Mardi 14 juillet 2009 à 11:08

Elle tirait les cartes au bord d’un feu de bois et de quiétude. La pièce était jonchée de babioles pittoresques et hétéroclites, comme les trophées extirpés de mille voyages, comme le signe d’une vie spirituelle bouillonnante. La propriétaire de cette ruine bancale ne pouvait être qu’exceptionnelle ; de ces êtres à part, intensément humains, qu’on brûle de rencontrer dans l’espoir d’être touchés par leur grâce incandescente ; sans jamais songer à ce qu’on pourrait leur apporter en retour. Comme si leur bonté, leur amour palpable et leur sagesse les arrachaient à ces calculs tellement humains, faits de désirs, d’attentes, de passions.
Les pièces de sa maison étaient peuplés d’objets inutiles et chargé d’une âme, arrangées façon baroque et gitane, comme saturées au hasard et pourtant cette bicoque à la façade salamandrée respirait d’énergie.
Elle tirait les cartes, éclairée à la lueur seule du feu et d’une lampe à l’ancienne, il faisait nuit depuis si longtemps que j’avais perdu le compte des heures. Elle répugnait à se servir de l’électricité, lui préférant la chaleur sensuelle de la flamme.
Elle tirait les cartes et tout était si calme, une harmonie de cristal résonnait dans les pièces silencieuses et pourtant il était temps de partir, son corps vibrait d’une injonction silencieuse et pourtant je ne pouvais m‘arracher à ce fauteuil élimé et douillet, à la moiteur de l’atmosphère qui régnait dans cette demeure, elle en était la reine de Sabbat.
La porte s’ouvrit comme une invitation et je pris congé, happé par les nimbes ténébreuses du corridor.

Mercredi 6 mai 2009 à 21:35

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Bus. Chahut urbain, un gosse turbulent. Et si je le flinguais. C’est cette angoisse qui m’étreint le ventre par surprise, qui m’accule et me plie en deux, comme un voleur. C’est le goût des plaisirs coupables. Je sais que j’avais tort, mon temps est compté. Qu’est-ce que ça peut faire ? Je vois les gens et les choses et puis le temps qui passe… je suis juste tellement triste… toi et moi, qu’est-ce qu’on avait fait de mal ? toi et moi, qu’est ce qui va nous arriver… Ma vie tombe en lambeaux comme une peau usée d’avoir trop vécue, je ne sais plus quoi faire. Pourrais-je jamais te toucher à nouveau ? Toutes les femmes sont tellement cruelles, you could be my unintended choice but now you’re gone, que me reste-t-il de toi, un vieux chiffon tordu qui se moque de moi de l’avoir trop serré contre mon sein, croyant y retrouver un instant ton étreinte… Tu as le goût des plaisirs passés, des plaisirs volés… Qu’est-ce qui peut conduire une femme à tuer ? Qu’est-ce qui peut conduire une femme à se briser ? J’ai un couteau dans ma poche, j’aime bien l’arme blanche, presser le serpent froid du métal contre une jugulaire… Je voulais changer le monde, je voulais être héroïque… Alors j’étais dans ce bus, prête à faire exploser le monde, mon petit canif dans la poche, et j’ai pensé à toi, il y avait ce gamin hurlant et ça m’a énervé, alors j’ai appuyé la lame contre la gorge et enfin il s’est arrêté. Le temps aurait pu se suspendre mais je ne sais même pas si quelqu’un s’en serait aperçu. J’aurai eu le temps de descendre le laissant se vider de son temps avant que quelqu’un ne se mette à hurler et en lui cela aurait été le monde qui crie. Je me suis demandée : why someone have to die ? et j’ai pensé à toi à nouveau, les fantômes hurlaient dans mes oreilles, ils m’appelaient alors j’ai mis mes mains sur mes oreilles et je suis tombée à genoux mais ils ne voulaient pas s’arrêter, cette angoisse dans mon ventre dans ma chair je t’appelle… Le couteau dans ma poche est comme la mortelle soie qui fait ruisseler le sang et le Tibre charrie de l’hémoglobine… Je t’appelle.
Je suis descendue du bus, je tâte ma poche, l’aspic n’y est plus, je crois que j’ai planté le gamin. Il m’ennuyait.



