J'allume une cigarette et je me poste à la fenêtre.
Là-bas, le ballet incessant des véhicules de tous ces gens qui croient encore que la vie a un sens.
Un nuage gris traverse mon champ de vision.
A-t-on jamais vu plus beau que de la fumée ?
On sonne.
Dois-je vraiment répondre ?
Je suis lasse de toutes ces visites, de tous ces... amis...
Ne comprennent-ils pas que la seule dont j'ai besoin partage mon appartement ?
On insiste. Deux coups brefs, un long. C'est elle.
J'écrase ma cigarette.
Elle a dû oublier ses clefs. Comme toujours.
J'aime bien lui ouvrir.
Comme ça, je peux la serrer dans mes bras plus tôt.
Et elle le sait.
Pourquoi croyez-vous qu'elle égare ses clefs ?
Elle a les cheveux ébouriffés, ses joues sont fraîches.
C'est bon de la voir.
Elle sort du frigidaire la bouteille de lait du frigidaire et en remplit son verre préféré, celui où elle a peint des fraises, un jour d'ennui.
Je m'installe sur notre vieux canapé élimé et contemple le grand poster de la mer du Japon qui trône face à moi, au dessus de notre grande télévision (Une folie, pour fêter l'acquisition d'une table qui nous plaise à toute les deux. Futile. Je sais.), j'attends qu'elle me raconte sa journée en sirotant à petites gorgées mon café trop chaud et trop noir. J'adore.
Elle revient d'une manifestation pour la cause des dauphins emprisonnés dans trois mètres cube d'eau chlorée, pour satisfaire les rêves imbéciles de quelques touristes fortunés qui veulent nager avec les cétacés.
Elle est scandalisée, comme toujours, et me demande où j'ai rangé mon ordinateur portable : elle a une lettre à écrire, pour exiger auprès de je-ne-sais-quel président la libération de prisonniers politiques, ou quelque chose comme ça, elle me demande aussi si j'ai des nouvelles de mon éditeur, et si mon manuscrit avance, et si elle peut le lire s'il te plaît.
Comme si j'étais capable de lui refuser quelque chose.
Elle me demande si je vais travailler au café, demain. Comme si elle l'ignorait.
Mais je sais qu'elle espère qu'on pourra passer la journée ensemble, demain. Quand même. Même si elle sait que ce n'est pas possible.
Je lui répond que j'ai envie d'ouvrir un café, ici, à l'appartement, que ce serait le rêve, ou même déménager, racheter l'appartement d'en dessus et d'en faire un bar, ou même un cyber-café, un café-philo, un café-bibliothèque, que sais-je, ça serait parfait, hein, Fée, ça serait parfait.
Un café privé, connu de quelques initiés, des érudits, l'élite, personne de vulgaire, des jeunes engagés, débordants d'idées, des ados prêts à débattre pendant des heures, des savants, des auteurs, des professeurs de français, on aurait le droit d'y fumer, rien d'officiel, juste du bouche-à-oreille, une société secrète, un salon des temps moderne, le café de Flore entre nos quatre murs.
Et elle soupire avec béatitude, comme si c'était la première fois que je lui en parlais.
Elle babille encore un peu, tout en s'agitant, en ouvrant et fermant les placards sans rien toucher, décalant parfois un ou deux objets de quelques millimètres, s'interrompant parfois au milieu d'une phrase pour boire une gorgée de lait, elle s'arrête enfin, j'entends le déclic d'un briquet, et elle repart, la tornade s'immobilise à côté de moi dans le canapé, et étendue, abandonnée, calme enfin, elle porte le filtre à ses lèvres, tire une longue bouffée, et dit « C'est bientôt qu'on va la voir, la mer, hein. » et j'approuve, les billets sont sur le bureau, elle voulait les encadrer, je lui ai dit que ce ne serait pas très pratique à l'aéroport et elle a éclaté de rire.
« Il arrive bientôt. »
Comme si elle avait besoin de me le rappeler.
Je vais ouvrir la porte, il entrera bien s'il veut, qu'ils entrent tous, moi tout va bien, une porte s'ouvre, la petite des voisin court me serrer dans ses petits bras, je la garde souvent, elle est tellement mignonne, sa mère me salue d'un sourire et les portes de l'ascenseur se referme sur elles, j'allume une cigarette, je m'installe à côté de Fée, torpeur, et on reste là quelques instants, assises l'une à côté de l'autre, sans un mot, tirant à tour de rôle sur nos filtres respectifs, puis soudain elle achève la sienne, la pose machinalement dans le cendrier, sans rien dire, sans l'écraser, elle oublie souvent, elle met un CD, bientôt les premières notes de Sleeping with ghosts retentissent, elle sait que c'est la chanson dont nous avions besoin, on savoure les décibels, il entre, « salut les filles », il a un sac du traiteur asiatique du coin de la rue et dans l'autre main un carton à pâtisserie, je suis sûre qu'il a oublié que Fée, n'aime pas manger chinois.
On se débrouillera.
Ni Fée ni moi ne nous levons pour l'accueillir, tant pis, il a l'habitude, il se glisse entre l'accoudoir et moi, me prend dans ses bras et me saupoudre le cou de baisers, il sait que je déteste ce genre de déballage en public, ça ne l'a jamais gêné. On fait avec.
Encore un après-midi à refaire le monde.
Je lui souffle ma fumée dans la figure.
Il déteste.
Tant pis.
Jeudi 12 juillet 2007 à 23:12
Commentaires
Par allforyou le Samedi 21 juillet 2007 à 23:59
lol. Bon il faut que je m'arrete la pour ce soir.. parce que si demain il ne reste plus rien je vais déprimer.
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