Mercredi 31 octobre 2007 à 17:25

Toi, tu étais déjà lycéen, tu étais vieux, tu nageais dans l'indolence de ton âge, tu traînais souvent dehors, à l'entrée du lotissement, souvent lorsque je descendais les poubelles, prenais le courrier…, je te voyais en compagnie de quelques amis, quelques filles… ne crois pas que j'étais jalouse. Que voulais-tu que ça me fasse ? Je ne savais même pas ton nom, alors. Alors…


C'est toi qui es venu le premier sonner à notre porte.
Tu faisais le tour de l'immeuble, il me semble, tu proposais tes services aux locataires, tu économisais pour acheter un vélo, disais-tu.
À quoi destinais-tu réellement cet argent ? À des sorties et autres bricoles ? Aidais-tu ta sœur, qui avait sans doute du mal à joindre les deux bouts avec son salaire minable de retourneuse de sandwiches à mi-temps ? Ou fomentais-tu déjà de fuir ?...

Toujours est-il que ma mère, débordée, et n'osant me confier de trop longues listes de courses, te chargea de courir les rayons à sa place, tâche que tu remplissais avec un sérieux proche de l'obséquiosité. Presque louche.
Peut-être que ton geste n'était pas totalement désintéressé, au-delà du simple appât du gain. Mais je ne te crois pas si fourbe.

Toujours est-il que peu à peu, ma mère s'est attachée à toi, t'as accordé sa confiance.
Tu as été promu homme à tout faire et tu as commencé à consacrer quelques-unes de tes soirées oiseuses, de tes fins de semaines, à changer une ampoule, jeter un coup d'œil au four capricieux, monter une ou deux étagères… Des travaux d'homme.

Mercredi 31 octobre 2007 à 13:36

Si tu savais tout ce qui s'est passé en ton absence…
J'ai bien changé, je vois que toi aussi, c'est bien.
C'est ta femme, là, sur la photo ? Très jolie. C'est bien, c'est bien…

Désolée de débarquer chez toi, comme ça, alors que tu n'es pas là en plus… J'avais pas le courage.
Pas le courage de t'affronter, de parler avec toi, pour la première fois peut-être, découvrir qui tu es devenu… Ca ne m'intéresse pas.
Pas facile de te retrouver, tu sais. J'étais même pas sûre de ton nom de famille, si tu avais pris celui de ma mère ou gardé celui de ta sœur, de te façon je savais même pas l'écrire celui-là…
Je ne sais pas si tu te caches de quelqu'un, peut-être de moi, qui sait… Mais en tous cas c'est rudement efficace.
Et je n'allais pas demander à ma mère où tu te terres, hein…

Ne t'inquiète pas, je ne vais rien toucher, rien déranger, je ne prendrais rien, pas même un souvenir de toi, je ne viens pas ici pour répandre le chaos.
Tout ce que je vais faire, c'est ouvrir la boîte cartonneuse et un peu gondolée des vieux souvenirs, et puis on va en sortir quelques-uns et les regarder ensemble, tu veux ?

Sinon, il est toujours temps d'appuyer sur le bouton stop de ton lecteur de cassettes et de jeter cette bande à la poubelle et tu n'entendras jamais plus parler de moi.
De toute façon, ce n'est pas pour toi que je fais tout ça. Et puis, ce n'est pas comme si c'était important, hein ?

Comme c'est calme, chez toi…
C'est marrant, ton salon me rappelle celui de la maison… Cette même blancheur immense, épurée et apaisante…
Ça y est, je suis triste… Aucune importance.

Tu te rappelles de la façon dont tu t'es lié à nous ?
Quand on y pense, c'est du délire, tu ne crois pas ?
Je me souviens.
Papa venait de partir. Maman essayait de s'en sortir, entre Anna, Mattéo, et moi, bien sûr, et puis elle allait si mal, si mal…
Je ne comprenais pas bien ce qui se passait, mais...
C'était pas facile, hein, pas besoin d'être grande pour le comprendre. C'était pas facile, une maison sans homme.

Et puis toi. Tu habitais chez ta soeur, je crois, quelques étages au dessus de nous.
Je crois me souvenir d'une espèce d'asperge vaguement blonde, genre peroxydée. Elle me semblait tellement grande, à l'époque…
Qu'est-ce que tu faisais chez elle, hein ? Elle ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans.
Pourquoi s'était-elle encombrée de son petit frère, en s'installant dans son petit studio d'étudiante ?
Tu n'as jamais voulu me le dire, tu prétendais que c'était des histoires de grands…
Tu n'as que quelques années de moi, et pourtant quel fossé elles ont toujours creusé, entre nous…
Je pourrais en parler avec ma mère, c'est sûr, mais… Enfin, tu sais.

Je venais d'entrer au collège, j'étais si fière, je me sentais si grande…
J'étais un peu triste, que Papa ne soit pas là pour m'accompagner, le matin, devant les grilles, pour me voir franchir le portail, la tête haute, le dos un peu cambré par le cartable trop lourd, mais…

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