Personne ne m’avait dit que ce serait facile. Jamais. Je suppose qu’il y avait trop longtemps que je n’avais pas souffert. J’imagine que je n’ai plus qu’à crier que je t’aime, encore et encore. Tu finiras bien par me répondre.
 

Samedi 11 avril 2009 à 11:45

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- Mademoiselle ! Ouhouh ! Ça fait longtemps que vous attendez ?
- …
- Je suis désolée, le métro, vous savez… (NDLR : rires) Confuse pour le retard. Je m’appelle Sylvie, c’est moi qui viens vous interviewer, comme vous vous en doutez, je suppose. Appelez-moi par mon prénom, c’est plus convivial, et comme nous sommes coincées ici pour un petit moment… Je ferais de même, si vous le voulez bien. Entendu ?
- …
- Euh… Bon… Mettez-vous à l’aise, et ne prenez pas garde au magnétophone, parlez librement, nous sommes entre nous.
- Implacable logique. Entre nous dans un salon de thé bondé.
- Je le pose juste là. Voilà. Vous voulez boire quelque chose ?
- J’ai déjà commandé.
- Oh… Parfait, parfait ! Si ça ne vous fait rien, moi je vais prendre un café. J’ai une de ces envies de caféine… ça me fait toujours ça, quand je suis stressée, à cause des transports ou autre, j’ai besoin de café. C’est stupide, c’est le genre de choses à vous stresser encore plus, non ? Enfin, je veux dire, ça excite le système nerveux et tout… Vous aussi, ça vous fait ça, une envie de café ou d’autre chose, je ne sais pas… de cigarette, de chocolat, de… de… pommes de terre ?
- Non.
- Oh, je vois. Des nerfs d’acier ?
- Peut-être.
- Peut-être ?
- Je ne me suis jamais posée la question.
- Euh… oui, évidemment.
- Et je ne crois pas que l’absence d’envie de pommes de terre soit nécessairement un symbole de décontraction.
- Bien sûr, bien sûr… Vous voulez manger quelque chose, avec ça ? Moi, je prendrais bien une gaufre ou… Garçon ! Vous avez des gaufres ? Non ? Des muffins ? Vous êtes merveilleux. Deux muffins, donc, un café. Expresso. Vous êtes sûre de ne rien prendre ? Je vous invite, bien sûr.
- Vous me croyez trop jeune pour me payer un Coca-Cola ?
- Non, mais…
- Alors finissons-en, voulez-vous ?
- Oh, euh… Tout de suite. On va commencer par des questions un peu bateau, vous savez, d’ordre général, pour engager le dialogue…
- Je sens que cette entrée en matière va me sembler interminable. Genre, la durée de l’entretien.
- Eh bien… Dis donc ! Euh… Vous venez de publier votre premier roman, alors que vous n’avez que dix-sept ans. Quel effet cela vous fait-il ?
- Je suis ravie.
- Bien sûr, bien sûr, mais je veux dire… vous attendiez-vous à ce que votre manuscrit soit retenu si rapidement ?
- Je n’aurais pas envoyé ma prose à un éditeur si je n’avais pas cru avoir une chance.
- J’imagine mais… avez-vous conscience de la part infime des apprentis auteurs qui partagent votre chance d’être reconnu si tôt ?
- Au contraire, notre jeune âge fait vendre car il excuse la médiocrité de nos délires fiévreux d’adolescents en mal de succès. Je pense qu’il est même un handicap. En effet, dans quelques années, le nombre de printemps ne sera plus une excuse. Soit il nous faut pondre quelque chose de vraiment exceptionnel, soit nous retombons dans l’oubli.
