Dimanche 8 août 2010 à 15:42

 
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Je déteste les vernissages. Surtout les miens. Des inconnus veulent me rencontrer, commentent mes toiles comme s’ils possédaient sur elles un savoir suprême, font des familiarités ; parce qu’ils m’entretiennent. Le pire, c’est Jacob. C’est lui qui m’a « lancée » et semble impatient de me rattraper. Je ne lui avais rien demandé. Typique. Il doit s’imaginer qu’il m’a sauvée, en tant qu’artiste et en tant que femme.

Je m’assoie sur un coussin élimé avec soin, me cachant derrière une coupe de champagne, faisant mine d’observer une toile avec attention. C’est une fête donnée en mon honneur, alors pourquoi je suis la seule à ne pas m’y amuser ?

Mon maigre camouflage tombe sous l’œil perçant d’une jeune femme, qui s’installe affablement à mes côtés.
« Je vois que vous appréciez la fête. Je déteste vos peintures. »
Je réponds mécaniquement merci avant de réaliser le sens de son propos. Je lui lançai un regard intrigué auquel elle répondit par un petit rire de gorge, très mondain.
« Je me suis dit que vous deviez en avoir assez de ces gens qui a-dorent ce que vous faites. Vous avez eu de la chance de rencontrer Jack. Quoi que vous fassiez, il trouvera toujours des gens à qui ça plaise. Et parfois, c’est un tour de force ! » Elle éclata d'un rire cristallin.
Je pris une gorgée de champagne pour ne pas avoir à répondre. Je ne savais pas comment j’étais censée prendre ses paroles, et la seule réaction qui me venait à l’esprit (quelque chose comme lui sauter à la gorge et lui tirer les cheveux) ne me semblait pas approprié.
Elle promena un regard méditatif sur les toiles les plus proches, avant d’ajouter « mais vous, il pourra vous offrir les portes des plus prestigieuses galeries. Il a de l’œil. Vous devriez accepter de diner avec lui, d’ailleurs, comme il vous l’a demandé. Ça faciliterait votre affaire. Bien sûr qu’il vous l’a demandé. Il ne peut pas résister à une jolie femme. D’ailleurs, elles-mêmes ne lui résistent pas. C’est ça le pouvoir. Je ne parle pas de l’argent ni même des relations. Ça, ça vient après, quand on a le pouvoir. »
Je la laissais babiller. Je supposais qu’elle devait être une femme entretenue (elles l’étaient toutes à ce genre de soirées) rompue aux soirées de bienfaisance (bienfaisance pour qui ?) et à l’art de faire la conversation, champagne aidant.
« Le pouvoir, c’est le charisme. On peut tout faire avec ça. Jack, il a bossé pour devenir médecin, mais c’est grâce aux femmes qu’il a pu se hisser sur l’échelle. Vous aussi, vous avez du charisme. Vous êtes une artiste. Si j’étais vous, je profiterais à fond de Jack, de ce qu’il peut m’offrir. Vous pourrez toujours l’évincer quand vous serez au sommet. Cette rencontre, c’est la meilleure chose qui pouvait vous arriver. De toute façon, ajouta-t-elle en passant sa main sur son buste avec un regard entendu, ce sont toujours les femmes qui ont le pouvoir. »

Heureusement, un autre client vint m’arracher à l’étreinte verbale de cette femme (elle me faisait l’effet d’un boa, resserrant ses anneaux à chaque mot). Mais trop tard. Elle m’avait mordue et soudain je doutais. Et si j’entrais dans la machine ? Et si je me prostituais ?
Je n’avais jamais pensé que ça pourrait durer, je ne m’étais jamais pensée comme artiste. Cette femme laissait entendre que ça pouvait ne jamais finir, qu’ils ne me laisseraient pas partir.
Alors j’ai été aimable avec tous ceux qui m’adressaient la parole, j’ai même flirté avec Jack, puisque ça lui faisait plaisir, et après la fermeture, j’ai mis le feu à l’espace d’exposition.
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