Jeudi 18 février 2010 à 15:13

Une prépa, c’est parfois plein d’espoirs.
Au début de l’année, ça fait un sévère discours sur les fléaux qu’engendrent le retard et l’absentéisme, nouvellement promus péchés capitaux pour effrayer les bizuts.

Las ! Ils prennent de l’assurance à vitesse grand V et composent rapidement leur emploi du temps à la carte. La première victime de l’optimisation est la matière du sport.

Malgré une volonté de se mettre en quatre pour attirer les élèves, allant jusqu’à mettre en place une séance d’abo-fessiers, en un mois la moitié des effectifs s’offre une grasse matinée (en même temps, mettre le cours en première heure au milieu de la semaine, ça tient de la tentation).

Certains ont vite compris la combine et se lèvent pour 9h30 (heure de l’appel) : l’effort sportif le plus intense consistera à dire son nom et sa classe.

D’autres, plein de masochisme, se lèvent à l’aube pour échanger quelques volants au badminton voire bavarder pendant 2 heures, manipulant vaguement un ballon de basket, au cas où un professeur surgisse à l’improviste.

Au final, les valeureux lève-tôt seront récompensé d’un 17 totalement immérité et inutile.

Au moi de mai, il restera environ ¼ des élèves. En deuxième année, le cours de sport est de guerre lasse transformé en grasse matinée officielle.

Jeudi 18 février 2010 à 14:34

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Les khâgneux sont plein de créativité, c’est la raison pour laquelle leur photo de classe tient de Picasso.
Pétris de dialectique, ils passent une semaine à débattre du thème. Deux heures avant la prise du cliché, ils n’avaient toujours pas atteint la conclusion.
Hardie, la classe dépasse d’autorité un troupeau pour s’asseoir sur les chaises bancales. On est au mois de janvier, la photo est prise en extérieur. Tout cela est parfaitement logique, le froid embellit le sourire quand on maitrise les claquements de dents.
La première photo, la sérieuse, sera longue à prendre : le khâgneux n’a pas l’habitude d’être dehors, il ne peut s’empêcher de gigoter, on dirait une classe de 5ème.
Lorsqu’elle est enfin dans la boîte, place à la fantaisie. Ruée sur la boîte de déguisements disparates. Chapka, collier hawaïen, pipe dont le tuyau est d’une longueur fort honorable… Il n’y a aucune unité, aucune cohérence mais ce n’est pas grave. Les filles du 1er rang brandissent fièrement un panneau KS* (la frustration de ne pas avoir de programme justifie la captation du symbole taupin du hors programme). Le professeur d’histoire s’est même perdu au milieu des élèves, c’est lui qui hérite de la pipe.
Le meilleur déguisement est celui de l’intellectuel : binocles à triple foyer, costume négligé, livre à la main et cigarette au bec.
Chez certains, le besoin de trouver une filiation est si forte qu’ils succombent carrément à l’effet Sartre : en pleine mauvaise foi, ils essayent de faire Sartre avant d’être Sartre (notamment par une paire de lunettes qui soulignent la volonté du philosophe de se rebeller contre les normes sociales).
Etrangement, de Beauvoir ne suscite aucune orgie de turbans, sans doute par crainte d’être prises pour des intégristes du savoir.

Vendredi 18 décembre 2009 à 22:15

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Il n’y a qu’une prépa catho pour avoir une telle idée : une lecture de notes.
Pour ceux qui n’ont connu que le public (les gueux), une lecture de notes, c’est une sympathique séance de torture publique et collective, suite au conseil de classe.
Le responsable de niveau ou le directeur se déplace en personne pour faire à la classe le bilan du-dit conseil, d’abord à l’échelle du groupe, puis pour chaque élève, un par un, par ordre alphabétique (ils devraient essayer deux par deux, d’ailleurs, histoire de mettre un peu de gaité dans cette curée, genre Battle Royale II). Il découvre alors la majorité des visages (heureusement que l’élève se lève courageusement pour affronter le supplice, ainsi l’homme –les femmes sont étrangement sous-représentées dans l’élite de l’administration de ce genre d’établissements – sait où porter son regard), les abattant méthodiquement à mesure qu’il tourne les pages où chaque cas est disséqué, il adopte un tu familier pour camoufler l’arsenic.

En prépa, l’aventure prend une tournure psychédélique.
Le directeur de l’établissement (aperçu trois fois pendant l’année, lors de discours de bienvenue ou au portail lorsqu’il encadre l’entrée des primaires) choisit son moment à point : l’avant-veille des vacances, après quatre jours d’épreuves à raison de 7 à 8 heures d’examens par jour : bref, il n’aurait pas pu plus mal tomber (à part pendant une épreuve, peut-être).

