Danser sous la pluie.
Sa robe virevoltait autour de ses cuisses.
Moi, je suis resté à l'intérieur, à la regarder - déjà de la chance d'être là, ne pas chercher à comprendre, ne pas chercher à la comprendre, surtout ne pas l'interrompre…
Et pourtant.
Tellement étrange…
L'instant avait quitté le domaine étanche de la réalité, mes pieds quittent le sol, et demain je sais qu'elle annoncera aux poupées qui l'entoure, avec une jubilation contenue, qu'elle m'a recueilli, alors que j'étais étendu sur le bord du trottoir, vieux chien miteux et élimé, elle m'a pris dans ses bras, ma ramené chez elle, pour me faire effleurer les nuages sucrées de sa cage dorée.
Mais ça n'a aucune importance.
Je crois que je n'ai jamais vu une fille si belle, mais vous me direz que c'est la magie de ce moment, l'aveuglement et l'absence totale d'objectivité, et rien de plus, mais…
Elle est la Déesse, la Lointaine, l'Inaccessible, celle dont on rêve sans oser la frôler, celle qu'on voit chaque soir au bal, celle qu'on voit chaque soir au bras d'un autre, celle qui mérite mieux, celle qui danse sous la pluie danse sous la pluie danse sous la pluie et ne me regarde pas, elle ne me regarde jamais, au grand jamais, je ne suis jamais qu'un détail du paysage, une étoile depuis trop longtemps éteinte de son horizon.
Elle ne m'a entraîné chez elle que pour la forme, pour voir, pour ne pas faillir, mais le temps passe et il ne se passera rien, ni ce soir ni jamais. Alors je m'endormirais seul sur son canapé, peut-être aura-t-elle l'obligeance de me prêter une couverture, si seulement elle arrêtait de danser, elle danse sans musique et sans fièvre, demain elle me demandera d'un ton aigre si je veux prendre un petit-déjeuner avant de me projeter hors de son existence, sans plus de cérémonie.
Je crois qu'elle pleure. Jamais elle ne l'admettra.
Son monde ne laisse pas de place à la douleur, ne laisse pas de place au passé ni aux regrets, ne laisse pas de place à l'attachement, trop commun, la vie est un supermarché, on achète et on jette, et moi dans tout ça ? Et moi ?
Ce n'est pas comme si j'attendais quelque chose… Cesse de danser sous la pluie.
Je voudrais la consoler, jamais elle n'admettra une telle faiblesse, elle me repoussera gentiment, mais fermement, et d'ailleurs elle n'est pas triste, elle est juste un peu épuisée, et puis elle ne pleure pas : c'est la pluie.
Elle danse. Sous les trombes d'eau.
Sa robe adhère à sa peau, une vieille robe boule, un peu kitsch, bleue nuit, elle tourbillonne, elle est sublime et même si je ne la toucherai pas, personne ne pourra m'enlever ça : elle qui danse sous la pluie, danse sous la pluie, danse sous la pluie, jusqu'à culbuter de fatigue.
Dimanche 17 février 2008 à 14:42
Envoyer un farfadet à Brocéliandre
La discussion continue ailleurs...
Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://melancholic.cowblog.fr/trackback/2451201
<< I'm Darkness