Jeudi 10 décembre 2009 à 17:40

Le dieu de l’histoire vaut particulièrement le déplacement. Il est détendu, parce que 90% du boulot doit être fait par les élèves (et donc que finalement son cours on s’en fout presque) et qu’il rode le même cours depuis 20 ans.
Oui parce qu’il y a un cours, un chapitre qui transpercera l’année de part en part, au bout de vingt copies doubles on atteint le 1.2 et c’est déjà le mois de juin.
Il feint d’aborder un thème hyper pointu (« les droites en France de 1870 à octobre 1871 ») voire surréaliste (« manger et boire au XXème siècle ») et il parvient par un tour de passe-passe à en faire une variable explicative de premier plan, transversale, fendant les époques et les nations de part en part comme une flèche trop acérée (parce qu’on sous-estime l’impact du clivage gauche/droite dans la vie politique française), à travers les débats et les frontières (quelques soient leurs variations et que leur courbe soit décrite par une fonction dérivable ou non).

Mais tout cela n’est qu’un prétexte à combler les blancs, si Zeus ne trouve rien de plus distrayant.
En effet, les deux heures de messe (ou de bacchanales) sont généralement consacrés à des éclaircissements transcendants sur des détails (ou pourquoi la Chine peut légitimement éradiquer le Tibet dans une conception chinois) lorsqu’emporté par son élan il ne parle pas de sa belle-mère ou mariages.
Il essaye de faire parler les élèves, feignant de contrôler les connaissances mais espérant secrètement qu’il dira une énormité marrante –ou navrante – (en général ça marche bien).
Car voilà la véritable raison pour laquelle il descend de l’Olympe pour faire cours : il pourrait se repaitre dans sa connaissance (et dans ses pénates) sans prendre la peine de mettre son réveil/corriger des copies (son plus grand rêve est de voir les élèves abandonner ou que leurs copies soient tellement mauvaises que le stylo tombe).
Mais il nous fait quand même l’honneur de sa présence, afin de s’en payer une bonne tranche (au dépend des élèves).


Les khôles se transforment d’ailleurs généralement en humiliation collectives. Il faut expédier ça rapidement et dans la bonne humeur, sans qu’il y ait trop de sang sur les murs. On essaye de faire parler l’élève pour l’obliger à réfléchir tout en essayant de l’envoyer dans les cordes par une maïeutique dévoyée. Sérieux comme le marbre, il fait mine d’aller dans le sens de l’élève pour l’amener à dire des âneries et mieux le foudroyer, promptement et définitivement. Propre et net, comme une guillotine. N’en pouvant plus, il éclate soudain de rire et se moque ouvertement de sa victime, prenant ouvertement le spectateur goguenard ou le compagnon d’infortune (qui rie jaune parce qu’il sait qu’il est le prochain sur le gril) à témoin. Bande de traîtres, vous n’auriez pas fait mieux.
Le pire, c’est quand il essaye de faire des blagues pour déstabiliser l’élève. Et je peux vous dire que quand on vous demande avec quoi Blanche Neige réveille les nains, ça marche.

De fait, son plus grand drame est sans doute la carpe. Par absence totale d’avis sur la question ou par peur de dire une bêtise, elle ouvre et ferme la bouche mais aucun mot ne franchit ses lèvres. LA technique d’intimidation atteint son paroxysme : il faut la faire sortir de sa coquille ou à défaut se foutre de sa gueule, ce qui est bien aussi.

L’infortuné qui a eu la mauvaise idée de faire un exposé trop court est confronté au silence jusqu’à la fin du temps imparti, tandis que l’élève se liquéfie sur sa chaise électrique.
S’il refuse de répondre aux questions avec un mutisme buté, Jupiter entonne « it’s a small world » de Disneyland et s’exclame « on est dans le monde de Némo ! » afin d’occuper l’espace sonore. Sa victime muette se meurt comme un poisson hors de l’eau.
Tout est bon pour déstabiliser l’élève.

Souvent, l’humiliation est rendue totale par la présence de témoins. Lâches complices du Dieu, ils rient gaiement de ses assertions acides, protégés par le plexiglas de leur non-appartenance à la race dont c’est la curée. La seule vengeance : assister à la leur.

Zeus est donc un Dieu jovial et instructif, qui donne aussi longtemps qu’il parle au préparationnaire l’illusion de comprendre (avant de retomber dans les limbes de l’ignorance quand il pose une question), Jupiter qui dans l’intimité de la salle de khôle se métamorphose en Pan sournois.

Sans pitié, il ne recule devant aucune bassesse pour accabler ses élèves (khôle le mercredi après-midi ou le vendredi soir ; devoirs soi-disant ramassés à faire en un week-end pour mieux les oublier lundi matin ; devoirs rendus sans correction officielle ; chansons sardoniques « dur dur d’être préparationnaire » ; …).

Un Dieu cruel, mais il vaut le déplacement (même à 8 heures du matin).
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