Je ne vois pas pourquoi vous dites que c'est si triste. Je vais enfin m'arracher à cette prison.
J'entends des pas dans le couloir, ma cigarette se noie dans la cuvette des toilettes.
Je suis lasse de cette non-vie ouatée, où les bruits du monde extérieur sont amortis, étouffés. Il ne faudrait surtout pas que nous nous heurtions à la réalité.
Nous sommes coupés de tout, anesthésiés par quelques rayons de soleil, nous nous raccrochons aux derniers lambeaux d'indolence qu'il nous reste.
Je veux de la viande rouge. Je veux du sang.
Je suis au sommet de la chaîne alimentaire et je ne supporterais pas un instant de plus d'être tenue en laisse comme un vulgaire toutou.
Ici, c'est le jardin d'Eden, comme si quelque chose comme moi pouvait y être convié.
J'augure que la chute originelle s'approche, langoureusement, insidieusement, les herbes hautes me l'ont maintes fois susurré, je le sens contre ma peau, jusque dans mes os.
Et comme je voudrais hurler, arracher les tentures de ma cellule dorée, planter mes canines dans leurs gorges trop blanches et trop délicates, user de ma liberté, puisque je suis leur prédateur, puisque j'ai gagné ma liberté à force de bonne conduite, puisque je suis une « grande », comme on s'acharne à me le répéter, alors pourquoi me traite-t-on toujours comme une enfant ?
Personne ne s'inquiète du danger, peut-être le cachent-ils bien, comme s'il ne pouvait nous rattraper, comme si nous étions hors d'atteinte, mais personne ne peut échapper à l'immuable écoulement du temps, n'est-ce pas ?
C'est trop facile de détourner les yeux e de ne plus y penser.
Je suis un vampire. Il n'est pas dans ma nature de craindre.
Mais qu'importe, au fond. Même pas un mois à tirer dans cette prison sucrée et poisseuse, et plus rien de tout cela n'aura plus le moindre sens.
Nous abandonnerons ce qui fût comme un peau trop étroite, et plus rien ne sera comme avant et cela n'a aucune réelle importance, n'est-ce pas ?
Tout se tait, et les pas se sont éteints depuis longtemps déjà.
Enfin je peux m'enfuir, enfin je suis libre. Souhaitez-moi bonne chasse.
Vendredi 16 mai 2008 à 20:01
Dimanche 27 avril 2008 à 23:27
- Qu'en penses-tu ?
- Je pense qu'il est temps de partir.
- Ne cherche pas à te dérober. Regarde-moi. Tu ne peux pas t'échapper. Tu le sais ça au moins ?
Qu'en penses-tu, petite chose ?
- J'en pense que vous êtes bien cruelle. Cet homme pourrait être un des miens.
- Empêche-moi, en ce cas.
- Comme si j'y pouvais quelque chose…
- Sauve-le… Si tu en es capable…
- Vous êtes bien cruelle.
Samedi 12 avril 2008 à 12:34
Je l'ai rencontrée dans un cimetière. Je vous dis ça parce que tout commence par une rencontre, n'est-ce pas ?
C'est bien son genre, de hanter les tombes. Son ironie bien à elle.
Non, ce n'est pas vrai. Je l'ai rencontrée au bord de la falaise.
Elle se tenait souvent ainsi, je crois, les yeux rivés sur le gouffre, luttant contre la morsure solaire, à attendre qu'une âme perdue empiète sur son territoire. Que quelqu'un saute. De quoi se nourrir.
Et bien sûr que j'étais un de ces pauvres hères, au bord du ravin.
Elle était sur sa souche d'arbre, elle me regardait tergiverser avec un sourire désabusé.
Je ne l'ai pas vue tout de suite, tourmentée comme je l'étais par mon petit drame personnel.
« Tu ne veux pas vraiment mourir, n'est-ce pas. »
Je crois que c'est la première chose qu'elle m'ait dite.
J'ai fait volte-face, surprise de ne pas être seule.
Elle avait une coupe à la main, j'apprendrais plus tard qu'elle était en cristal, à demi remplie d'un liquide rougeâtre, je me souviens d'avoir distraitement cherché une bouteille des yeux, sans la trouver.
Le vent fulminait entre les arbres du bois, derrière elle, les nuages s'étiraient pareils à un tapis de poussière et la mer, en contrebas, couleur morganite, était effervescente.
Joli temps pour mourir.
Devant mon minois interloqué, elle a éclaté d'un rire cristallin et a bu une autre gorgée de son breuvage.
« Je ne vous en propose pas, je doute que vous appréciiez. » a-t-elle précisé avec des manières exquises. Si j'avais su…
« Pardon ? » ai-je fini par articuler.
« C'est ridicule, vraiment, tous ces imbéciles qui croient qu'ils souffrent le martyr à la moindre contrariété mineure. Si tu savais les légions qui défilent le long de ce précipice, à essayer de voir leur petit reflet narcissique dans les houles, comme si leur mort allait les délivrer de je ne sais quelle affliction, je ne sais quel cataclysme, et tout cela est tellement dérisoire. Vous autres, mortels, vous supprimez pour des motifs triviaux, vous avez perdus le sens du véritable drame, de la mise en scène. Roméo & Juliette n'aurait aujourd'hui rien d'original, il faudrait en faire un vaudeville pour qu'il y ait encore des entrées. Vous ne savez plus souffrir, vous émouvoir, aimer. Et toi, tu es comme les autres. Encore une vie gâchée pour rien. Remarque, dans un sens, ça me rend les choses plus facile… »
Elle parut soudain se souvenir de ma présence.
« Tu veux de l'aide, peut-être ? Tu veux que je te pousse ? »
Elle s'était alors levée d'un mouvement leste et gracieux et s'approchait de moi avec des manières de danseuse.
« Je puis abréger tes souffrances, tu sais… » a-t-elle susurré à mon oreille en se glissant dans mon dos, une main sur ma gorge. Elle était féline. Et dangereuse.
« Quel est ton nom ? Non, ne me le dis pas. Je n'ai pas envie de le savoir. Tu veux vraiment mourir ? Laisse moi faire. Laisse la mort à ceux qui s'y connaissent. Ceux qui n'ont plus le choix… »
Elle ne me parlait pas vraiment, elle se parlait plutôt à elle-même, elle parlait comme quelqu'un qui avait dû se taire pendant très longtemps…
« Vous avez envie de mourir ? » je lui ai demandé, parce que je ne voyais pas très bien où elle voulait en venir.
Le charme était brisé.
Elle a regagné sa souche et a saisi son verre pour en prendre une nouvelle gorgée, en me jetant un regard ambigu.
« Moi ? Quelle idée saugrenue. Allons, distrais-moi. Parle-moi de toi. Qu'est-ce que tu fais ici ? Ce n'est pas un endroit pour les filles de ton âge. »
Les airs supérieurs qu'elle se donnait m'exaspérait.
« On dirait que le temps se couvre. » a-t-elle constaté avec un sourire acéré, comme si cette remarque sur les aléas climatiques enfermait une fine facétie dont elle seule goûtait le sel.
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