Samedi 11 avril 2009 à 11:45

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- Mademoiselle ! Ouhouh ! Ça fait longtemps que vous attendez ?
- …
- Je suis désolée, le métro, vous savez… (NDLR : rires) Confuse pour le retard. Je m’appelle Sylvie, c’est moi qui viens vous interviewer, comme vous vous en doutez, je suppose. Appelez-moi par mon prénom, c’est plus convivial, et comme nous sommes coincées ici pour un petit moment… Je ferais de même, si vous le voulez bien. Entendu ?
- …
- Euh… Bon… Mettez-vous à l’aise, et ne prenez pas garde au magnétophone, parlez librement, nous sommes entre nous.
- Implacable logique. Entre nous dans un salon de thé bondé.
- Je le pose juste là. Voilà. Vous voulez boire quelque chose ?
- J’ai déjà commandé.
- Oh… Parfait, parfait ! Si ça ne vous fait rien, moi je vais prendre un café. J’ai une de ces envies de caféine… ça me fait toujours ça, quand je suis stressée, à cause des transports ou autre, j’ai besoin de café. C’est stupide, c’est le genre de choses à vous stresser encore plus, non ? Enfin, je veux dire, ça excite le système nerveux et tout… Vous aussi, ça vous fait ça, une envie de café ou d’autre chose, je ne sais pas… de cigarette, de chocolat, de… de… pommes de terre ?
- Non.
- Oh, je vois. Des nerfs d’acier ?
- Peut-être.
- Peut-être ?
- Je ne me suis jamais posée la question.
- Euh… oui, évidemment.
- Et je ne crois pas que l’absence d’envie de pommes de terre soit nécessairement un symbole de décontraction.
- Bien sûr, bien sûr… Vous voulez manger quelque chose, avec ça ? Moi, je prendrais bien une gaufre ou… Garçon ! Vous avez des gaufres ? Non ? Des muffins ? Vous êtes merveilleux. Deux muffins, donc, un café. Expresso. Vous êtes sûre de ne rien prendre ? Je vous invite, bien sûr.
- Vous me croyez trop jeune pour me payer un Coca-Cola ?
- Non, mais…
- Alors finissons-en, voulez-vous ?
- Oh, euh… Tout de suite. On va commencer par des questions un peu bateau, vous savez, d’ordre général, pour engager le dialogue…
- Je sens que cette entrée en matière va me sembler interminable. Genre, la durée de l’entretien.
- Eh bien… Dis donc ! Euh… Vous venez de publier votre premier roman, alors que vous n’avez que dix-sept ans. Quel effet cela vous fait-il ?
- Je suis ravie.
- Bien sûr, bien sûr, mais je veux dire… vous attendiez-vous à ce que votre manuscrit soit retenu si rapidement ?
- Je n’aurais pas envoyé ma prose à un éditeur si je n’avais pas cru avoir une chance.
- J’imagine mais… avez-vous conscience de la part infime des apprentis auteurs qui partagent votre chance d’être reconnu si tôt ?
- Au contraire, notre jeune âge fait vendre car il excuse la médiocrité de nos délires fiévreux d’adolescents en mal de succès. Je pense qu’il est même un handicap. En effet, dans quelques années, le nombre de printemps ne sera plus une excuse. Soit il nous faut pondre quelque chose de vraiment exceptionnel, soit nous retombons dans l’oubli.
- Mais vous avez quand même fait le choix d’envoyer votre roman, malgré tout…
- Je crois vous avoir déjà dit que j’ai confiance en mon livre.
- Et en vous ?
- Accessoirement.
- Bien sûr, bien sûr… Cependant, j’imagine que votre livre ne s’est pas fait en un jour. Depuis quand écrivez-vous ?
- Depuis le CP, comme la plupart des enfants, malgré quelques tentatives précoces, en grande section de maternelle, d’écrire mon nom. Vous voyez, j’étais déjà une rebelle, et j’étais persuadée que cela ferait de moi un génie. Je dois admettre que je ne suis pas mécontente du résultat.
- …
- Je plaisante, enfin ! Ils ne mettent pas un cours de second degré dans vos études de journaliste ? Ils devraient y songer, ça vous décrisperez. Détendez-vous, très chère, ou vous aurez des rides précoces.
- … Vers quelle époque de votre vie vous est venue l’envie d’en faire votre profession ?
- Après le CP.
- Je veux dire, quand avez-vous su que vous seriez écrivain ?
- Lorsque mon actuel éditeur m’a informé de sa volonté d’imprimer à l’encre sur du papier des mots que j’ai associé entre eux pour relier ces feuilles entre elles, afin de former ce qu’on appelle communément un livre.
- Mais… quand vous est apparue cette vocation ?
- À force d’écrire.
- Vous semblez vous moquer en permanence des gens qui vous entourent…
- C’est le cas.
- De les prendre de haut…
- C’est le cas.
- Comme s’ils étaient stupides… Vous sentez-vous supérieure à eux ?
- Absolument pas.
- Ah ??
- Je suis juste convaincue de la médiocrité de certains.
- N’est-ce pas un peu prétentieux, compte tenu de votre jeune âge ?
- Les jeunes sont connus pour être imbus d’eux-mêmes. Et insolents.
- Tout de même…
- N’importe quel adulte normalement constitué vous dira que les adolescents et la jeunesse en général est le fléau de la société.
- Je…
- Prenez Socrate, par exemple. On lui attribue "Notre jeunesse aime le luxe, elle est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect de ses aînés. Nos enfants d’aujourd’hui sont des tyrans. Ils ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce, ils répondent à leurs parents et ils sont tout simplement mauvais...". Cette citation n’a pas pris une ride.
- Mais, mais… ne craignez-vous pas de vous mettre la presse à dos ainsi ?
- Et alors ?
- Mais… il en va de votre popularité auprès de vos lecteurs !
- Si mon livre vend pour autre chose que son contenu, je ne suis pas sûre d’être satisfaite des scores de ventes. Au demeurant, je suis sûre que la méchanceté gratuite fait vendre. Regardez Amélie Nothomb. Son style l’a propulsé en tête des ventes. Je dois dire que je suis lasse des célébrités aseptisées, qui répondent toutes la même chose aux interviews, et qui essayent absolument de séduire leur lecteur, on dirait. C’est quelque chose auquel je me refuse.
- Vous semblez avoir accepté l'interview dans le seul but de me ridiculiser !
- On s’occupe comme on peut. Et puis, si j'avais réellement eu quelque chose à vous dire, je ne serais pas devenu écrivain.
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