Je suis en prépa. Je suis une petite pouf aigrie et imbuvable, un perpétuel ressort détendu et épuisé, névrosée d’avoir sacrifié deux ans de ma vie. Pour compenser le coût moral à passer 12h/jour assise à un bureau et de perdre 2/10èmes à chaque oeil, je suis convaincue de ma supériorité congénitale, surtout par rapport à ces glandeurs de facqueux qui connaissent le sens du mot grève (et par rapport à celui qui a majoré la dernière fois en éco, mais je l’aurai un jour). J’épouvante tout le monde en disant à tout le monde que j’aime ce que je fais, avec une fierté provocatrice, et j’adore placer des phrases pleines de jargon que les gens ne comprennent pas mais moi je fais genre que si parce que le préparationnaire sait. J’affectionne le mot concept même si je ne sais pas très bien le définir. L’école des Dieux, c’est nous.
La prépa est une expérience humaine qui dépasse tout ce qui est connu en matière de relations humaines. La prépa est un microcosme qui comprime d’abord l’esprit puis le corps, lentement elle vous digère et recrache vos os, on se retrouve au père Lachaise ou rue d’Ulm. Certains y plantent leur tente, d’autres vont même jusqu’à y passer leur temps libre.
L’avantage, c’est les liens extraordinaires que cela crée avec les protagonistes. On finit par se retrouver pour regarder le match de foot : la preuve d’un lien inébranlable. Dans la compétition comme dans la solidarité, dans l’intégration comme à l’ANPE, ils font front.
Notez que deux préparationnaires qui ne se connaissent pas finiront par se reconnaitre aux cernes qu’ils ont sous les yeux et aux regards (fréquents) qu’ils jettent vers la sortie, et bientôt ils échangeront des soupirs et leurs expériences respectives. E n’est pas comme s’ils avaient autre chose à dire. Faire une prépa, c’est atteindre une sorte d’universel.
Ainsi, la compétition et l’animosité peut être transcendée par une coexistence pacifique et exténuée. Cependant, certains trouble-fêtes viennent interférer dans cette harmonie bisounours et font bande à part. Vous pensiez fréquenter des êtres intellectuellement supérieurs. C’est possible, si on parvient à casser la coquille d’immaturité et les pelures de l’Equipe.
Il n’y a de paradis que les paradis perdus.