Samedi 2 octobre 2010 à 23:14

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Avant que la porte ne daigne s’ouvrir, Alice était devenue experte dans le tombé des draperies qui encadraient les lucarnes. La femme aux chignons consultait régulièrement sa montre en soupirant, mais ne se fendait d’aucun commentaire, ce qui agaçait Alice qui ne savait pas comment engager la conversation pour passer le temps.
Le serviteur, mu d’une impulsion soudaine, tira la poignée sur un rire léger, enfantin. La femme aux chignons bondit sur ses pieds et se présenta à l’embrasure de la porte. Alice, faute de mieux, la suivit.
Un laquais invisible annonça « le lapin blanc et Alice demandent à voir la Reine ». Une voix cristalline répondit d’un ton las « et bien qu’elles entrent ».
Dans la pièce, qui donnait sur les jardins (des roses rouges embrassaient la balustrade, courbées comme si elles étaient sur le point de s’assoupir), un homme âgé, l’air préoccupé, regardait le paysage comme s’il rêvait de s’échapper. Il était assis derrière un bureau croulant sous des piles de papiers jaunis. Deux larbins, harengs de leur état, encadraient la porte, les yeux rivés sur une femme assise sur une pile de coussins pourpres, à même le sol, elle jouait avec une peluche.
Alice supposa que ce devait être la Reine, puisque c’était la seule femme, elle fut cependant surprise de la jeunesse des traits de la femme lorsqu’elle se tourna vers Alice. Elle ne paraissait pas avoir plus de vingt ans, et les moues qu’elle prenait en inspectant Alice du regard la rajeunissaient encore. Drôlement jeune pour une directrice, se dit Alice. Pas étonnant qu’elle prenne un titre prétentieux comme « Reine ».
Alice décida de scruter la Reine en retour : deux mèches cerise encadraient son visage, mais le reste de sa chevelure était noir ténèbres, massée en chignon sur la nuque. Ses yeux noirs avaient pris un éclat dur alors qu’elle détaillait Alice. Elle était cependant très belle, avec son teint d’albâtre et la robe groseille, décolletée et très ajustée à la taille, qui moulait ses formes.
La Reine soupira finalement et lâcha d’un ton indifférent « c’est donc toi Alice qui a décimé tant de mes hommes. Tu veux jouer avec moi ? ». Alice, un peu désarçonnée, regarda autour d’elle afin de s’assurer que l’invitation lui était destinée. La Reine répéta avec un sourire léger « viens jouer avec moi. » et elle se consacra à nouveau à sa peluche. Les domestiques avaient fait un pas en avant, comme pour couper toute retraite à la jeune femme. Elle s’assit donc sur les coussins, un peu anxieuse : elle ne comprenait pas ce qu’on attendait d’elle. La Reine dégagea une brosse à cheveux d’entre les polochons et commença à coiffer Alice, tirant sans délicatesse sur les boucles de la jeune femme. Alice voulait protester mais chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, le Lapin Blanc, le vieil homme ou les serviteurs la regardaient d’un air si sévère qu’elle renonçait et refermait la bouche, comme un poisson.
« Qu’on lui coupe la tête. » annonça brusquement la Reine, en laissant la brosse plantée dans les cheveux d’Alice., se consacrant à nouveau à son chaton en peluche.
« -Ma Reine, glissa le vieil homme, ce n’est pas la bonne Alice. Celle à laquelle vous pensez est brune.
- Et alos ? Je la déclare coupable du crime de s’appeler Alice Elle mérite de mourir.
- Majesté, si elle est bien ce que je pense, c’est une étrangère, et nous n’en avons pas vu depuis… Il faudra demander à la maison du Trèfle. Quoi qu’il en soit, nous devrions probablement l’interroger avant de la remettre entre les mains de la justice, si je puis me permettre.
- Trop tard, je n’ai plus envie. Je n’ai jamais eu d’étranger de compagnie. Qu’elle reste. »
Soudain, Alice fronça le nez. Une odeur infecte saturait l’atmosphère, elle se demandait comment elle avait pu ne pas la sentir plus tôt. La Reine n’en semblait pas incommodée le moins du monde.
« -En parlant d’animal de compagnie, ma Reine, je crois qu’il serait temps d’adopter un nouveau chat, je crois que l’odeur qui émane de votre dernier favori semble indisposer Alice. »
Alice comprit alors avec un haut-le-cœur que ce qu’elle avait pris pour une peluche était en fait un animal (mort). La Reine jouait depuis dix minutes avec un cadavre.
« Dommage. Il était joli. » soupira la Reine en jetant la dépouille par-dessus son épaule, elle heurta le mur avec un bruit sourd.
«- Papa, il faut que tu me trouves un chaton qui m’obéit, comme ça ils dureront plus longtemps.
- Ma Reine, répondit le vieil homme (le Roi ? Mais pourquoi était-elle reine alors que son père était toujours en vie ?), vous ordonnez à vos chatons de ne pas grandir, c’est impossible.
- Je ne grandis pas, moi. » Elle se tourna vers Alice. « Tu n’es pas très distrayante, Alice l’étrangère. Sais-tu jouer au criquet ?
- non, personne n’y joue plus là d’où je viens.
- Tu es donc coupable d’incapacité notoire. Dommage qu’on ne puisse pas te couper la tête pour l’instant. Qu’on l’emmène chez les Trèfles, ils sauront peut-être quoi faire d’une handicapée. »
Alice la blonde sentit qu’on lui empoignait fermement les bras avant qu’on ne la traine hors du Cabinet du trône, à l’envers. Elle vit l’antichambre, puis les couloirs, puis l’entrée du lycée, puis le lycée et ses jardins s’éloigner, tandis qu’on la tirait vers les Trèfles, quoi que cela puisse signifier. « Quel drôle de monde, je vais être examinée par des plantes. » songea Alice en imaginant un trèfle à trois feuilles géant penché au-dessus d’elle, la feuille du centre ornée de deux yeux et d’une bouche, les feuilles latérales jointes pour tenir une loupe.

