Elle s’affalait sur le fauteuil, une jambe sur l’accoudoir. Très vulgaire. Et très inconnu pour quelqu’un occupant actuellement mon fauteuil dans ma maison. Elle m’adressa un sourire acéré tandis que je la toisais.
- Marta m’a laissée entrer. M’a-t-elle dévoilé, en désignant mon épouse qui s’affairait dans la cuisine d’un signe de tête.
- Au fait Marta, je dîne dehors ce soir ! Me fais rien, merci.
Elle s’adressait à mon épouse avec la plus grande familiarité, or je ne l’avais jamais vue ni ne pensais ne jamais en avoir entendu parler, en vingt ans de mariage. Cette jeune fille était vraisemblablement un OVNI.
Je me glissais dans la cuisine et demandais à ma femme tout bas qui était cette étrange jeune fille qui me fixait de ses prunelles de braises teintées d’amusement.
- Mais si chéri, tu sais bien, c’est l’amie de la fille de… Tu l’as rencontrée au mariage de.. Et ma femme m’adressa un grand discours sans queue ni tête.
Sentant un regard posé sur moi, je me retournai et vis l’étrangère me regardant d’un air moqueur.
- ça n’a aucun sens, ce qu’elle raconte, n’est-ce pas ?
Elle passa la langue sur ses dents.
Ma femme continuait à arguer en moulinant dans le vide, bien que je lui tourne le dos et parle avec l’intruse. Surprenant mon regard en biais, la jeune fille précisa
- Elle n’est pas prête de s’interrompre. Elle éprouve un besoin irrépressible de vous raconter son baratin incohérent, que vous l’écoutiez ou non. Mais pas de panique, le dîner sera prêt à temps.
- Qui êtes-vous ?
C’était une entrée en matière comme les autres.
- Vous n’avez qu’à m’appeler Lucy, répondit-elle en me tendant sa main pleine d’ongles taillés comme des griffes.
Il y avait quelque chose dans son sourire que je ne cernais pas.
- Vous fumez ? me demanda-t-elle en me tendant un paquet à demi-entamé.
- Non merci, j’ai arrêté. Trop mauvais pour la santé.
- Eh bien moi, ça me maintient en vie ! rétorqua-t-elle avant d’éclater d’un rire exhalant un nuage de fumée.
Marta, d’ordinaire si à cheval sur le fait que PAS DE CANCER DANS SA MAISON, ne sourcilla pas.
Comme si elle devinait mes pensées, la dérangeante ajouta :
- Vous n’avez pas à vous en faire pour ça. Je l’ai ensorcelée. Ce qui eut l’air de la faire rire de plus belle.
- Vous avez le droit de comprendre ce qui vous arrive alors je vais vous expliquer. Passons dans le salon, Marta ne devrait pas tarder à se taire.
J’ai à passer quelques jours en ville, et je me trouve donc dans l’obligation de trouver un endroit pour dormir. Je n’aime pas les hôtels et je n’aime pas tuer les habitants pour loger chez eux, je trouve ça indécent. J’ai donc ensorcelée votre femme pour qu’elle croie que nous sommes de vieilles connaissances. Ne vous inquiétez pas, ça n’a aucun effet secondaire. Et bien que vous ne me croyiez pas, inutile d’essaye de tout raconter à votre femme. La plupart des sortilèges de ce genre sont compliqués, plein de détails à faire ingurgiter à la victime pour que ça ait l’air cohérent… Du coup, il suffit de faire prendre conscience à la victime qu’elle a été enchantée et le sortilège se dissipe. Moi, le mien ne tient pas debout, mais l’entendement est son point fort. Plus vous répéterez à votre femme qu’elle a été enchantée par un méchant vampire, plus elle croira que vous avez perdu la raison. Plutôt cocasse non ? Bien sûr vous ne vous souviendrez de rien lorsque je partirai, d’ailleurs vous n’en aurez pas envie, croyez-moi. Pas de séquelles, pas de cadavres dans le jardin. Comme si je n’avais jamais été là.
Vous vous demandez pourquoi votre femme et pas vous aussi ? Voyez-vous, je n’ai jamais aimé les interdits. Alors lorsqu’on me dit de ne pas jouer avec la nourriture…
Et encore ce sourire plein de crocs.
- Bien sûr votre cerveau refuse d’y croire. Vous vous rendrez compte que c’est la seule explication rationnelle, si j’ose dire. Bon, je sors dîner. J’ai une faim de chauve-souris.
En un coup de vent, elle n’était plus là. La maison sentait bon la soupe. Elle avait laissé quelques gouttes de sang sur MON fauteuil.