- Mais vous avez quand même fait le choix d’envoyer votre roman, malgré tout…
- Je crois vous avoir déjà dit que j’ai confiance en mon livre.
- Et en vous ?
- Accessoirement.
- Bien sûr, bien sûr… Cependant, j’imagine que votre livre ne s’est pas fait en un jour. Depuis quand écrivez-vous ?
- Depuis le CP, comme la plupart des enfants, malgré quelques tentatives précoces, en grande section de maternelle, d’écrire mon nom. Vous voyez, j’étais déjà une rebelle, et j’étais persuadée que cela ferait de moi un génie. Je dois admettre que je ne suis pas mécontente du résultat.
- …
- Je plaisante, enfin ! Ils ne mettent pas un cours de second degré dans vos études de journaliste ? Ils devraient y songer, ça vous décrisperez. Détendez-vous, très chère, ou vous aurez des rides précoces.
- … Vers quelle époque de votre vie vous est venue l’envie d’en faire votre profession ?
- Après le CP.
- Je veux dire, quand avez-vous su que vous seriez écrivain ?
- Lorsque mon actuel éditeur m’a informé de sa volonté d’imprimer à l’encre sur du papier des mots que j’ai associé entre eux pour relier ces feuilles entre elles, afin de former ce qu’on appelle communément un livre.
- Mais… quand vous est apparue cette vocation ?
- À force d’écrire.
- Vous semblez vous moquer en permanence des gens qui vous entourent…
- C’est le cas.
- De les prendre de haut…
- C’est le cas.
- Comme s’ils étaient stupides… Vous sentez-vous supérieure à eux ?
- Absolument pas.
- Ah ??
- Je suis juste convaincue de la médiocrité de certains.
- N’est-ce pas un peu prétentieux, compte tenu de votre jeune âge ?
- Les jeunes sont connus pour être imbus d’eux-mêmes. Et insolents.
- Tout de même…
- N’importe quel adulte normalement constitué vous dira que les adolescents et la jeunesse en général est le fléau de la société.
- Je…
- Prenez Socrate, par exemple. On lui attribue "Notre jeunesse aime le luxe, elle est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect de ses aînés. Nos enfants d’aujourd’hui sont des tyrans. Ils ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce, ils répondent à leurs parents et ils sont tout simplement mauvais...". Cette citation n’a pas pris une ride.
- Mais, mais… ne craignez-vous pas de vous mettre la presse à dos ainsi ?
- Et alors ?
- Mais… il en va de votre popularité auprès de vos lecteurs !
- Si mon livre vend pour autre chose que son contenu, je ne suis pas sûre d’être satisfaite des scores de ventes. Au demeurant, je suis sûre que la méchanceté gratuite fait vendre. Regardez Amélie Nothomb. Son style l’a propulsé en tête des ventes. Je dois dire que je suis lasse des célébrités aseptisées, qui répondent toutes la même chose aux interviews, et qui essayent absolument de séduire leur lecteur, on dirait. C’est quelque chose auquel je me refuse.
- Vous semblez avoir accepté l'interview dans le seul but de me ridiculiser !
- On s’occupe comme on peut. Et puis, si j'avais réellement eu quelque chose à vous dire, je ne serais pas devenu écrivain.