Lundi 31 mai 2010 à 19:51

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Alice se fit la réflexion que pour un lycée, l’endroit était étrangement calme. D’ordinaire, il y a toujours quelques élèves profitant d’une heure de pause pour prendre le soleil (c’était peut-être ça : l’absence de soleil dans ce monde) ou au moins, le bruissement de quelques animaux dans les buissons, un peu de vie entre les haies austères.
Comme pour la contredire, une sonnerie retentit, dissipant le silence de mort. Un cri amplifié par cents haut-parleurs lui fit ensuite écho : « élèves, sortez en rang et gagnez les salles de repos. Les fauteurs de troubles auront la tête coupée ! »
« Avec de telles méthodes éducatives, pas étonnant que tout soit si silencieux » songea Alice la blonde en frissonnant.
Elle était arrivée devant une porte imposante, encadrée par deux valets en livrée, campés sur leurs lances. Ils ne semblaient pas la voir.
Alice fit mine de frapper à la porte mais avant qu’elle ne put achever son geste, les deux gardes avaient avancés d’un pas vers elle, croisant leurs lances devant l’entrée. Ils lui semblaient un peu trop proches –et vaguement hostiles.
« Vous êtes en retard. » dit celui qui était à sa droite.
« En retard pour quoi ? » demanda Alice, décontenancée.
« Vous n’êtes pas une élève ? » demanda le second.
« - Non.
- Mais alors qui êtes-vous ?
- Je suis Alice.
- Alice ?! » répétèrent-ils de concert, et ils firent un nouveau pas en avant, de sorte qu’Alice se sentait prise en étau.
« Alors vous avez décidé de vous rendre ? Qu’on l’amène à la Reine ! » s’exclama l’un des deux.
La porte s’ouvrit brusquement sur la femme aux chignons blancs, qui faisait les cent pas. Alice put alors l’observer de plus près. Ses chignons avaient une forme inhabituelle, non-sphérique, comme une sorte de sucette plate ou d’oreilles de lapin. Elle portait un costume d’homme noir (pantalon gilet par-dessus une chemise blanche). Elle tira une montre à gousset d’une poche de son habit, regarda l’heure en soupirant et toisa Alice.
« Eh bien, dépêchez-vous ! La Reine attend ! » dit-elle en s’engageant dans un couloir. Alice lui emboita le pas, en se demandant pourquoi on l’emmenait d’emblée auprès de ce qui semblait être la dirigeante de l’établissement.
Le lycée sembler se caractériser par des dédales et des coursives qui s’entrecroisaient, s’entremêlaient et Alice craignait de perdre son guide à chaque bifurcation.
Finalement, elle s’immobilisa devant ce qui semblait être une antichambre. Le papier-peint était sommaire (rouge, des motifs en cœur noirs), les fenêtres aveugles étaient barrées de tentures carmins. Les banquettes en velours ras, en forme de cœur, invitaient les visiteurs à rester debout.
La porte en acajou était ornée des lettres « directrice : sa majesté la Reine de cœur. Attendez qu’on vous invite à entrer. »
Un lézard en laquais siégeait à côté de la porte, comme pour prévenir tout crime de lèse-majesté (comme frapper à la porte).
Il contempla les deux arrivantes d’un œil torve pendant quelques minutes avant de leur demander d’un ton monocorde le motif de leur présence.
La femme aux chignons répondit simplement « Alice s’est présentée à la porte ».
Le lézard profita de cette occasion pour prouver qu’il était plus qu’une statue parlante : il s’assit à un secrétaire, chaussa sur son nez des lunettes en demi-lune comme une vieille institutrice (ce qui provoqua chez la jeune fille un fou-rire qui lui valut des regards de mépris des deux autres membres de l’assemblée) et écrit quelques mots sur un parchemin d’un air inspiré avant de regagner son poste.

