Samedi 14 juillet 2007 à 18:42

Alors voilà. Ce sera fini cette fois, bien fini. On regardera le bout de nos baskets et on ne relèvera la tête que pour échanger des sourires gênés, et des fois on se jettera dans les bras les uns des autres, la larme à l'oeil.
Et puis bien sûr, en s'écrira, je te tiens au courant, ça tient toujours pour dans deux semaines, rappelles-moi de temps en temps, c'est ce qu'on dira tous mais personne n'en fera rien, limite on croisera nos doigts dans nos poches avec lassitude.
Je ne veux pas assister à ça.

J'aurai jamais cru qu'obtenir mon diplôme serait si triste.

Bien sûr, des amis, on se fera d'autres, c'est la vie, on grandit, on évolue, on change d'environnement et on trouve d'autres personnes pour remplacer les anciennes, mais est-ce que ce sera pareil ?
Est-ce qu'on ne serait pas manqué, vous et moi, est-ce que je ne suis pas passée à côté de l'un d'entre vous, certes peut-être pas beaucoup plus beau ou plus intelligent que les autres… mais fait pour moi, destiné à être l'Être qui me convient, l'Ami avec un A majuscule ?
Je pense à ça et j'ai envie de pleurer, les au revoir ça ne devrait pas être autorisé à être si triste.

Mais bon. On s'en doutait, hein. On le voyait venir, de loin, quelque part dans l'horizon. Dire qu'à la rentrée j'avais peur de me retrouver seule, avec le doublement de D. et…
C'est toujours cette même peur, au fond. Mais surtout celle de ne pas vous revoir.
De toute façon, ça ne sera plus pareil, jamais…

Vous savez quoi ? Il y a plein d'étoiles dans le ciel, la surveillante doit me chercher dans tout le dortoir tandis que D. est en train de lire la présente lettre, sois gentille de la prévenir qu'elle ne me retrouvera. Certainement pas.
J'ai trop besoin d'errer sans but, quelques pas avant l'ultime révérence, sans murs pour retenir, sans humain pour distraire, j'ai trop besoin de sentir le vent frais gifler mon visage.

Je vous aimais vous savez.

Mais il fallait bien que ça finisse un jour, hein.
L'insouciance et le lycée, les fous rires légers et « la belle époque », il paraît.
Si c'était pour nous amener à demain, à ces adieux maquillés comme une voiture volée en au revoir raté, je ne suis plus très sûre que ça en vaille la peine.

Merci, merci pour tout, les fous rires et les disputes, nos blagues rien qu'à nous, ceux qui ne savent pas se taire et ceux qui auraient besoin de parler, ça et le reste.

Merci, vous tous, je me suis bien amusée. Mais le « nous » qu'on a toujours déclamé avec légèreté, sans même y prêter attention, comme si il allait de soi, comme si il allait durer toujours, est en train de s'effilocher, et bientôt il ne sera plus qu'un vieux souvenir racorni, on le gravera dans le sable mais nous ne sommes plus sur la même plage. Personne pour retracer ses lettres maladroites lorsque la mer l'aura effacer.
C'est tellement plus simple d'oublier.

On en aura perdu du temps tous ensemble, hein. À chaque départ, c'est un peu soi qu'on tue, dit-on.

Vous allez me manquer, vous savez. Parce que je sais qu'on ne se reverra jamais, alors pas de vaines promesses. Et quand on sera vieux et qu'on cherchera à tuer le temps comme on l'a toujours fait ensemble, on pourra toujours adhérer au club des anciens et on se racontera nos vies minables entre deux silences pesants, on aura rien à se dire, on sera mal à l'aise ensemble, l'étincelle sera éteinte, les exs se demanderont ce qu'on peut bien trouver à celui ou celle qu'on a élu pour partager notre vie, on évoquera les vieux souvenirs autour d'une bouteille de mauvais cidre et personne ne sera d'accord sur rien. Ça va être bien.

Pardon de ne pas rester. Demain, je veux dire. Pour les adieux officiels.
C'est sans doute honteux d'être aussi lâche, mais je ne me sens pas coupable.
Je ne peux pas.
Je ne peux pas voir D. pleurer en nous faisant un signe de main, alors qu'il lui reste encore un an, je peux pas regarder vos visages et lire dans vos yeux que cette fois, c'est fini. Vraiment fini.

Je m'en vais.
Je salue ces vieux murs couverts de graffitis et de farine, ils ont vu tant d'élèves venir et se retirer, comme autant de vagues, et ils sont toujours là, inébranlables falaises.
Je ne les avais jamais vu vides encore, à la lumière de la Lune pâlotte, ils semblent si laids et sinistres et… tristes ? Comme si eux aussi allaient regretter notre départ.
Que ce doit être difficile d'être professeur, se séparer de ceux qu'on a aimé et soutenu une année durant.
Que c'est difficile d'être humain.

Vous vous demandez sans doute pourquoi cette lettre. Je ne pouvais tout de même pas partir sans rien dire.
Par contre, il est inutile de m'appeler sur mon portable. Il est resté au dortoir. J'ai vraiment besoin de rester seule.

Je fais le mur, comprenez-vous ? Rien que pour voir ce que ça fait, une dernière incartade sans danger avant la liberté.
Je savoure le contact de l'herbe sous mes pieds nus.
Tout est si calme et si beau et si pur en cette ultime nuit que j'en oublierai presque que demain…

Je me suis trompée. Il n'y a plus d'étoiles et moi je fuis vers mon avenir.
Peut-être que D. est inquiète, peut-être que la surveillante s'affole et bat le rappel.
Quelle perte de temps.
Tout va bien.

Adieu, donc, puisque je préfère ça à des points de suspension, parce que je ne veux pas gâter tous nos bons moments.

Ça y est, j'ai sauté le mur, une allée de terre s'offre à moi, il s'enfonce dans les profondeurs nocturnes. Je ne sais pas où il mène et quand à se perdre, autant le faire en parcourant un chemin, au fond je n'ai nulle part où aller. Dieu que c'est bon d'être libre, ce ne serait-ce que l'espace d'une nuit. On n'est jamais vraiment libre.
Ça y est, je ne suis plus triste. Ou alors, juste un peu.

Adieu, donc, et bonne vie.
Un dernier serment avant de disparaître au creux des limbes obscures : je ne vous oublierai pas.

Inutile de tourner cette page, vous savez. Elle est blanche.
C'est à nous d'écrire notre histoire. Notre propre histoire.
 Ne faisons pas honte à cette nuit saturée d'espoir.
Fight ! Vous êtes des gens merveilleux. Et on va le prouver au monde.
On va tous se battre pour effleurer le bonheur.
Ne faites pas rougir nos souvenirs, ceux de cette époque (qui vous semblera bientôt tellement lointaine) où nous avions la vie devant nous et le sourire aux lèvres.

Je compte sur vous.

M.

 

P.S. Pour mes affaires ? Pourquoi vous en faites vous pour des choses aussi futiles ?
Je trouverai bien un moyen de remettre la main dessus.
Et au pire… n'est-ce pas ?
Ce n'est jamais que des fragments de passé, hein ?

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