A la demande générale (c'est-à-dire de personne), je vais vous conter mon week-end d'intégration tel qu'il me traumatisa.
Je ne manquerais pas d'envoyer la note du psy à Stanislas, lorsque dans quelques années pas si lointaines, je serai une scribouillarde vieille moche et névrosée, ce qui n'est pas si terrible puisque nous sommes tous névrosés.

Cela débuta dès le jeudi matin (comprendre cinq jours avant la rentrée du commun des mortels), par un discours très motivant à base de : « j'ai une marotte, c'est la rigueur. Lorsqu'en conseil on me dit « oh, tel élève est très rigoureux » et que je regarde l'élève, il est toujours bien mis de ses vêtements. Vous êtes des modèles pour les plus petits. Vous devez donc porter des cols, et oublier les sweats à capuche et les baskets. »
Euh, dites Monsieur le directeur, c'est parce qu'ils sont rigoureux qu'ils s'habillent bien, mais si je respecte le règlement vestimentaire, ma moyenne va pas monter miraculeusement de deux points (deux points c'est énorme en prépa) toute seule…
Et autres « Vous allez passer deux années de bonheur… INTENSES. Le choix du qualificatif intense n'est pas anodin. Mais ces deux années, vous allez enfin être heureux. Enfin de la difficulté intellectuelle ! Enfin un défi ! Oui, vous avez eu le bac, c'est normal, c'est comme grimper pour un alpiniste un mont de 50m. Mais grimper un mont de 3500m, c'est quand même beaucoup plus satisfaisant, non ? Vous, vous allez grimper un mont de 8000m. », « Vous avez tous été jugés capables, il n'y a pas de raison que vous n'y arriviez pas. » et « Je connais deux polytechniciens S.D.F., c'est qu'il devait leur manquer autre chose que les maths. » euh ?
Et un garçon de ma classe, abordant fièrement un catogan, s'est vu remettre la carte d'un coiffeur.
Il nous a également été rappelé que nous étions l'élite, et qu'il ne fallait surtout pas nous prendre pour des plébéiens, dans la gloire du Christ et le salut du monde, Amen.

Ensuite, petit discours du B.D.E. (Bureau Des Elèves ou comment traumatiser les petits Bizu –comprendre bizutés-) assez terrifiant, puis rendez-vous dans une grande salle pour passer un petit test.
Pour nous, HKS (hypokhâgneux), test de culture générale : commentaire de la citation tirée de l'ouvrage de Jean-Marie Meyer Nous sommes des animaux, mais on est pas des bêtes : « Ce n'est pas parce que la truffe de l'animal est à l'horizon de nos réflexions que, pour autant, le visage humain doit disparaître. »
Deux heures, six à huit pages.
Gloups.

Je commençais presque à trouver des idées et à partir en mode « figure libre » lorsqu'une grande musique a retenti dans le couloir (c'est pas vrai, on peut pas travailler tranquille ?), et le B.D.E. a débarqué, flanqué des Tradis (composés des « cubes », ceux qui redoublent leur deuxième année, et quelques deuxième année), qui nous ont sauvagement arrachés nos copies. C'était une blague. Trois ans qu'ils font le coup.

Nous avons donc eu le droit express de monter sur nos tables afin d'assister à une choré qui restera dans les mémoires.
Vous connaissez tous le Papa Pingouin ? Eh bien, il a fait une autre chanson fort rafraîchissante, au doux nom de « bisou bisou esquimau ». vous pouvez chercher sur You tube, je crois qu'il y a même la danse.
Nous avons ensuite reproduit ce ballet, dans un équilibre précaire et une grâce discutable, puis avons joué à quelques réjouissances, telles qu'une partie des « pouces en avant, les coudes en arrière »…
Les Tradis parcouraient pendant ce temps nos proses, et nous faisait partager leurs plus grandes hilarités.
Il faut savoir que pas un seul épicier (économiste) n'a été en mesure de définir monétarisme, et qu'un hypokhâgne a écrit phylosohie avec un y. Bravo les littéraires.
J'ai moi-même été appelée à lire publiquement ma prose devant tout le monde, à ma plus grande joie (à part mes mains qui tremblaient, ça a dû se voir du dernier rang… Remarquez, mieux vaut les mains que la voix.).
Un Tradi m'a d'ailleurs demandé « T'as fait du théâtre ?
- Oui.
- ça se voit pas. »
Comme il est spirituel ce petit !

