Jeudi 18 février 2010 à 14:10

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Elle a toujours voulu prendre le train. Il lui semble que toute sa vie n’est ponctuée que par son apparition, lorsqu’il s’arrête sur la grande place. Tout le village est là, on fait de grands signes à celui ou celle qui monte. Dans le wagon on peut apercevoir des autres voyageurs, ils baissent la tête, presque transparents. Ils ont toujours un vêtement rouge, la marque infamante. C’est comme si ce dont elle se souvenait entre les passages du train n’était qu’un rêve, seul le train est réel. Personne d’autre ne semble s’en inquiéter. Peut-être que le train n’est qu’un rêve.

Personne ne souhaite prendre le train, personne ne descend jamais. Personne ne le craint non plus. Prendre le train est dans l’ordre des choses. Personne ne semble s’inquiéter de la destination. Elle, elle voulait bien savoir où il va. Personne ne sait combien elle s’ennuie.

Un jour, elle trouve une paire de chaussures rouges. Ne me demandez pas comment, c’est de la magie. Parfois, elle se dit que dans ce monde il suffit de vouloir assez fort.

Elle attend que quelqu’un d’autre soit atteint par la marque pour les enfiler, elle n’est pas sûre que le train vienne dans le cas contraire. Personne ne sait pas ce qui fait venir le train.

On fait une grande fête en leur honneur, Mariella et elle. Les anciens viennent la congratuler, on dirait qu’ils la voient pour la première fois.

Le lendemain le train entre dans la grande place, étincelant et effilé, le village semble un décor de toile peint et les villageois des silhouettes de carton-pâte, ils leurs disent au revoir avec un sourire vide, comme s’ils ignoraient qu’ils ne les reverraient sans doute jamais – le train ne circule que dans un sens.
Les vigilants la laissent passer sans un battement de cils. Les talons rouges préservent l’illusion.
Les portes se referment, l’extérieur n’est qu’un grand linceul blanc. Les éclairages artificiels du train remplacent le ciel.

Les deux filles échangent un signe de tête et elles se séparent, le train se met en branle. Le paysage s’effiloche. Les autres passagers sont comme absents et elle, elle ne peut pas, c’est comme si sa vie venait de commencer.

D’abord une forêt. Elle n’a jamais traversé de forêt, personne ne quitte jamais le village. Elle ne sait pas pourquoi. Sans doute personne n’y a jamais pensé.

Brusquement la forêt s’efface et le train entre en gare. Fuselage en béton et lignes métalliques. Chez elle, le métal ne sert qu’à quelques outils.
Des automates gardent les portes de l’extérieur, le train avale sa ration de voyageurs, harmonie blanche et rouge.
Des tunnels. Alternance de noir et d’éclats de paysages : sable, béton, verre, glace, nuage… Elle s’émerveille du tunnel transparent qui mène à Atlantide. Mais personne d’autre ne semble sensible aux charmes de la vie subaquatique.

Soudain le train émerge du tunnel et traverse brièvement la lande, paysage de carte postale, clochers en arrière-plan.
Le train s’élance sur un grand pont, tendu au dessus du gouffre, la mer s’étend à perte de vue. La paroi opposée vers laquelle le train se jete est invisible. Les voyageurs sortent de leur léthargie, doucement ils s’animent. Le train est suspendu au-dessus de l’eau. Grand flash de lumière.

Le village. Ses chaussures, comme le reste de ses vêtements, sont blanc aseptisés. Les villageois passent sans la regarder, un garçon de ferme place d’autorité un seau entre ses mains, le village a besoin d’eau. Comme si elle n’était jamais partie.

Elle laisse tomber le seau et court vers la forêt, parallèlement à la ligne de chemin de fer qui transperce le village.
Elle marche longtemps. La forêt est opaque et un peu moite. Le sol semble s’étendre sous ses pas à l’infini, la forêt est muette, comme retenant son souffle, aucun animal ne croise sa route. Peut-être que ce n’est pas une vraie forêt, ça ne peut pas être une vraie forêt. Elle fatigue, ses sandales ne sont pas faites pour une telle marche mais elle veut aller au bout. Au bout de la forêt, au bout du monde. Mais les arbres semblent décidés à ne pas s’écarter, ils font front, un bloc compact qui n’en finit pas de s’étendre.
Elle finit par revenir sur ses pas, le village apparait à la lisière des bois en quelques instants. Pourtant elle est sûre de ne pas avoir changé de trajectoire, elle est sûre de ne pas s’être perdue. Le village la tient prisonnière.

Le village n’a pas changé, le village ne changera jamais. Elle est à nouveau prise au piège. Elle imagine qu’elle n’a plus qu’à attendre son tour. Pour aller au bout du voyage.
Par joris le Jeudi 18 février 2010 à 16:45
hum.
 

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