Mercredi 19 mai 2010 à 16:36

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En regardant autour d’elle, Alice s’aperçut à sa grande surprise qu’elle n’était pas à la surface comme la photo le faisait croire, mais dans une vaste grotte. Le plafond était couvert d’une substance lumineuse (suffisamment pour rappeler un jour dans le monde d’Alice, par ciel nuageux).
Au loin, Alice entrevit la femme aux cheveux blancs, son visage perçait parfois entre les haies qui formaient le labyrinthe du jardin, qu’elle semblait arpenter méthodiquement, une à une, à petits pas pressés.
Les buissons, remarqua Alice, se mêlaient de rosiers chargés de fleurs rubis et noires.
Alice s’engagea dans une allée, décidée à gagner l’entrée du château.
Au détour d’un massif, Alice découvrit une fontaine au jet étrangement carmin. C’était un bassin de marbre blanc, les sculptures d’où s’écoulaient le liquide rubis étaient quatre cartes à jouer, des valets. À la surface du bassin se reflétait le sourire fantomatique d’un chat invisible.
Alice se pencha au-dessus de l’eau (ou quoi que ce fut) et le chat en profita pour lui donner un coup de griffe, lui labourant la joue.
Alice eut un mouvement de recul. Lorsqu’elle fléchit à nouveau, le chat avait disparu. Mais le sang sur ses doigts lorsqu’elle effleura sa pommette prouvait qu’elle n’avait pas rêvé.
Désorientée, Alice la blonde contempla quelques instants le bassin mais la surface ne lui renvoyait que son image. Elle décida alors de reprendre sa marche vers la bâtisse.

