qu'on voyait défiler). Lui, je sais pas, il n'a sans doute pas fait attention.
Et là, la faim s'est éveillée et je me suis dit "je le veux". Je le voulais lui comme j'aurai voulu n'importe quel autre homme, je voulais m'assurer de mon pouvoir encore une fois. Je ne pensais pas vraiment gagner, je n'y pense jamais. De toute façon, il y avait la différence d'âge, l'interdit... Le genre de détails qui faisaient que je le voulais distraitement, comme un caprice.
Mais lorsqu'il était là, je voulais le ferrer. C'était la seule idée que j'avais en tête. Lorsqu'il apparaissait le magasin, j'en faisais des tonnes pour être charmante, sourire ultra-bright, petits rires, je tentais de deviser un peu avec lui, pour le retenir. Le matin, il m'arrivait de me préparer en pensant à lui, je mettais une jupe plutôt qu'un jean, je soulignais mes paupières d'un trait de khôl, négligemment. Il venait rarement. Mais c'était toujours vers moi qu'il se dirigeait, un petit sourire aux lèvres.
Je me plaisais à croire que peu à peu qu'il y avait une sorte de relation qui se tissait entre nous, une relation en pointillés et courants d'air, une relation à temps partiel (des vrais sourires, des frôlements, des regards soutenus un instant de trop, le degré zéro du flirt. Et puis il regagnait les étages.). J'avais l'impression d'avoir gagné.

Ca aurait pu continuer comme ça jusqu'à la fin de l'été, et puis mon contrat se serait achevé et on ne se serait plus jamais revu. Mais il a décidé de faire un pas de plus, ma faim dévorante avait triomphé de sa résistance. Je dois dire qu'il s'est bien débrouillé, ça pouvait presque passer pour un accident, il se protégeait en laissant l'ambiguïté.
Il avait laissé une carte de visite sur le comptoir. Il avait fait ça avec discrétion, je ne l'avais pas vu la déposer. Ni personne, il y avait du monde à la boutique. J'espérais que c'était bien la sienne, je ne savais même pas son prénom (pourquoi nous serions-nous présenté ?). J'ai décidé que ce n'était pas une erreur, qu'il avait voulu me laisser le choix.
J'aurai dû la jeter, j'aurai dû me dire que ma faim était allée trop loin. Je lui ai envoyé un message mon dernier jour, lui expliquant que je ne reviendrai plus au magasin, et bonne continuation. J'étais assez satisfaite de mon prétexte, un texto ça n'engage à rien. Il est descendu à la boutique quelques instants plus tard, l'air un peu fébrile, il me cherchait des yeux. Je le surveillais depuis mon poste de caisse avec l'air satisfait de la veuve noire qui a capturé une proie. Il a un peu discuté avec les autres vendeuses, tentant de faire oublier qu'il n'avait pas de raison particulière de descendre au magasin, puis il s'est tourné vers moi et nous avons échangé quelques mots sans importance, les regards que nous avions échangé avaient tout dit, ma liaison était scellée.
Je lui ai envoyé un SMS l'invitant à prendre un verre tandis qu'il remontait, quelques instants plus tard je recevais un rendez-vous. C'est comme ça que j'ai commencé à tromper mon petit ami, avec une certaine euphorie.

D'ailleurs je n'ai pas l'impression de le tromper. Pour ça il faudrait que nous ayons une vraie relation. Je l'appelle quand j'ai besoin de m'assurer de mon pouvoir sur lui, quand j'ai envie de me dépayser, quand il pleut. Nous parlons peu, d'ailleurs je ne sais pas s'il voit quelqu'un d'autre, il ne me parle jamais de mon petit ami. Ce n'est pas important. C'est une relation en gruyère, trop incongrue pour avoir un sens. Il ne me plait pas particulièrement. Tout ce qui compte, c'est que je sois spéciale à ses yeux. C'est toujours comme ça. J'ai besoin de sentir le regard des hommes sur moi, c'est ma faim, mon petit secret.
 
Nous nous amusons beaucoup de notre différence d'âge, Adrien et moi (oui, j'ai oublié de vous dire, mon "amant" s'appelle Adrien). Avec quelqu'un de ma génération, je n'aurai pas pu faire ça, il aurait fallu s'investir, choisir, se cacher, s'expliquer. Avec lui, je peux m'afficher au grand jour, parce que personne n'imagine une liaison entre un homme de quarante ans et une jeune étudiante. On guette le regard des gens, qui tentaient pensifs de deviner notre lien de parenté, ce qui pouvaient nous unir (parrain et filleule ? prof et élève ? ancien baby-sitter ?).
Je n'ai pas besoin de trouver des excuses pour voir un homme de quarante ans. Un homme de quarante ans, ça ne compte pas. Je reste évasive quant à nos activités, nos discussions, et personne ne va s'imaginer des choses. Pourquoi une jeune fille bien dans sa peau et heureuse dans son couple irait fréquenter un vieux ?
J'aime le silence que je peux partager avec lui. Mon copain, il vit dans l'instant présent, et il se sent obligé de saisir le moment, les souvenirs, avec des mots, des exclamations. Il ne me laisse pas être en paix. Sinon, on est bien ensemble, j'ai l'impression que je ne pourrais jamais échapper à son emprise. Il ne parvient plus à contenir ma faim, c'est une proie trop facile.
Avec Adrien, c'est facile. Je n'ai pas sans cesse à me sous-titrer, à me justifier, à m'expliquer. Notre liaison se passe de commentaires. il me prends comme ça, un peu baroque, un peu absente. Au fond, tout ce qu'il y a entre nous, c'est une histoire un peu bizarre, un peu incongrue. Un goût pour ce qui boite, pour ce qui est tabou. Au fond, on est deux paumés qui se sont croisés par hasard.
Bientôt il ne suffira plus à apaiser ma faim.

