Lundi 9 juin 2008 à 15:05

Mon lointain, mon bel amour, mon ange terrible

Je suis seule à nouveau.
Je ne te blâme pas. Je connais tes lois, tu me les as trop souvent répétées.

Je t'écris à la lueur dansante du feu : tu sais que je ne suis pas riche.
Tu sais que je n'ai rien à t'offrir que mon sang.

J'ai si froid…
Toi qui as vécu des siècles, tu sais combien l'homme est seul, à présent.
Je croise sans cesse mes semblables, leurs mains me frôlent sur la voie publique, dans les échoppes, leur peau se colle à la mienne et leur souffle effleure mon cou alors que nous nous entassons dans ces conserves à grande vitesse qui t'intriguent tant, l'étoffe de leurs atours bruit contre ma pelisse et je suis tellement seule…

Depuis que je t'ai rencontré, je haïs les humains car ils me font douloureusement ressentir que je n'appartiens pas à ta race.

Pourquoi ne m'accordes-tu pas ce présent ? Pourquoi ne me fais-tu pas tienne à jamais ?
Tu dis que tu ne m'aimes pas. Je le conçois aisément.
Les humains ne sont que des tas de viande qui bougent. Il n'y a rien de beau en eux.
Je n'ai jamais eu d'affection pour un bœuf. Ce n'est qu'un repas potentiel, alors pourquoi toi, le prédateur, t'amouracherais-tu d'un de tes repas ?
Mais si tu ne m'aimes pas, que t'importe de faire de moi une enfant des ombres ?
Décharge-toi du fardeau de l'éternité. Laisse-moi être cette main secourable qui guidera tes pas épuisés.

Tu te fais vieux, Lévithan.
Ta peau est aussi tendre qu'autrefois mais sache que je distingue le vieillard sous tes traits figés.
Laisse-moi te servir. Laisse-moi être ta servante, ton esclave. Laisse-moi te sauver.

Tu as besoin de moi, tu sais que tu as besoin de moi, sans quoi tu ne reviendrais pas toujours, n'est-ce pas ?

Je ne suis pas comme cet autre qui te ronge, que tu crains et que tu adores.
L'immortalité est mon lot. Elle est nécessaire à la tâche qui m'a été assignée.
Je suis née pour elle et pour te servir, Lévithan.
Je suis née pour toi. Mon cœur me l'a trop répété.

Je sais que tu regrettes.
Je sais que tu as peur, je connais ce qui te trouble.
Tu n'es pas fait pour être seul, Lévithan, tu n'es pas fait pour ce siècle.

En lieu et place de cet isolement sans fond, de ces filles insignifiantes que tu prends chaque soir pour oublier qu'elles n'ont pas ce que tu cherches, qu'elles ne sont pas ce que tu cherches, pour oublier qu'elles ne peuvent combler le vide, prends-moi toute entière.

Je suis à toi de toute éternité.
Lévithan, j'ai si froid sans toi.
Accordes-moi ton sang. Une dernière fois. Tu en as autant besoin que moi.

K.

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