Ensuite nous avons généreusement eu la permission de nous restaurer, deux heures de pause, avant une réunion avec des gens de la Sécu.
Il a également été question de T-shirts colorés par classe (bleu et blanc pour les Taupins –M.P.S.I., P.C.S.I., les matheux et physiciens -, rose pour HEC – économistes – et vert pour les hypokhâgne, que nous appellerons désormais les hiboux, peut-être –soyons fous- pour Athéna) (je précise pour les incultes que Athéna, déesse d'Athènes et de la sagesse, avait entre autres comme attribut le hibou ou la chouette. Un truc qui fait Uhu quoi.).
Moi, naïve, ai failli demander « où a lieu la distribution ? ».
Que croyais-je ? C'est à chacun de se procurer son magnifique (bien que magnifique et vert en matière vestimentaire soit proche de l'antithèse) T-shirt. Heureusement que j'avais une demi-heure d'avance.

Enfin munie de mon T-shirt vert des chez H&M (comble de l'élégance), je pus rejoindre les autres devant l'entrée de l'amphithéâtre où devant avoir lieu la rénuion.
14h à ma montre.

14h5.

14h10. On se moque des retardataires, alors que le matin même, on a eu droit à un laïus sur la ponctualité.
14h15. Si ça se trouve, c'était une blague et ils nous attendent dehors.
14h25. On sort.
 

Les Tradis nous accueillent et nous remettent une liste d'objets à trouver, par classe.
Chaque Tradi en demande deux ou trois, souvent en rapport avec son nom. Tradilyn Monroe veut une perruque blonde. Tradior j'adore veut un parfum Dior. Tradilungus, une suite au Lutécia avec trois prostitués de différentes horizons en lingerie fine. Et puis une robe, des menottes, une Audi, une bouteille de vin, le poney du Luxembourg, un fouet, un billet pour Ibiza pour Tradibiza, les chiens du directeur, une poupée gonflable, un caddie, un diabolo pêche, une bière japonaise, un équipement pour faire du squash, une chienne, un test de grossesse, le calot (sorte de chapeau qu'ont les Tradis) du directeur des prépas, de la cire à épiler…
Entre autres.
 

Les objets ne doivent ni être acheté ni volé, il faut donc négocier avec les commerçants, et ils doivent être restitués à leur propriétaire.
Mais le but ultime, c'est d'être le plus original possible. Une année, ils ont ramenés Jack Lang et une Ferrari.
 

Sur notre stand, il y avait un banc public, un matelas, une toile, les pellicules de film, des pubs pour Aubane à outrance…
On avait convaincu les croque-morts de l'église à côté de passer devant l'école, mais des HEC ont dû entendre et ont convaincu le chauffeur.
 

On a demandé à une policière dans sa voiture de passer devant l'école pour nous, mais elle a répondu vertement « vous savez que le bizutage est interdit Mesdemoiselles ? ».
Comme si nous étions en train de traumatiser quelques petits nouveaux.

On a demandé un diabolo pèche dans un restaurant, le patron était super aimable, super motivé, super empressé, trop même, il était là « j'ai le sirop, le verre je vous le donne, venez on va voir mes collègues pour leur demander s'ils ont de la limonade… » Il est bien resté avec nous quinze minutes (nous étions deux filles, et ma coéquipière est, je dois le dire, une Poupée Barbie brune).
Il nous a finalement laissé chercher notre limonade seules, en nous donnant sa carte pour la montrer au bar d'en face en disant qu'on vient de sa part, il nous a dit qu'il nous attendait…
Il était trop louche, nous n'y sommes pas allés, mais en passant à proximité ma coéquipière a cru le voir à la vitrine, qui nous guettait…
Il a dû patienter longtemps.

Après trois bonnes heures à battre le pavé, nous avons gagné un repos bien mérité et avons regagné nos pénates (à part les internes, qui ont dû jouer à un puissance quatre géant, dans un des bâtiments, les fenêtres faisant office de cases. Ils devaient monter dans les classes allumer les salles que les Tradis jouaient, sauf que d'autres Tradis les attendaient dans le couloir pour les massacrer. Le lendemain certains avaient encore la tête qui tournait. Sans compter le petit footing matinal (réveil 5h30), deux tours du Luxembourg avec Mr le dirlo qui traçait tout le monde apparemment. Ga.).