- Quel personnage de la réalité ou de la fiction souhaiteriez-vous être ?
- N'importe qui que je ne sois pas. À condition qu'il soit un tant soit peu intéressant.
- Selon, il existe des personnes qui ne sont pas intéressantes ?
- Regardez autour de vous. À commencer par le reflet dans votre glace.
- Pourriez-vous tout de même citer des noms de personnes, dont…
- Vous êtes du genre tenace, je me trompe ?
- Je suis journaliste.
- Travaillez pour un magazine people : ne pas lâcher prise jusqu'à gâcher la vie des autres, ils en font un art.
- Expérience personnelle ?
- Simple lieu commun.
- Vous n'avez pas répondu à ma question.
- Vous êtes d'une sagacité sans pareille.
- On me le dit souvent.
- Je me permets d'en douter. Vous voulez donc que je réponde à votre question ?
- Dans la mesure du possible.
- Quelle est-elle, déjà ?
- Euh…
- Vous m'aidez grandement.
- Je vous demandais s'il y a quelqu'un que vous souhaiteriez être…
- Ah… oui. Je crois que je vais vous répondre franchement. Alors je vous prie de vérifier votre bande, d'affûter votre plume ou je ne sais quoi. Ça n'arrivera pas deux fois.
Bien. Je me souviens qu'une fois, j'avais bavardé pendant une ou peut-être deux heures avec une connaissance, gothique de son état, qui m'avait parlé, entre autres choses, du style gothique lolita tel qu'il est implanté en France. Je pense qu'il ne partage avec son homologue japonais que l'aspect vestimentaire de la chose, rendons justice à nos frères nippons ou plutôt nos sœurs nippones, mais je dois avouer que si je m'intéresse quelque peu au pays du Soleil Levant, notamment ses extravagances vestimentaires, je reconnais ne pas pouvoir en dire autant du mouvement gothique de l'Hexagone.
Bref. Revenons-en à nos gothiques lolitas. D'après l'amie dont je vous parlais, ce sont des jeunes filles qui ont grandit trop vite, si vous me permettez ce lieu commun. Ainsi, à la fois très matures et puériles, il y a en quelque sorte deux personnes qui cohabitent en elles. Elles seraient à la limite de la schizophrénie. Ainsi, d'un jour à l'autre, on peut avoir deux personnes distinctes en face de soi tout en s'adressant au même visage. J'avais trouvé cette description fascinante. Et c'est encore le cas aujourd'hui.
D'ailleurs, la démultiplication des personnalités est quelque chose de fascinant, si je puis dire, bien que je ne connaisse rien sur le sujet, je dois dire, et que cela soit considéré comme de la folie.
- Vous-même, vous considérez-vous comme une schizophrène?
- Pas à ma connaissance.
- Qu'est-ce qui motive cet intérêt ?
- Qui sait ? L'envie de se démarquer ? La volonté de compenser la solitude par une pluralité interne ?
- Craignez-vous la solitude ?
- Ce que vous pouvez être sotte ! Qui ne craint pas la solitude ? Je n'ai ni frère ni soeur, et en terme de psychologie de cuisine, c'est très révélateur. De plus, j'affectionne la lecture et l'écriture en terme de passe-temps, activités qui s'apparentent rarement à la collectivité. Cause ou conséquence ? Peut-être que je rêve de me suffire à moi-même.
- Pour en revenir aux gothics lolitas, vous considérez-vous comme telle ?
- Grand Dieu, non ! Ce ne serait pas pour me déplaire, j'entends, mais pour cela, encore eut-il fallut que j'aie une enfance à laquelle me rattacher.
- Vous n'avez pas eu d'enfance ??
- Ne soyez pas ridicule. Je veux juste dire que je n'en ai aucun souvenir. En tous cas pas au sens du lieu commun populaire.
- C'est-à-dire ?
- Je ne sais pas, l'innocence, la naïveté… J'ai quelques détails… confus, enfouis dans ma mémoire. Rien de très construit, de très étendu.
J'ai la sensation que ma vie a commencé vers l'entrée au collège, où j'ai été une pré-adolescente très bête, c'est dans leur nature, et que je suis devenu une adolescente un peu moins bête, je l'espère.
Bien sûr, j'ai quelques vestiges de mon primaire, voire même de la grande section de maternelle, soyons fous, mais je n'ai pas réellement le sentiment que c'est moi, si vous voulez. C'est lointain, déjà.