Samedi 11 avril 2009 à 11:43

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- Vous êtes devenue la hantise de tous les journalistes…
- Vraiment ? Dites, c’est quelqu’un qui vous a soufflé cette amorce époustouflante ou vous l’avez trouvée toute seule ? Non, dites-moi sincèrement de qui est cette perle, ce joyau, ce rubis parmi les graviers, il faut absolument que je félicite l’incapable qui a supputé que cela ferait bon effet de commencer par évoquer vos collègues, sans doute dans le but de vous mettre en valeur face à leur médiocrité.
À votre tête, on dirait bien que c’est une self production. Oh yeah. You must be a genius. Vous pouvez pas comprendre, c’est de l’anglais. Genius : j – e – n – i – u – s. Non, je plaisante. Ça commence par un g. Mettez bien ça dans votre compte-rendu. Genius. Ça va faire un effet d’enfer. Mon Dieu que je suis ringarde.
Parce que vous savez… même si j’écris en français, je suis bilingue, en fait. Enfin presque.
Bon. Vous avez cinq minutes pour rattraper votre bourde et m’éblouir. Allez-y, je suis toute à vous.
- Eh bien…
- Quatre minutes cinquante-cinq.
- …
Quatre minutes cinquante. Dieu que vous êtes lente. Avez-vous seulement conscience que le XXIème siècle est celui de la célérité, du rendement ?
Pauvre chérie, pas étonnant que vous soyez devenue journaliste.
- Qu’est-ce que ça sous-entend, ça ?
- Rien.
- Et lâche, avec ça. Pas étonnant que vous soyez devenue écrivain.
- Ne crachez pas trop sur l’écriture, c’est notre gagne-pain à toutes les deux et je me doute bien que c’est parce que votre manuscrit a été rejeté que vous en êtes là.
Si j’ai dit « non rien », figurez-vous que c’est parce que je ne vois pas l’intérêt de polémiquer pour remplir du vide autour un sujet sur lequel nous ne tomberons jamais d’accord. Au demeurant, je voulais vous éviter l’humiliation de mordre lamentablement la poussière après tout juste trois minutes trente-sept de joute verbale.
Mais j’oubliais sans doute que le but d’une interview est de fendre l’air avec des mots creux, peu importe le contenu, pourvu qu’ils choquent puisque que ça fait grimper les ventes, entre deux échanges de banalités, non-sens et autres lieux communs.
- Vous semblez nourrir une haine tenace contre notre profession.
- De la haine ? Très peu pour moi, je ne vous accorderai que trop d’importance en gaspillant un peu plus que de la salive à votre égard. Et puis, je m’amuse beaucoup.
Je vous signalerai que vous n’avez pour l’instant rien fait pour me faire changer d’idée sur votre noble travail. Mais bon, il n’y a pas de sot métier, dit-on.
- Votre « style » oral est très différent de celui de votre roman. Votre écriture est marquée d’une mélancolie désabusée, mais lorsque vous parlez vous virez carrément au cynisme et à la méchanceté. La seule constante c’est la froide ironie.
- Les écrivains sont connus pour être schizophrènes.
- Mais n’avez-vous pas l’impression de vous « travestir », de vous renier vous-même ?
- Si j’avais l’intention de me complaire dans le petit confort narcissique à être la même en deux et trois dimensions, j’écrirais des autobiographies, pas des romans.
- Mais… comment expliquer une telle différence ?
- Peut-être parce que mes personnages ne m’importune pas et ne m’empêchent pas de faire ce que je veux, écrire notamment, et ne mettent pas en colère. De plus, ils sont intéressants, ils me distraient suffisamment pour que je n’aie pas besoin de les piétiner pour mon propre plaisir.
- Vous reconnaissez donc être une garce lorsque vous vous exprimez ?
- Difficile de le nier. De toute façon, mes éventuels lecteurs n’ont besoin de ne lire que quelques pages pour se rendre compte à quel point je suis tordue.
Au fait, bravo pour avoir réussi à placer le mot « garce » dans la conversation. Très accrocheur. Zéro minute trois secondes.
- Vous acceptez de répondre encore à quelques questions ?
- J’ai le choix ?
- Bien sûr.
- Vous plaisantez ? Mon éditeur va encore me gronder si je ne ponds pas une interview digne de ce nom.
