Dimanche 6 mars 2011 à 17:41

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Ça faisait longtemps que je n’étais pas rentrée chez moi. C’est vrai que ce n’est plus vraiment chez moi, mais j’ai toujours les clefs, alors…
Le mobilier de l’entrée n’a pas changé, il faut dire que Félix n’est pas du genre à faire des folies dans la décoration, je me souviens que lorsqu’on avait emménagé je m’étais chargée de tout. Il y a encore des photos de moi sur la cheminée, c’est vrai qu’il voulait que je revienne mais moi j’ai toujours peur qu’on me coupe les ailes.
Je ne peux pas m’empêcher de fureter un peu, rien n’a vraiment changé, à part quelques télévisions, plus neuves plus grandes et plus plates, disséminées dans la maison (Quand le chat n’est plus là les souris dansent) et jusque dans la chambre pour relayer le tumulte. D’ailleurs mes affaires sont toujours dans l’armoire, c’est vrai que j’avais pris l’essentiel mais je pensais qu’il jetterait le reste dans un débarras quelconque, dans des cartons au grenier. Les coins à bazar, ça a toujours été ma spécialité et il n’est pas un maniaque non plus, alors…
J’ai envie de laisser une trace de mon passage, un souvenir de nous négligemment jeté en travers du lit, comme cette chemise qu’il m’avait offerte après que j’ai tragiquement renversé une glace sur celle que je portais. Italie, Venise. Lune de miel. Mais ce serait sans doute cruel. Après tout, c’est moi qui suis partie, en laissant derrière moi ces mots tranchants comme du verre brisé, ceux qu’on dit quand on quitte quelqu’un qu’on aime encore, pour faire place nette. On se dit qu’en coupant au scalpel, ça cicatrisera plus vite. Mais on dirait que Félix n’a jamais cicatrisé (je suppose que si j’avais vraiment voulu partir, je n’aurai gardé ni les clefs ni la bague, j’aurai fait place nette dans les tiroirs mais je ne pouvais pas me résoudre à partir sans laisser un ancrage pour remonter jusqu’à lui. Cette histoire me dévorait.).
C’est bizarre, dans la boîte à bijoux il y a des bagues et des colliers que je ne reconnais pas. Comme s’il avait continué à m’en offrir après mon départ, et que faute de pouvoir me les donner il les avait offert à ma cassette. Mais je dois me tromper.
J’entends du bruit en bas, il doit être rentré. Je ne peux pas m’enfuir comme une voleuse mais je n’ai pas vraiment le droit non plus d’être ici. Les clefs, c’est tout ce qu’il me reste. Surtout, je n’ai pas envie de le croiser. Je ne sais pas ce que ça pourrait donner. J’étais juste venue prendre des nouvelles de son état, de la maladie qui le ronge, parce que je m’inquiète toujours pour lui, malgré tout (ses amis auraient cafté, il faut toujours que je fasse tout toute seule). Un grand amour, ça ne s’oublie pas. En plus, je suis au premier étage. Je connais assez cette maison pour savoir que faire le mur, c’est mission impossible. Je l’entends qui s’agite dans la cuisine, c’est vrai que c’est l’heure du dîner. Avec un peu de chance le bruit des casseroles couvrira celui des marches en chêne.
J’arrive en bas de l’escalier, il m’attend dans l’encadrement, armé d’une poêle menaçante. Il n’a pas l’air surpris de me voir là, il ne manifeste aucune émotion. Un sourire doux et un peu las flotte sur ses lèvres, le sourire qu’on a quand on retrouve un vieil ami, assorti d’une pointe de résignation, comme pour dire « tu ne partiras donc jamais ? ». Il me demande d’une voix calme « tu restes pour dîner ? », comme s’il ne doutait pas que j’accepterai. Je crois que je vais rester encore un peu. Peut-être jusqu’à la fin.
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