Comment ne pas être touché par cette femme ?
Elle était là, assise en face de nous, et elle était tellement humaine...
Être humain, c'est un concept éculé, on l'emploie tous les jours, la philosophie est à la poursuite de qu'est-ce que l'homme, mais finalement, tout ça ce ne sont que des concepts poussiéreux, c'est comme un aveugle qui parlerait des couleurs, c'est vide de sens.
Parfois, elle suspendait son propos pour ne pas pleurer, et quelqu'un prenait la parole pour ne pas la laisser dans l'embarras, et sa mère s'est précipitée pour lui donner un mouchoir, c'était tellement maternel. Pourtant, je pense qu'elle a bien le droit de pleurer.
Je crois qu'on imagine pas à quel point cet être est magnifique.
C'est un peu triste de se dire qu'il lui a fallu engranger autant de souffrances pour être quelqu'un comme elle, mais je ne pense pas qu'il n'y ait que ça. Évidemment.
Parce qu'avant ça, elle était déjà une héroïne, et il faut un mental d'acier pour survivre à ce qu'elle a vécu.
La voir, c'est se dire « et est-ce que moi j'aurais tenu ? Est-ce que je serais parvenue à rester un être humain comme elle ? »
Quand on pense quel choc a dû être pour elle le « retour à la réalité »... Et elle était tellement civilisée, elle versait doucement de l'eau dans son verre avant d'en boire une gorgée, ses cheveux étaient attaché pas un qui dépasse, bien habillée...
Avant, pour moi, Ingrid Bétancour, c'était une femme admirable qui essayait de rétablir un semblant d'ordre et de république en Colombie, prête à se sacrifier pour un idéal. C'est bien joli tout ça. Mais en l'écoutant, j'ai pu appréhender à quel point cette femme était bien plus.
Elle a orienté sa conférence vers Dieu, et le Christ.
Mais même pour un non-croyant, c'était d'une force incroyable.
Elle nous a expliqué comment elle avait découvert la Bible lors de sa captivité, car c'est la seule chose qu'on lui ait accordé (assez étonnant, d'ailleurs, de la part d'athées convaincu), que l'un des FARCs, des adolescents de notre âge nous a-t-elle dit, lui avait appris à tisser et qu'ainsi elle s'était tissé une chapelet et qu'elle priait la Vierge tous les soirs, à minuit, à l'heure où le camp était parfaitement calme, que son corps avait été une prison de souffrance, que tout dans la jungle piquait, mordait, était hostile ou agressif, que celui qui lui avait appris à tisser était mort et que jamais ses camarades n'en ont reparlé, ni même ne paraissaient être affectés, qu'elle a compris le message du nouveau Testament « tendre l'autre joue » lors de sa captivité, qu'elle pardonnait à ses ravisseurs, elle a insisté sur l'importance du pardon, sur le fait qu'on ne pardonne pas pour l'autre mais pour soi, qu'il ne faut pas se laisser happer par ce siècle de la petitesse, l'égoïsme, la méchanceté... L'être humain a une capacité de méchanceté incroyable, c'est facile. Faire abstraction de ça, c'est s'élever. Je me suis sentie particulièrement visée par ce passage, parce que je me sens horriblement sombre. Je ne suis pas quelqu'un de gentil, je ne prend pas soin des autres, à part de quelques rares « élus », puisqu'on a tous envie d'être aimé, n'est-ce pas ?
Elle nous a parlé d'une expérience qu'elle avait vu, et qui doit être sur YouTube (ça m'a surpris qu'elle connaisse YouTube d'ailleurs), réalisée sur des étudiants de Stanford, divisés arbitrairement en « geôliers » et en « prisonniers ». Après quinze jours de captivité, les prisonniers adoptaient des comportements « de prisonniers », de délation, de tentative de séduction, et vice-versa, les geôliers qui faisaient subir des abus, des humiliations... à leurs propres camarades !
Elle nous a souhaité de souffrir, car il n'y a que dans la souffrance qu'on peut se remettre en question.
Cette femme a une capacité d'amour, et une dignité incroyables.
Lorsque je l'ai vue, une fois sortie de l'amphithéâtre, en train de se faire mitrailler par des téléphones portables (comme si sa photo était plus importante que ce qu'elle avait pu nous dire) et de signer des autographes (?!), je me suis sentie vaguement révoltée que les « petits » la traite comme une sorte de célébrité qui a construit sa « notoriété » sur du vent (voir les émissions de télé-réalité, Paris Hilton...). Ces gens sont vides et elle est tellement riche (intérieurement, s'entend), tellement digne de respect... Notre classe a été « ajoutée » à la conférence à la dernière minute, puisque Ingrid était venue pour le lycée et le collège. Quelle chance nous avons eu : je crois que cela aurait été manquer une véritable expérience humaine, que de ne pas y assister.
Mes mots sont bien en dessous de ce que j'ai pu pressentir d'elle en l'écoutant.