"J’avais l’impression de commettre une indiscrétion.
Je veux dire, il y a des gens qu’on est tellement habitués à voir de loin qu’on les réduit à quelques propriétés fonctionnelles : blond, bon en classe, proche de Untel. C’est vrai qu’il a l’air gentil, mais pourquoi perdre son temps ? Les types qui ont l’air gentils, c’est pas ce qui manque.
C’est tellement indécent, les technologies modernes. Sous prétexte d’être joignables et modernes, on ouvre tout un pan de sa vie. Mais le pire, c’est que les autres font de même. Et alors, c’est comme le terrier dans Alice : on se fait happer brusquement par quelque chose qui nous dépasse. L’intimité des silhouettes ordinaires abreuve notre avidité obscène.
Et puis on tombe sur des œuvres.
Si seulement c’était mauvais, vraiment mauvais, ce serait facile. On pourrait s’en aller avec la satisfaction du travail accompli, on n’aura pas laissé passer le futur génie du millénaire par négligence.
Devant la beauté, même quelques gouttes, c’est une autre paire de manches. La beauté appelle sinon des mots, au moins une réaction, un signe. Mais la machine est trop austère pour laisser filtrer l’émotion dans son cadre normalisé.
Écrire « bravo, j’aime beaucoup ce que tu fais » est trop impersonnel, trop ténu, et pourtant il n’y a rien à ajouter.
On ne devrait pas connaitre les talents de ceux qu’on croise. Tout à coup, on croit connaitre ce qui se cache derrière un visage, on croit déchiffrer son âme et on voudrait le mettre en annotations impudentes en bas de leurs œuvres, inscrire dans le livre d’or, solennellement, « nous aurions pu être amis ». Mais pourquoi faire ? Il est toujours trop tard. Se réduire à une statistique, inscrire une nouvelle unité au nombre des visiteurs anonymes, témoigner son intérêt dans le silence. Tout commentaire serait déplacé, trop éthéré ou trop adipeux, trop distant ou trop intrusif. Alors mieux vaut s’en aller, sans un mot."
Et ça, c'est le commentaire que je n'ai pas laissé sur ce blog. Peut-être qu'il le lira en passant par ici. Ou peut-être pas. Et puis après.
Tu as tout dis sur le sujet. C'est dur d'exprimer une émotion au travers de quelques pixels. Privé de nos expressions, de notre voix, de nos intonations, nous sommes impersonnels.
Et c'est justement parceque le beau touche au dela de la machine qu'il est dur de s'exprimer grace à elle.