Vendredi 14 mai 2010 à 15:20

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Alice la blonde venait d’atterrir presque malgré elle dans une salle d’attente rectangulaire (bien qu’Alice n’en discernait que la longueur), cernée de part et d’autre par une rangée de sièges qui semble s’étendre à l’infini. Quelques guéridons disposés à intervalles réguliers ornaient la pièce, supportant une même composition florale sophistiquée, et quelques tableaux en trapèze, pendus de travers aux murs, complétaient la décoration. À part les toiles, tout était coordonné en noir et blanc.
Et puis il y avait Alice la blonde, perdue dans cette salle immense. Alors elle s’est mise en marcher, déterminée à trouver une porte, quelqu’un, un moyen de s’échapper (l’ascenseur semblait avoir disparu pendant qu’elle explorait la pièce du regard) mais après peut-être dix ou quinze minutes les murs ne semblaient toujours pas s’être rapprochés. Alice la blonde compris qu’elle n’en viendrait pas à bout de cette façon.
Ses jambes lui lançaient, elle dut se résoudre à s’asseoir et à saisir un des magazines en noir et blanc posé sur l’une des tables basses. Toutes les couvertures étaient identiques. Alice feuilletait la revue mais elle n’arrivait pas à se concentrer son attention, son regard ne cessait de dériver du papier glacé. Elle tournait les pages machinalement, pour se donner une contenance.
Soudain une photo attira son attention. Elle représentait une large bâtisse d’un ou deux étages, un vieux manoir, entourée d’un grand jardin.
Alice se sentait irrépressiblement attirée par ces fleurs aux couleurs vives, cette herbe émeraude. La fascination étrange d’une photo de hasard, légendée "le lycée du château de cartes".
Lorsque ses yeux se détachèrent de l’image, un bureau était apparu près d’Alice. Une jeune femme remplissait des mots croisés, un guichet de plexiglas l’emprisonnait, au dessus de sa tête indiquait un panneau "accueil".
Alice la blonde décida de ne se formaliser de cette matérialisation soudaine et toqua à la vitre (elle espérait qu’on pourrait lui indiquer la direction du lycée du château de cartes). L’hôtesse haussa des sourcils dessinés au crayon.
« -Vous voulez y aller par le Nord ou par le Sud ?
- Pardon ?
- Le lycée. Si vous voulez y aller par le Nord, il vous faudra remplir le formulaire B727 vert. Si vous voulez y aller par le Sud, il vous faut que vous signiez le circulaire A567 rose.
- Je ne sais pas.
La réceptionniste soupira, fouilla dans quelques tiroirs et glissa deux feuillets par la fente de communication.
Alice la blonde s’en empara, vaguement étourdie. Le store venait de se baisser, de sorte qu’Alice ne pouvait en tirer plus amples informations. Au hasard, Alice signa le papier rose, rose c’est une jolie couleur, et le glissa dans l’interstice d’une boite aux lettres taillée dans le verre. En réponse, une clef s’échappa du rabat, percutant le sol carrelé avec un tintement.
Alice s’en empara puis se mit en marche vers ce qu’elle imaginait être le Sud.
Bientôt, Alice aperçut une porte qui se découpait entre deux chaises. Elle tourna la clef dans la serrure mais la porte restait immobile, comme par défi. Elle en déduisit qu’elle avait dû se tromper de sens et rebroussa chemin. La porte s’ouvrit dans son dos, par caprice. La jeune femme sentit un courant d’air effleurer son dos, elle revint sur ses pas et franchit l’embrasure. Devant elle s’étendait un jardin sophistiqué, à la française. En arrière plan, le castel qu’elle avait vu sur la photo, bardée de deux ailes qui semblaient lui tendre les bras.

Vendredi 14 mai 2010 à 14:42

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C’était un jour ordinaire au pays des Merveilles. Alice la brune et ses pieux s’apprêtaient à incendier quelques cartes au service de la Reine de cœur, une victoire dérisoire. Une victoire quand même.
Mais c’était sans compter Alice (la blonde, la Alice du monde habituel). Alice la blonde est naïve et pleine de curiosité, Alice a soif d’aventures. Alors Alice la blonde a suivi la femme aux chignons blancs dans l’ascenseur, bien sûr les portes se sont refermées avant qu’Alice ait pu l’y rejoindre, alors elle appuya avec énergie sur le bouton d’appel, jusqu’à ce qu’on la laisse entrer dans la petite boite rectangulaire. Avant qu’elle ait pu appuyer sur un seul bouton d’étage, l’ascenseur prit l’initiative de tomber, les étages défilaient mais bientôt il n’y eut plus d’étages à afficher sur l’écran digital, l’ascenseur tombait, tombait, jusqu’aux entrailles de la Terre.
Et quand Alice la blonde entra au pays des Merveilles (expulsée par l’ascenseur sur un carrelage en damier), Alice la brune dut sortir. Cette dernière n’aurait su expliquer comment elle était arrivée dans cette caisse de métal, qu’elle n’avait jamais vue, et pourtant elle y était enfermée, et elle sentait la pression de la gravité à laquelle elle s’arrachait, et soudain les battants s’écartèrent sur le 100ème étage d’un building. Alice la brune franchit le seuil, c’était une large pièce dont la baie vitrée s’ouvrait sur d’autres gratte-ciels et un coin de ciel, elle était vêtue de cuir et avait encore un pieu aiguisé à la main, il y avait dans son regard une lueur qui disait qu’elle était prête à enflammer le monde. Elle était au sommet du monde. Alice la brune contenait sa frayeur sous un masque d’acier, elle n’avait jamais vu la lumière du jour. Elle se sentait perdue car elle ne savait pas si les gens qu’elle apercevait étaient des alliés ou des cibles. Heureusement, elle n’allait pas tarder à le découvrir. Mais ce n’est pas l’objet de cette histoire.

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