Samedi 12 avril 2008 à 12:34

Je l'ai rencontrée dans un cimetière. Je vous dis ça parce que tout commence par une rencontre, n'est-ce pas ?
C'est bien son genre, de hanter les tombes. Son ironie bien à elle.

Non, ce n'est pas vrai. Je l'ai rencontrée au bord de la falaise.
Elle se tenait souvent ainsi, je crois, les yeux rivés sur le gouffre, luttant contre la morsure solaire, à attendre qu'une âme perdue empiète sur son territoire. Que quelqu'un saute. De quoi se nourrir.

Et bien sûr que j'étais un de ces pauvres hères, au bord du ravin.
Elle était sur sa souche d'arbre, elle me regardait tergiverser avec un sourire désabusé.

Je ne l'ai pas vue tout de suite, tourmentée comme je l'étais par mon petit drame personnel.

« Tu ne veux pas vraiment mourir, n'est-ce pas. »
Je crois que c'est la première chose qu'elle m'ait dite.
J'ai fait volte-face, surprise de ne pas être seule.
Elle avait une coupe à la main, j'apprendrais plus tard qu'elle était en cristal, à demi remplie d'un liquide rougeâtre, je me souviens d'avoir distraitement cherché une bouteille des yeux, sans la trouver.

Le vent fulminait entre les arbres du bois, derrière elle, les nuages s'étiraient pareils à un tapis de poussière et la mer, en contrebas, couleur morganite, était effervescente.
Joli temps pour mourir.

Devant mon minois interloqué, elle a éclaté d'un rire cristallin et a bu une autre gorgée de son breuvage.
« Je ne vous en propose pas, je doute que vous appréciiez. » a-t-elle précisé avec des manières exquises. Si j'avais su…

« Pardon ? » ai-je fini par articuler.
« C'est ridicule, vraiment, tous ces imbéciles qui croient qu'ils souffrent le martyr à la moindre contrariété mineure. Si tu savais les légions qui défilent le long de ce précipice, à essayer de voir leur petit reflet narcissique dans les houles, comme si leur mort  allait les délivrer de je ne sais quelle affliction, je ne sais quel cataclysme, et tout cela est tellement dérisoire. Vous autres, mortels, vous supprimez pour des motifs triviaux, vous avez perdus le sens du véritable drame, de la mise en scène. Roméo & Juliette n'aurait aujourd'hui rien d'original, il faudrait en faire un vaudeville pour qu'il y ait encore des entrées. Vous ne savez plus souffrir, vous émouvoir, aimer. Et toi, tu es comme les autres. Encore une vie gâchée pour rien. Remarque, dans un sens, ça me rend les choses plus facile… »
Elle parut soudain se souvenir de ma présence.
« Tu veux de l'aide, peut-être ? Tu veux que je te pousse ? »
Elle s'était alors levée d'un mouvement leste et gracieux et s'approchait de moi avec des manières de danseuse.
« Je puis abréger tes souffrances, tu sais… » a-t-elle susurré à mon oreille en se glissant dans mon dos, une main sur ma gorge. Elle était féline. Et dangereuse.
« Quel est ton nom ? Non, ne me le dis pas. Je n'ai pas envie de le savoir. Tu veux vraiment mourir ? Laisse moi faire. Laisse la mort à ceux qui s'y connaissent. Ceux qui n'ont plus le choix… »
Elle ne me parlait pas vraiment, elle se parlait plutôt à elle-même, elle parlait comme quelqu'un qui avait dû se taire pendant très longtemps…

« Vous avez envie de mourir ? » je lui ai demandé, parce que je ne voyais pas très bien où elle voulait en venir.
Le charme était brisé.
Elle a regagné sa souche et a saisi son verre pour en prendre une nouvelle gorgée, en me jetant un regard ambigu.
«  Moi ? Quelle idée saugrenue. Allons, distrais-moi. Parle-moi de toi. Qu'est-ce que tu fais ici ? Ce n'est pas un endroit pour les filles de ton âge. »
Les airs supérieurs qu'elle se donnait m'exaspérait.
« On dirait que le temps se couvre. » a-t-elle constaté avec un sourire acéré, comme si cette remarque sur les aléas climatiques enfermait une fine facétie dont elle seule goûtait le sel.

Par yurie le Samedi 12 avril 2008 à 12:48
ouah ! c super bien écrit! ^^
bsx!
Par CeNedra le Dimanche 13 avril 2008 à 10:36
aaaah bah la voila ta ptite histoire de vampire!!! xD depuis le temps =P

En tout cas j'adore. . (en plus c'est contre le suicide! donc moralement irrérochable! (l'argument de boite de conserve...))

I luv U (trop frais!)
 

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