Café en clair-obscur. Un paquet bombe ma poche, je sens son poids douloureux qui m’entrave plus bas que Terre. Je voudrais partir, j’ai peur. Mais j’attends. Les ventilateurs d’un autre siècle brassent des volutes de fumées. Dehors, le noir, les lampes livides donnent un éclat étrange la pièce, il me semble que le monde n’existe plus en dehors de ce bar. Les vitres sont pleines de poussières, comme de la fumée condensée.
S’il n’était plein de personnages louches, grotesques, on aurait pu le croire abandonner. Qu’est-ce qui m’attend ? Je commence à croire qu’il ne viendra pas, je commence à croire que je vais mourir. C’est une sorte de soulagement.
J’attends. Y a-t-il quelqu’un qui m’attends ? Y a-t-il seulement quelqu’un qui s’apercevra de ma disparition ? Ce bar sans visage m’engloutira au lever du jour tandis qu’il s’enfoncera dans les catacombes et dans l’oubli.
Je ne sais ce qu’il y a dans ce paquet. Je ne suis qu’un pion, je ne suis personne, je ne serai jamais personne. Je suis utile, sans ambition, presque pas d’expérience. Je peux bien mourir à l’attendre.
Sans lui, je ne serai pas là, je ne serai nulle part. Je me serai brûlée la cervelle dans la chaleureuse indifférence du monde.
Je ne vous dirai pas qu’il m’a ramenée à la vie, je n’ai aucune illusion.
Je veux mourir pour son bon plaisir. Sait-il seulement que j’existe ?
Je suis utile, car d’autres que moi auraient la curiosité d’examiner le contenu du-dit paquet, juste un petit bout. Pas moi. Que voulez-vous que cela me fasse ?
C’est l’attente même qui est merveilleuse, cette délicieuse morsure… le verrais-je ce soir ?
Il aime tromper mes attentes, être absent… Il se déploie dans les ténèbres.
Il aime me donner des rendez-vous auxquels il est absent, il ne vient pas, au péril de ma vie, il délègue, me jette ses subalternes en pâture. Je ne sais s’il se rend compte du mal qu’il me fait.
Il aime m’acculer mais il ignore sans doute que j’existe. Que je l’aime à en mourir.
Pas un mot n’a jamais été échangé entre nous, nos échanges (et quels échanges…) sont matériels. Des paquets, des lettres (tentée de les substituer aux miennes, trop peur de lui déplaire), des paquets de cigarettes… Des messages se dressent brusquement sur mon passage, comme si j’étais sans cesse observée, comme s’ils savaient mes mouvements avant même qu’ils ne se révèlent à moi-même. Des objets, des signes à laisser derrière moi… Des choses absurdes. Je ne suis pas censée comprendre. Ça me va. Parfois j’ai l’impression de participer à un gigantesque jeu d’enfants, plein de codes vides de sens… Personne n’en connait la finalité : elle n’existe pas, on joue à faire semblant. Tout cela a peut-être un sens pour quelqu’un, ça n’en aura jamais pour moi. Peut-être qu’on se joue de moi, peut-être qu’il en est à l’origine dans le seul but de me tourmenter. Peut-être que tout cela est dans ma tête. Tout me va, tant que je peux le voir.
Je ne sais rien de lui, je ne sais pas son nom. Il me semble que je l’ai connu autrefois et que je l’ai déjà aimé.
La porte s’ouvre sur la nuit d’encre. Peut-être lui.