- Donc, on ne pourra pas compter sur vous pour écrire votre autobiographie ?
- Celle-là, je l'ai pensé, mais j'ai eu l'intelligence de la garder pour moi. Ce n'est pas votre cas, on dirait.
- Y a-t-il un autre « profil psychologique » qui pourrait vous toucher ? Ou une personne ?
- Hum… cette même amie m'avait parlé des gothiques romantiques. Très purs, cultivés, intelligents, politiquement engagés, et cherchant à instruire les autres. Des rescapés du siècle des Lumières, en somme. Ou même… quelqu'un comme Simone de Beauvoir. C'est un symbole, et je pense que de nombreuses femmes l'admirent... Cependant je ne suis pas sûre de vouloir être elle. J'aimerais être un peu comme elle. Nuance.
- Pouvez-vous expliciter ?
- Naturellement, avec vous, je suis contrainte de ne faire que ça. C'est votre métier, j'imagine. Enfin. Je ne souhaite avoir la vie de personne. Dans le sens où chacun a son propre chemin, ses propres expériences, pour parvenir à ce qu'il est devenu. Je souhaite tracer ma destinée, pas copier celle de quelqu'un d'autre, pour devenir quelqu'un d'intéressant.
Ce que ça peut sonner cliché ce que je viens de dire.
- Mais non…
- Ne soyez pas ridicule. Combien de fois faudra-t-il vous le répéter ?
- Vous vous jugez intéressante ?
- Non. D'ailleurs je n'ai aucune conversation, c'est affligent.
- Qu'est-ce que pour vous quelqu'un d'intéressant ?
- Il faut tout vous expliquer, vous.
Eh bien… Quelqu'un qui a quelque chose à dire. Des opinions, et des arguments pour les défendre. Cultivé. Qui sait parler de sa vie, de ses expériences, sans tomber dans le narcissisme ou les banalités.
Quelque chose comme ça.
C'est un tempérament que je n'ai trouvé qu'auprès de comédiens, jusqu'à présent.
- Désirez-vous être actrice ?
- Certainement pas. Je suis bien trop inhibée pour ça, je n'ai pas le moindre talent. Sans doute un manque de personnalité. J'ai un rapport au corps trop conflictuel pour ça.
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- Des mauvais résultats en sport. Une aversion de l'effort physique. J'ai tendance à considérer mon corps comme une simple enveloppe, voire un ennemi, qui trahit mes humeurs, ma fatigue. Je me sens le devoir le dompter, l'affamer pour qu'il me plaise, perdre du temps à dormir pour qu'il ne m'entrave pas trop…
Actrice, je préfère l'être dans la vie.
- Qu'entendez-vous par là ?
- Je n'aime pas laisser les autres accéder à ce que je ressens. Pour moi, c'est une faiblesse, tout comme se confier, par exemple.
- Pour vous, donner cette interview, répondre à ces questions est également une preuve de faiblesse ?
- Vous saviez que vous pourriez presque être intelligente si vous vouliez ?
L'être humain n'a aucune volonté, il aime parler de lui. C'est même l'une des rares choses qui le passionne, en règle générale.
- Vous composez donc en permanence un personnage pour vous protéger ?
- Qui sait ? Qu'est-ce que jouer un rôle ? Où commence la vraie personne et où s'arrête le personnage que par goût, ou parce qu'on s'y sent contraint, nous affichons ? Qui peut se vanter d'être totalement sincère ? Qui est-on vraiment ? Celui qu'on serait, libéré de toute inhibition, ou celui qu'on laisse transparaître, dans toutes ses nuances et ses retenues ?
- Cette interview est très différente de celle que vous avez données auparavant.
- C'est parce que je me mets à mon tour à poser des questions que vous, vous vous arrêtez ?
Parfait, alors l'interview est finie. Adieu alors ! Enfin !
- Pouvez-vous juste éclairer ce dernier point ?
- Et si je réponds non ?
- …
- Qu'est ce que vous disiez déjà ? C'était tellement insignifiant…
- Je faisais remarquer que pour cette interview, vous cous êtes bien plus livrée qu'avant. Pourquoi ?
- Depuis le temps que je parle de schizophrénie… Tout de même… Allez-y, dégagez. Et n'oubliez pas de dire à vos collègues que je ne suis pas un monstre. Pas en permanence.
Mercredi 27 juin 2007 à 23:21
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