Dimanche 8 août 2010 à 15:42

 
http://www.serialmente.com/wp-content/uploads/2009/10/dh204b.jpg
Je déteste les vernissages. Surtout les miens. Des inconnus veulent me rencontrer, commentent mes toiles comme s’ils possédaient sur elles un savoir suprême, font des familiarités ; parce qu’ils m’entretiennent. Le pire, c’est Jacob. C’est lui qui m’a « lancée » et semble impatient de me rattraper. Je ne lui avais rien demandé. Typique. Il doit s’imaginer qu’il m’a sauvée, en tant qu’artiste et en tant que femme.

Je m’assoie sur un coussin élimé avec soin, me cachant derrière une coupe de champagne, faisant mine d’observer une toile avec attention. C’est une fête donnée en mon honneur, alors pourquoi je suis la seule à ne pas m’y amuser ?

Mon maigre camouflage tombe sous l’œil perçant d’une jeune femme, qui s’installe affablement à mes côtés.
« Je vois que vous appréciez la fête. Je déteste vos peintures. »
Je réponds mécaniquement merci avant de réaliser le sens de son propos. Je lui lançai un regard intrigué auquel elle répondit par un petit rire de gorge, très mondain.
« Je me suis dit que vous deviez en avoir assez de ces gens qui a-dorent ce que vous faites. Vous avez eu de la chance de rencontrer Jack. Quoi que vous fassiez, il trouvera toujours des gens à qui ça plaise. Et parfois, c’est un tour de force ! » Elle éclata d'un rire cristallin.
Je pris une gorgée de champagne pour ne pas avoir à répondre. Je ne savais pas comment j’étais censée prendre ses paroles, et la seule réaction qui me venait à l’esprit (quelque chose comme lui sauter à la gorge et lui tirer les cheveux) ne me semblait pas approprié.
Elle promena un regard méditatif sur les toiles les plus proches, avant d’ajouter « mais vous, il pourra vous offrir les portes des plus prestigieuses galeries. Il a de l’œil. Vous devriez accepter de diner avec lui, d’ailleurs, comme il vous l’a demandé. Ça faciliterait votre affaire. Bien sûr qu’il vous l’a demandé. Il ne peut pas résister à une jolie femme. D’ailleurs, elles-mêmes ne lui résistent pas. C’est ça le pouvoir. Je ne parle pas de l’argent ni même des relations. Ça, ça vient après, quand on a le pouvoir. »
Je la laissais babiller. Je supposais qu’elle devait être une femme entretenue (elles l’étaient toutes à ce genre de soirées) rompue aux soirées de bienfaisance (bienfaisance pour qui ?) et à l’art de faire la conversation, champagne aidant.
« Le pouvoir, c’est le charisme. On peut tout faire avec ça. Jack, il a bossé pour devenir médecin, mais c’est grâce aux femmes qu’il a pu se hisser sur l’échelle. Vous aussi, vous avez du charisme. Vous êtes une artiste. Si j’étais vous, je profiterais à fond de Jack, de ce qu’il peut m’offrir. Vous pourrez toujours l’évincer quand vous serez au sommet. Cette rencontre, c’est la meilleure chose qui pouvait vous arriver. De toute façon, ajouta-t-elle en passant sa main sur son buste avec un regard entendu, ce sont toujours les femmes qui ont le pouvoir. »

Heureusement, un autre client vint m’arracher à l’étreinte verbale de cette femme (elle me faisait l’effet d’un boa, resserrant ses anneaux à chaque mot). Mais trop tard. Elle m’avait mordue et soudain je doutais. Et si j’entrais dans la machine ? Et si je me prostituais ?
Je n’avais jamais pensé que ça pourrait durer, je ne m’étais jamais pensée comme artiste. Cette femme laissait entendre que ça pouvait ne jamais finir, qu’ils ne me laisseraient pas partir.
Alors j’ai été aimable avec tous ceux qui m’adressaient la parole, j’ai même flirté avec Jack, puisque ça lui faisait plaisir, et après la fermeture, j’ai mis le feu à l’espace d’exposition.

<< I'm Darkness | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | I'm Sin >>

Créer un podcast