Assez parlé d'elle, de notre histoire.
Il faut que vous sachiez comment tout ceci s'est achevé. Comment j'ai tout gâché.
C'était le jour de mon départ.
Quelques semaines auparavant, j'avais demandé mon transfert dans un autre établissement : je n'en pouvais plus de ces cours qui ne m'apportaient rien.
J'avais réussi à obtenir une place dans un cursus de droit, comme je l'ai déjà dit.
Pourquoi le droit ?
Me mettre en avant, prendre la parole avaient toujours été un supplice.
Mais je sentais qu'avoir le sentiment de changer les choses était important pour moi.
Défendre ceux qui en avaient besoin. Me sentir précieuse, pour une fois. Trouver ma place sur Terre.
C'est un peu cliché, c'est sûr.
Mais ça en plus eu le mérite de rassurer mes parents.
C'est Veronika, le Metteur en scène aussi, peut-être, qui m'avaient fait réaliser à quel point c'était important pour moi.
C'est une façon de se sentir exister, n'est-ce pas ?
J'empaquetais mes affaires, mes valises, mes cartons. Mon père n'allait pas tarder.
Je prenais un temps infini pour chaque geste, comme pour retarder l'inéluctable. Je me sentais lourde, pesante.
Veronika était jugée sur la table de la « cuisine », elle me regardait fourmiller avec un sourire que je ne cernais, une cigarette rivée entre les doigts.
Et moi, je lui en voulais si fort, si fort, à cause de son sourire, de son attitude que je ne parvenais pas à interpréter, parce qu'elle n'essayait pas de me retenir, de m'étreindre une fois encore, parce que j'était tellement triste, tellement triste, et elle semblait si… détachée ?
Comme si elle n'était qu'une simple spectatrice de mon déchirement.
Après, bien sûr que je devais partir, que c'était vital, qu'un mot de sa part aurait tout rendu si difficile, aurait tout brisé…
Je lui en voulais parce que c'était tellement plus simple d'être en colère que de pleurer. Avec ou sans elle.
Et bien sûr que maintenant, je sais.
Je sais qu'elle se tenait en retrait parce que ce transfert était nécessaire, que malgré toutes nos promesses l'éloignement aurait eu raison de nous (j'avais passé trop de temps à ses côtés, tout contre elle, pour pouvoir ne me contenter que d'un coup de fil, parfois), parce qu'elle ne voulait pas m'imposer sa peine en plus de la mienne, qu'elle ne voulait pas que je sacrifie mon avenir pour ce qui n'était en somme qu'une amourette d'étudiantes, parce qu'elle m'aimait, vous savez, elle m'aimait si fort…
Chaque seconde je nourrissais mon ressentiment des mêmes pensées sans cesse martelées, je refusais de décrocher un mot avant qu'elle ne m'adresse la parole, dans une sorte de fierté mal placée…
Les adieux sont toujours ratés.
J'aurais dû la remercier : merci pour elle, merci pour tout, merci pour sa présence et son amour, merci pour ma chance d'avoir croisé son chemin, j'aurais dû lui dire que je l'aimais, lui resservir toutes les banalités spécial « séparation forcée », toutes ces insanités, j'aurais dû l'embrasser, l'embrasser encore, effleurer sa joue et mettre tout mon cœur dans un regard.
Alors tout aurait pu être différent.
Aurions-nous pu rester ensemble ? J'en doute.
Elle était trop… accomplie pour moi ?
Qu'est-ce que je pouvais encore lui apporter encore, dites-moi ?
Pas mon soutien (elle semblait si forte et je n'ai même pas pu briser cette carapace), pas une épaule pour s'épancher (elle n'était pas de celles qui s'épanchent), pas mon savoir (elle en savait tellement plus que moi), pas ma joie de vivre, pas mon sens de l'humour, pas mon audace…
Je n'avais que tout mon amour et une reconnaissance aveugle, digne d'un chien stupide.
Sans doute était-il préférable que nous nous séparions. Préférable pour elle.
Je l'admirais trop pour me hisser à sa hauteur, je lui souhaitais de trouver quelqu'un qui soit digne d'elle.
Les préparatifs du départ achevés, je me suis plantée devant elle. J'attendais.
Elle a écrasé sa cigarette et m'a contemplé d'un air calme.
Elle attendait et moi j'étais tellement bouleversée –colère, amour, tristesse, regrets, angoisse, mélancolie, remords, peur, angoisse même, amour, amour, amour…- et je me sentais si laide, et tellement pleine de rancoeurs, et semblait tellement… froide ?
N'y tenant plus, je l'ai giflée et je me suis enfuie en courant, quelques sacs saisis pêle-mêle, les larmes zébrant mon visage.
Je suis partie sans lui accorder un regard, je ne voulais pas connaître l'expression de son visage.
Tant mieux. Je n'aurais pu agir autrement, et de cette façon je ne suis pas déçue, mes souvenirs restent intacts.
Mon père est venu prendre le reste de mes affaires plus tard, je ne sais pas s'il a croisé Veronika, je ne veux pas savoir.
De toute façon, il ignore qui elle a été pour moi.
Tout aurait pu être différent et pourtant l'issue était inévitable.
Cette fin en vaut bien une autre.
Je ne sais pas si elle a cherché à reprendre contact avec mi, le Metteur en scène ne m'a jamais rien dit de tel, d'ailleurs il évite le sujet, au demeurant je ne voulais plus entendre parler d'elle.
C'est mieux ainsi, sans doute.
Ainsi, elle n'est jamais qu'un spectre, pour toujours.
Jamais je n'ai pu la remplacer.
Après, bien sûr que j'aime Vladimir, que je suis heureuse. Qu'il me rend heureuse.
Mais je me surprends parfois à faire ressurgir un paquet de cigarettes de mon bureau, à penser à l'imparfait.
Je ferme le tiroir. Laissons les cendres à leur place, c'est mieux ainsi.
Ce sont tout de même de beaux souvenirs.
Commentaires
Par Mercredi 23 septembre 2009 à 18:03
le Sauf à être atrocement conventionnels, les adieux sont toujours maladroits, des actes manqués...
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(et pardon pour ma folie qui casse tout ce superbe texte magnifique comme d'haaaabiiiittuuuuudueuuuh, m'en veux pas si je suis tarée )