Flanqué du censeur des prépas (croisé deux fois au détour d’un couloir, heureusement que le directeur l’a présenté lors du discours de bienvenue, comme ça on sait qu’il faut le saluer) ; le directeur fait son entrée avec une demi-heure de retard, retenu par une autre classe (c’est vrai qu’après une épreuve d’économie de 13h30 à 17h30, on avait qu’une envie, c’était planter notre tente dans la classe, histoire de prolonger ces bons moments).
C’est le directeur qui parle, le censeur ne fera qu’une intervention pour placer un bon mot (c’est vrai que le directeur a quand même plus de légitimité).
Bon enfant, il nous livre les recettes du succès : du travail, du sommeil, de la méthode (on commence par les cheveux et ça finit forcément par se traduire dans les copies). Enfin il nous libère, ce n’était pas si terrible. Mais on s’en serait potentiellement passé. Les cravates des deux hommes étaient inversement assorties à la chemise de leurs dossiers.

Une question reste sur toutes les lèvres, l’esprit ne cesse de se heurter à cette absurdité, ce scandale de la raison  : pourquoi ?
Si au lycée la lecture de notes peut éventuellement constituer un éperon, la petite piqure salvatrice, ou au moins un compte-rendu utile pour se évaluer sa situation ; qu’en est-il en prépa ?
On sait qu’il y a des concours à la fin de l’année, c’est une perspective suffisamment envahissante pour qu’on n’ait pas besoin de pense-bête.
Pourquoi cet homme qui ne connait pas notre nom nous dit-il ce que nous sommes scolairement ?
Le mystère restera entier mais au moins l’épreuve est finie. Jusqu’au deuxième trismestre.

Vendredi 18 décembre 2009 à 21:43

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Noël est pour le préparationnaire un moment des plus ambigus.
Il est d’abord précédé par des événements extrêmement douloureux (concours blancs, lecture de notes…), ce qui signifie qu’il sera dans le rang des centaines de désespérés qui hantent les magasins de 24 dans l’espoir de trouver quelque chose (il faut dire qu’il n’a pas eu le temps de réfléchir à ce genre de contingences).

Noël est un moment à la fois libérateur (les vacances de Noël sont les seules vraies vacances du deuxième année, rare moment où il peut consacrer deux jours de suite à sa famille, il peut ponctuellement s’adonner au matérialisme et au consumérisme primaire sans penser en sociologue – non que les festivités de Noël ne soient un formidable terrain d’observation) et horriblement stressant (parce que la culpabilité finit toujours par s’abattre sur lui comme un vent terrible).
Mais avant tout, Noël est l’occasion de la bataille des sapins.

La prépa est conviviale : lorsque Noël arrive (ainsi que le premier concours blanc), pour égailler un peu la classe, les préparationnaires font l’acquisition d’un sapin, rationnant des décorations au sein des familles.

Il est stupéfiant d’en constater la diversité : traditionnel (petit, bien garni, équilibré) pour les taupins ; grand et déplumé pour les épiciers (ils l’ont eu en soldes) ; original pour les hiboux (sapin en plastique dont les deux parties sont pendues séparément dans la classe, voire sapin tondu à l’exception de quelques branches au sommet le tronc habillé de guirlandes de perles d’un goût douteux, poupée gonflable…).

Mais le préparationnaire est jaloux. Il veut être le seul à jouir du sapin (qu’il en ait un ou pas). D’où un combat sanglant, la veille des vacances, les internes subtilisent les sapins des autres pour les entreposer dans leur classe ; ou les saccagent, ne laissant que quelques branches et des boules cassées (certains taupins sont très limités).

Noël est donc une période de tensions pour le préparationnaire : il doit veiller sur son sapin –voire ceux des autres - pendant quelques 48 heures.

Vendredi 18 décembre 2009 à 20:01

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Dieu des voleurs (les économistes) et des anthropologues, Hermès porte le Panthéon à bouts de bras.
Toujours impeccable de sa personne (pour infiltrer discrètement dans une observation participative les milieux des cadres et des dirigeants du monde après le cours ?), il règne sur la khâgne (du haut de sa double matière).
Adulé, il déborde d’enthousiasme, gratifiant ses fidèles de sourires timides tandis qu’il tente de les convertir à sa cause ; il explique, avec un aplomb désarmant et une hésitation pleine d’espoir d’adhésion, pourquoi il ne veut pas vivre dans une cabane ave Yann Arthus Bertrand.

Il tente à l’occasion une plaisanterie, se réfugiant derrière le label « économique » pour ne pas être incriminé, réclamées avec chaleur par les disciples. Pourtant, la chute les laisse généralement dans des abîmes de perplexité.
Le commentaire d’Hermès (« c’est drôle, non ? ; c’est une bonne blague, vous ne trouvez pas ? »), par contre, soulèvent des vagues d’hilarité.

Hermès est dynamique, il volète à travers la salle du haut de ses sandales ailées, n’hésitant pas à imposer des travaux herculéens aux élèves pour que des allées praticables soient dessinées entre les tables.

Il se penche de temps à autres sur tel ou tel exemplaire des prophéties, soulignant son propos en laissant courir son index sur le parchemin, pointeur écumant les mots qu’il vient de prononcer. On dirait qu’il tente de convaincre personnellement l’élève de la pertinence de son propos. C’est toujours vécu comme une sorte d’agression : l’élève lève les yeux et opine faiblement du bonnet, priant pour que les yeux de Dieu se plantent dans d’autres pupilles.
À vrai dire, il affectionne à terroriser ses fidèles durant ses discours divins, en les fixant durant qu’il dicte la Sainte parole. Sa victime, pétrifiée, ne peut que tenter de prendre l’œil intelligent et réfléchi, comme s’il comprenait ce que Dieu déblatère, se plongeant avec soulagement dans son cours pour ne plus avoir à soutenir le regard divin.