- Vous materne-t-il ?
- Ça fait un peu parti de son travail.
- Je veux dire, avez-vous le sentiment qu’il s’occupe particulièrement de vous à cause de votre jeune âge.
- C’est étrange, cette tendance des adultes de plus vingt-sept ans à la condescendance et au moralisme envers leurs cadets. Comme si la jeunesse qu’ils côtoient éveillait en eux des instincts parentaux enfouis, les enfonçant ainsi dans une sorte de sénilité précoce, au lieu de les rajeunir. Mon éditeur ne fait pas exception à ce type d’individus.
- Pourquoi avoir rédigé Joël sous forme de recueil de nouvelles ?
- J’abandonne vite, je me lasse facilement et j’ai beaucoup de mal à achever quelque chose, ou à revenir sur ce que j’estime en avoir fait le tour. La nouvelle est le procédé que j’ai trouvé pour terminer.
Vous savez, lorsque je laisse une nouvelle inachevée, j’ai le plus grand mal à la reprendre, car les idées fusent au fur et à mesure que la plume glisse sur le papier. C’est un peu le principe de l’écriture, pour tout vous dire. Donc, lorsque j’abandonne un texte en cours, les idées s’envolent et il est difficile de les recapturer.
J’ai aussi besoin d’inventer peu à peu le déroulement de l’histoire : lorsque je sais comment ça va finir, ça ne m’intéresse plus de l’écrire.
En somme, l’avantage des diverses voix de ce roman, c’est de raconter sur une centaine de pages du néant, il ne se passe rien et c’est intéressant quand même. Enfin, moi ça m’a intéressé.
- À quelle époque situeriez-vous l’action ?
- Encore aurait-il fallut qu’il y ait de l’action.
Si je n’ai pas donné de date, pas plus que je n’ai décrit Joël ou que je n’ai donné leurs âges, à lui et à Jerry, c’est pour éviter ce genre de parti pris selon lequel une histoire est forcément figée dans un cadre spatio-temporel fixe, avec des personnages clairs et définis, qui font des actions et qui évoluent.
Bien sûr, certains détails trahissent ma vision, même sans cadre rigide mais l’avantage de la littérature sur le cinéma, la peinture… je vous rappelle que c’est l’imagination. L’un des objectifs de la fiction est de transcender la réalité, la dépasser et s’affranchir des considérations bassement matérielles. Le théâtre tend vers cela, en parachutant des personnages sur des scènes parfois nues, et au spectateur de construire le reste.
Après, si vous êtes incapable de percevoir que O. vit en H.L.M., si vous avez besoin qu’on vous décrive un train, si vous ne sentez pas que le paysage urbain que les narrateurs laissent échapper renvoie à une époque moderne, je ne peux rien faire pour vous.
- En parlant des narrateurs… comment vous est venue l’idée d’un portrait croisé d’un être dont on ne sait finalement pas grand-chose ?
- Il me semble avoir écrit en toutes lettres que Joël est insaisissable. C’est vrai aussi en ce qui me concerne.
C’est la raison pour laquelle il n’est jamais narrateur et que ses mots, même à l’indirect libre, sont évités au maximum.
Je vais même vous faire une analyse psychologique digne d’un magazine féminin de culture, comme vous en rêvez. En plus, moi je le fais gratuitement. Peut-être que tout ce livre n’est qu’une tentative de le saisir.
- Vous avez réussi ?
- Si ça avait été le cas, ça n’aurait pas été marrant.
- Pourquoi ?
- La beauté n’est pas sublime dans son insanité ?
- Vous vous sentez proche de vos personnages ?
- Suffisamment pour retranscrire directement les pensées de Jerry et des autres Joël addicts, et caetera, et caetera.
Pas assez pour m’attaquer à Joël. Vous savez bien que ce roman n’est peut-être qu’une tentative de définir tout ce qu’il n’est pas.
- Avez-vous le sentiment de vivre votre vie de façon fragmentée, comme ce que vous écrivez ?
- J’imagine que vous essayiez à travers cette question de paraître intelligente et réfléchie. Je vous fais la grâce de ne rien ajouter et de ne pas vous pousser dans vos retranchements en tentant d’expliciter cette question. De plus, je pense avoir donné suffisamment de réponses « normales » entre les piques.
Bonsoir.

