Alice se fit la réflexion que pour un lycée, l’endroit était étrangement calme. D’ordinaire, il y a toujours quelques élèves profitant d’une heure de pause pour prendre le soleil (c’était peut-être ça : l’absence de soleil dans ce monde) ou au moins, le bruissement de quelques animaux dans les buissons, un peu de vie entre les haies austères.
Comme pour la contredire, une sonnerie retentit, dissipant le silence de mort. Un cri amplifié par cents haut-parleurs lui fit ensuite écho : « élèves, sortez en rang et gagnez les salles de repos. Les fauteurs de troubles auront la tête coupée ! »
« Avec de telles méthodes éducatives, pas étonnant que tout soit si silencieux » songea Alice la blonde en frissonnant.
Elle était arrivée devant une porte imposante, encadrée par deux valets en livrée, campés sur leurs lances. Ils ne semblaient pas la voir.
Alice fit mine de frapper à la porte mais avant qu’elle ne put achever son geste, les deux gardes avaient avancés d’un pas vers elle, croisant leurs lances devant l’entrée. Ils lui semblaient un peu trop proches –et vaguement hostiles.
« Vous êtes en retard. » dit celui qui était à sa droite.
« En retard pour quoi ? » demanda Alice, décontenancée.
« Vous n’êtes pas une élève ? » demanda le second.
« - Non.
- Mais alors qui êtes-vous ?
- Je suis Alice.
- Alice ?! » répétèrent-ils de concert, et ils firent un nouveau pas en avant, de sorte qu’Alice se sentait prise en étau.
« Alors vous avez décidé de vous rendre ? Qu’on l’amène à la Reine ! » s’exclama l’un des deux.
La porte s’ouvrit brusquement sur la femme aux chignons blancs, qui faisait les cent pas. Alice put alors l’observer de plus près. Ses chignons avaient une forme inhabituelle, non-sphérique, comme une sorte de sucette plate ou d’oreilles de lapin. Elle portait un costume d’homme noir (pantalon gilet par-dessus une chemise blanche). Elle tira une montre à gousset d’une poche de son habit, regarda l’heure en soupirant et toisa Alice.
« Eh bien, dépêchez-vous ! La Reine attend ! » dit-elle en s’engageant dans un couloir. Alice lui emboita le pas, en se demandant pourquoi on l’emmenait d’emblée auprès de ce qui semblait être la dirigeante de l’établissement.
Le lycée sembler se caractériser par des dédales et des coursives qui s’entrecroisaient, s’entremêlaient et Alice craignait de perdre son guide à chaque bifurcation.
Finalement, elle s’immobilisa devant ce qui semblait être une antichambre. Le papier-peint était sommaire (rouge, des motifs en cœur noirs), les fenêtres aveugles étaient barrées de tentures carmins. Les banquettes en velours ras, en forme de cœur, invitaient les visiteurs à rester debout.
La porte en acajou était ornée des lettres « directrice : sa majesté la Reine de cœur. Attendez qu’on vous invite à entrer. »
Un lézard en laquais siégeait à côté de la porte, comme pour prévenir tout crime de lèse-majesté (comme frapper à la porte).
Il contempla les deux arrivantes d’un œil torve pendant quelques minutes avant de leur demander d’un ton monocorde le motif de leur présence.
La femme aux chignons répondit simplement « Alice s’est présentée à la porte ».
Le lézard profita de cette occasion pour prouver qu’il était plus qu’une statue parlante : il s’assit à un secrétaire, chaussa sur son nez des lunettes en demi-lune comme une vieille institutrice (ce qui provoqua chez la jeune fille un fou-rire qui lui valut des regards de mépris des deux autres membres de l’assemblée) et écrit quelques mots sur un parchemin d’un air inspiré avant de regagner son poste.