J'y pense chaque fois que le train passe.
Ce matin, un matin comme les autres. Donner le meilleur de soi-même, chaque jour... Chaque jour... ça a quelque chose de grisant. C'est sûr.
Je ne sais pas très bien quoi vous dire. Je vais bien, ça c'est sûr.
J'y passe chaque fois que le train passe, chaque fois que je traverse la rue.
Elle me présente une seringue, je la repousse avec un sourire. Je n'ai pas besoin de ça. Je ne suis pas malade. Je ne me suis jamais sentie aussi en vie, bordel, personne ne pourra jamais me retirer ça. Je n'ai jamais été aussi heureuse. Dans mon putain de malheur je suis quand même heureuse.
Toujours ces rêveries, ces petits éclats quotidiens. Sourire, encore. Légèreté.
Et j'y pense chaque fois que le train passe.
Je m'assois gracieusement sur un banc, je souris, j'évolue avec des gestes amples et élégants. Regardez-moi.
Je suis parfaite lorsque je joue mon rôle. Personne ne doit rien savoir. J'y pense chaque fois que je vois le train arriver au loin.
Je suis heureuse. Perdre de vue ceux que j'aime, c'est triste c'est sûr mais tant d'entre eux sont insignifiants... Ils ne sont pas des Rencontres, ils ne font pas partie de moi, ils ne logent pas sous ma peau. Mais certains me manquent, c'est sûr.
J'allume une cigarette défendue. Et puis après ?
Personne ne comprend. De toute façon chaque homme est seul, de sa naissance à sa mort. J'y pense chaque fois que je traverse à la sauvette, et une voiture surgit, au loin... trop loin ?
Jamais je ne pourrais à nouveau être heureuse comme je le suis à présent. Cette plénitude...
Personne ne m'attend, nulle part. Personne ne nous attend jamais nulle part.
Je veux vivre.
Leurs médoc, je les vomis. Leur vie insuffisante, je la vomis.
Quelque chose au fond de moi s'est apaisé. Pour combien de temps encore ? Alors je continuerai à mentir, je n'ai jamais cru en la sincérité.
Le train passe.
Ceci est mon testament. Si un jour je meurs, renversée par une voiture, dépecée par un train, n'ayez pas la naïveté de croire que ce soit un accident. Ce n'est jamais totalement un accident. C'est juste ce que j'ai toujours voulu. Je n'ai jamais eu envie de vivre. Jamais. J'accueillerai l'impact comme une libération. Je n'ai juste pas le courage de le précipiter moi-même. Je ne suis pas suicidaire. Je suis faible de tout votre amour pour moi.
Je suis heureuse. J'ai envie de mourir. Mais ça, vous ne pouvez pas le comprendre, j'imagine. Alors épargnez-moi les discours inquiets ou moralisateurs. Je ne vais pas vous laisser en paix si facilement. N'ayez pas peur. Je voulais juste que vous sachiez que si un jour je disparais, je n'étais pas triste. Alors, je vous en prie, ne versez pas trop de larmes sur mon cas. Il n'y a rien à regretter. Je n'ai jamais été quelqu'un de bien. Je n'ai jamais été quelqu'un d'intéressant, ni prometteur. J'ai toujours essayé de fuir, en toute lucidité.
Je n'ai pas l'étoffe de quelqu'un de génial. Juste une petite vie anonyme parmi tous les misérables petits insectes. Alors vous voyez, il n'y a rien à regretter.
Ne vous inquiétez pas, je suis heureuse. Pour l'instant. N'empêche. J'y pense chaque fois que le train passe. J'y pense vraiment.