Plein d’humilité, Hermès s’efface derrière un autre Dieu : Bourdieu, qui a édité sa propre Bible (La distinction). Il réussit ainsi à transformer une armée de conservateurs voire fascisants (« la seule chose qui empêche les élèves de S. d’être totalement fascistes, c’est sa dimension socialisante – celle du fascisme. ») en socialo-communards vaguement gauchisants. (pour ne rien vous cacher, dans le recrutement, il a même été accepté un élément dangereusement dissident : il lit le Manifeste du parti communiste en cours de math et fait chanter l’Internationale lors d’une petite sauterie intellectuelle organisée par la Maison).

il est prêt à tout pour susciter l’enthousiasme/l’adhésion de ses disciples : il fait des pages de publicité gratuite (« Ulm c’est génial, vous pouvez tout faire et en plus vous êtes payés »), il se pose en professeur principal, n’hésitant pas à sacrifier des heures de cours pour répondre aux questions existentielles des adeptes concernant les concours, rappelant la nature des épreuves, voire lève à l’aube (8h) des anciens élèves glorieusement intégrés pour qu’ils parlent de leurs carrières scolaires (afin que les préparationnaires découvrent qu’en fait, les khâgneux ont un avenir). Il va même jusqu’à faire le khôloscope (trahissant d’ailleurs ses promesses, se servant généreusement dans le temps des khâgneux pour leur mettre des khôles d’éco une semaine sur deux et non une semaine sur trois. C’est bien un économiste.).
Professeur moderne, il n’hésite pas à donner son n° de portable et son adresse mail aux aspirants, tout cela dans le seul but de convertir des âmes innocentes aux implacables rouages de l’économie.

Mais derrière ce regard avenant et ce sourire incertain se cache en fait un tueur qui n’hésite pas à accabler ses élèves de travail, les cuisinant sans merci et distribuant les plans (et donc les bibliographies) après avoir achevé de dispenser le cours, ce qui est limite cruel.

Les remises de copies ou les passages à l’oral sont toujours de grandes séances d’humiliation. Moins parce qu’il s’attaque à un élève en particulier que parce que soudain le désespoir voile ses pupilles et il doit prendre une grande inspiration, les yeux rivés vers la fenêtre pour contenir son affliction, avant de prendre la parole « j’ai été assez surpris en corrigeant vos copies/dossiers, il y a tout un pan du sujet qui vous a échappé/vous n’avez pas développé tous les aspects… ». Bref, ses élèves se sentent à la fois nuls et décevants.

Autre grand moment de torture : les séances d’exercices. Bien qu’applications bêtes et simplistes du cours, il faut une heure pour traduire les données en termes économiques (ce qui est très frustrant). Mais le pire reste à venir : les exercices n’étant pas corrigés pendant les cours, il faut les finir à la maison, et surtout trouver des résultats, quelque soit le temps qu’on y passe (en général 2 heures minimum en plus du cours).
Après le dessert vient le fils du dessert : la séance de correction des exercices. La foudre tombe de tous côtés, enjoignant les élèves à expliciter le fruit de leurs élucubrations. À voix haute, voire au tableau. La moindre faute entraîne une question insidieuse, Hermès demande des précisions, qui provoquent des spasmes de panique à la victime, qui doit tenter de mettre au point une explication sur ce qu’il n’a pas compris lui-même. Et comme si la peur d’être assigné à la correction n’était pas suffisante, la séance d’exercices est généralement suivie d’une interrogation écrite. Comment faire un deux heures ce qu’on n’est pas parvenu à faire en quatre.

Le plus sadique reste peut-être le dossier. Déjà, c’est quelque chose qu’on est censé préparer en deux heures mais étant donné les conditions, ça prend facilement six heures, à préparer en deux semaines. Je ne sais pas quel est le pire : lorsque c’est pendant les cours ou lorsque c’est à préparer pendant les vacances (c’est-à-dire en pratique la veille du jour J, entre 22h et 4h du matin). C’est long, pénible, et on est jamais sûr d’avoir produit quelque chose de satisfaisant.
La cruauté de cet exercice est double : le dossier doit être préparé très sérieusement non seulement parce qu’il est susceptible d’être noté (la moitié des préparations sont ramassées), mais en plus parce que l’élève risque de s’exposer à un opprobre publique. Hermès choisit en effet un élève pour présenter son dossier à l’oral devant la classe, avant de le cuisiner consciencieusement sur les aspects qui ont échappés au malheureux élève. Et il faut tenir vingt longues minutes d’exposé. La recherche de références dans le dossier et la toux subite et lancinante sont les meilleures amies du khâgneux pour gagner du temps. Mais on n’échappe pas à son destin.
Inutile de vous dire qu’une fois que le professeur s’est désigné une offrande, un soupir de soulagement parcourt la salle.

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