Samedi 11 avril 2009 à 11:41

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- J’ai eu le temps de m’évanouir trois fois et de faire cinq crises d’hypoglycémie en vous attendant. Je commence ma glace, vous ne m’en voudrez pas ? Oh, et puis, vous pouvez m’en vouloir, ça m’indiffère.
Vous ne prenez pas, n’est-ce pas ? Trop occupé à prendre des notes.
De toute façon, j’ai l’impression que vous n’en avez pas vraiment besoin…
- Mais !...
- Ah oui, c’est vrai. Pardon. Pas d’attaques sur le physique, c’est petit, à ma taille en somme. De plus, je suis une militante activiste anti-filiformisme, et idéal photoshopé. Comme toutes les femmes qui ont un corps de fillette de plus de douze ans, je suppose. Mais vous n’êtes pas là pour écouter les âneries stéréotypées que n’importe quelle minette normalement constituée et pas trop pouffiasse pourrait vous débiter. Parlons de moi, puisqu’il n’y a que ça qui vous intéresse. De moi et de mon glorieux ouvrage, cela va s’en dire. Parfois je me dis que vous autres, journalistes, êtes incapables de faire la différence. À croire que j’ai « Joël » imprimé sur le front et des jambes minces comme des feuilles de papier. J’aimerais bien, remarquez. Mais ne sombrons pas dans le vaseux et laissons-là ce sujet.
Par quoi voulez-vous commencer ?
- Hum…
- Brillante entrée en matière !
- Eh bien… Dans quelle mesure votre roman, Joël, est-il autobiographique ?
- Ça, c’est une question que vous aimez bien, vous les journalistes. Sans doute parce que de nos jours, nous sommes trop égocentristes pour produire quelque chose qui ne soit marqué par notre essence.
C’est une question stupide.
Je ne m’appelle pas Joël, du moins pas à ma connaissance, je ne suis pas un garçon, je n’ai pas de fans qui adulent ma personne alors que je suis ennuyeux à mourir, et je ne fume pas comme un pompier. Je n’ai jamais rencontré personne du nom de Joël, ni Noël, je n’ai pas les cheveux bouclés et les yeux gris, je n’ai pas un look androgyne, et j’oubliais le plus important : je n’ai jamais cherché à fuguer.
Tout de suite, l’autobiographie semble sérieusement compromise.
Après, bien sûr que les artistes… Quand je parle d’artistes, je parle des vrais, pas ces imposteurs qui captent la lumière grâce à des maquilleurs professionnels mais qui n’ont aucun éclat. Vous savez, ces acteurs et autres chanteurs plus préoccupés par paraître qu’à être, alors que c’est la base de la création, soit dit en passant, qui n’ont aucun talent que leur belle gueule, aucune tripe et rien à dire, qui héritent de leur « célébrité » sur un plateau, quoi qu’ils en disent, quoi qu’ils en pensent. Ils n’ont aucune raison de se prétendre artistes, mais ça ne les dérange aucunement. Les vrais emploient le terme avec respect, et ils utilisent leur oeuvre pour faire jaillir leur univers intérieur, forcément riche : c’est pour ça qu’on les nomme « artistes ». Ils ont quelque chose au fond d’eux, issu de ce qu’ils ont vécu, ressenti, imaginé, rêvé, quelque chose de neuf, quelque chose qui vient d’eux puisqu’il n’y a que ça qui soit encore neuf.
- Donc, selon vous, l’art est une autobiographie ?
- Non. Il est juste façonné de sentiments, de sensations… d’humain. Et puis, ce n’est pas comme si l’humain ne prenait qu’une forme.
- Où voulez-vous en venir ?
- L’esprit humain contient l’infini des possibles, vous ne pensez pas ?
Nous sommes capable d’avoir n’importe quel caractère, n’importe quel trait de personnalité.
Seulement, par goût et par éducation, mais aussi selon le cadre dans lequel on se trouve, les rencontres, les gens que l’on côtoie, on choisit de ne révéler que quelques facettes de tout ce que l’on peut être.
Ainsi, pour peu qu’on se « laisse aller », on laisse s’échapper un bout de cet infini, qu’on laisse habituellement dans l’ombre.
Qu’est-ce qu’un schizophrène ? Un fou, direz-vous.
Et s’ils n’étaient fous que parce qu’ils ne parvenaient pas à « choisir » un caractère ?
Et si nous les enviions, parce que nous-même n’avons pas envie de consacrer de l’énergie de faire sortir certains aspects de nous ? Parce que nous refoulons ces aspects contre notre gré, alors qu’eux n’ont pas de notion de bien et de mal, parce qu’ils ne cherchent pas à être parfait ?
Qu’on soit acteur, écrivain, ou même chanteur, c’est le même travail : on fait sortir quelque chose de nous, habituellement dans l’ombre… ou pas, et on observe comme ça réagit. À partir de là, on incarne, et on sort un livre, un film, un disque.
- Donc pour vous, nous sommes tous des schizophrènes refoulés ?
- Peut-être. Peut-être qu’un artiste, c’est quelqu’un qui gère mal sa schizophrène et qui l’évacue par un moyen détourné.
Au revoir.
- Mais… je n’ai pas fini l’interview…
- Ne vous plaignez pas, j’ai été incroyablement gentille. N’en demandez pas d’avantage.
- Mais…

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