Mardi 10 août 2010 à 19:00

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Ah, les joies de l'été... les grasses matinées, les bouquins, la climatisation, le job en librairie... A chaque jour suffit sa peine et à chaque été suffit son lot de professeurs.
Chaque vendeur doit s'attendre à avoir son quota de détraqués, de bizarroïdes et d'étranges. Petits exemples afin de préparer psychologiquement les futures petites fourmis.

Vous pouvez avoir un client dragueur, Mesdemoiselles. Il a trente ans de plus que vous, mais il ne peut pas s'empêcher d'être charmeur, vous lui rappelez sa jeunesse. Il se répand en compliments, peut-être dans l'espoir que vous lui accordiez des réductions : il entre en vous apostrophe galamment d'un "j'ai de la chance d'être accueilli par deux femmes belles et souriantes" et tire sa révérence en disant "j'ai eu de la chance d'être servi par une jeune femme aussi belle et aussi intelligente.". Non, ma main n'est pas à vendre. Vous pouvez aussi avoir un client Casanova. Après avoir fixé avec insistance une cliente en particulier (au point que cela frôle l'indécence) et salué son départ "elle est agressive, hein ? Non mais agressive dans le bon sens du terme." (sans doute un poète maudit), il s'attaque à une des vendeuses, se penchant par-dessus le comptoir pour lui demander d'un ton méditatif "la vie est belle, hum ?" puis plus inquisiteur "tu aimes la vie ?". En partant, il glissera "je reviendrai bientôt". Pas trop tôt j'espère.

Vous pouvez aussi avoir des clients envahissants. Le niveau un, c'est je me penche sur le comptoir pour regarder l'écran de ton ordinateur, ou je fouille dans la pile de catalogues sur un bureau. Le client est roi mais il y a des limites. Le niveau deux, c'est le type carrément insistant. Imaginons que vous savouriez un café lyophilisé qui vous a coûté 40 douloureux cents (et je ne vous raconte même pas le parcours de combattant dans l'arrière-boutique pour vous en emparer). Vous êtes contents, vous oubliez presque que vous travaillez en plein mois d'août. Soudain un client surgit dans votre espace et vous dit "Il a l'air bon ce petit café. Vous m'offrez un petit café ?". De toute évidence, l'homme n'a pas réalisé qu'il se trouvait dans une librairie et pas dans un salon de thé. Vous refusez poliment. Vous croyez que ça va l'arrêter ? Il vous redemande, avec cet air niais tellement agaçant "Anh, vous êtes sûr(e) que vous pouvez pas m'en offrir un ?" et là vous avez envie de lui demander "vous ne voulez pas un spécimen plutôt ?".
Il y a aussi ceux qui insistent parce qu'ils n'écoutent pas/ne veulent pas entendre. Par exemple, le comptable vous a interdit de prendre les cartes bleues sans puce pour cause d'impayés. Vous les refusez donc en disant "non on ne peut pas" lorsqu'on vous en tend une, en prétextant que la machine est en panne. Certains insistent malgré tout, mimant le geste de passer la bande magnétique dans la machine. Dans "ça ne marche pas", je me demande encore le mot qu'ils n'ont pas compris. Il y a aussi ceux qui vont voir plusieurs vendeurs et posent les mêmes questions/débitent les mêmes jérémiades, dans l'espoir que la réponse change. Il y a aussi ceux qui insistent au nom de leurs souvenirs ("ah mais si, la dernière fois on m'avait tout offert." un magasin qui donne autant qu'il peut... quelque chose cloche, mais quoi ?) ou de ce qui se fait ailleurs. Il y a des gens qui sont tellement sourds qu'ils continuent leur laïus malgré les réponses qu'on leur apporte (du type "- ah mais si, j'étais déjà venue il y a deux semaines et on m'a déjà dit qu'il était indisponible et qu'on allait en recommander, alors là ça commence à peser... - non mais là vous me parlez de tel ouvrage, moi je vous parle de tel autre. - c'est vraiment n'importe quoi, je... hein ?").
Il y a toujours des clients pour vouloir refaire le monde, vous expliquant à partir de son expérience concrète, que par exemple vous auriez de plus en plus de non-titulaires qui allaient venir chercher des manuels dans votre librairie, et qu'il allait falloir que vous vous adaptiez (Dieu seul sait comment : en instaurant un système de prêts, comme une bibliothèque ?). Il ne comprend pas qu'il s'adresse à des sous-fifres, simples vendeurs n'ayant qu'une faible marge de manœuvre et aucun pouvoir décisionnel. C'est toujours comme ça, retenez-le : les clients s'en prennent toujours à ceux qu'ils ont sous la main, et ce ne sont jamais les responsables.

Il y a des clients qui viennent aussi pour se faire psychanalyser pour le prix d'un manuel (lorsqu'ils en prennent un). On n'a pas réussi à identifier pour l'instant l'origine du phénomène mais il suffit d'un rien (comme l'innocente question "vous êtes enseignante ?", "vous enseignez où ?" voire le très candide "c'est pour vous ou pour votre petit-fils ?") pour qu'ils se sentent autorisés à s'épancher, voire à pleurer sur votre épaule. Vous apprendrez alors qu'ils ont arrêté l'enseignement pendant quelques années pour cause de dépression nerveuse, qu'ils enseignent à Kinshasa et qu'ils ne peuvent pas sortir du lycée français au risque de se faire agresser ou encore plus réjouissant qu'ils n'ont que quelques mois à vivre (vous avez alors droit à un exposé sur les troubles dont ils sont victimes et les diagnostiques successifs des médecins). Bref, vous allez passer un super moment, sans savoir quoi dire pour les réconforter (surtout lorsque les larmes font leur apparition).
Variante, le client autobiographe. Nous avons entraperçu un client professeur de français et sans doute syndiqué, qui avait de toute évidence l'habitude de disserter à voix haute et de pratiquer la langue de bois. Il amorce son discours d'un "non mais je ne veux pas tenir une tribune syndicale", quinze minutes plus tard vous êtes toujours englué dans son discours. Les phrases sont longues, pleines de circonvolutions et de courants d'air, lorsqu'il reprend son souffle on ne sait toujours pas où il voulait en venir. Il vous explique, en vous regardant dans les yeux avec le désir net de vous convaincre, mais il passe d'un sujet à l'autre sans esquisser la moindre récrimination intelligible. Il capte l'attention de tous les vendeurs, tous intrigués par le pamphlétaire, mais une fois qu'on a fait mine de l'écouter on ne peut plus fuir car il vous a harponné des yeux, on n'ose même pas l'interrompre pour lui demander de régler ses achats. Poli, il conclut "bon j'espère que je n'ai pas été trop bavard". À peine.
Il y a aussi le client métaphysique, aussi connu sous le nom du client qui dit "pourquoi". Par exemple "pourquoi le guide de l'enseignant n'est pas sorti ?" Je ne sais pas, parce qu'il n'a pas encore été écrit/imprimé/envoyé, c'est peut-être un indice ? Ou pire "pourquoi vous n'avez pas ce livre en stock ?". Sans doute parce c'est une édition qui a dix ans ou encore qu'il est édité par une autre maison (notons que ces exemples sont spécifiques aux espaces pédagogiques attachés à une ou quelques maisons d'édition scolaire).

Toujours dans le cas des espaces pédagogiques (mais peut-être qu'on retrouve les mêmes dans les magasins "normaux"), il y a bien entendu les professeurs qui veulent vous convaincre du bien-fondé de leurs idées en matière de politique commerciale ou du scandale inhérent à leur situation (parce que le client est toujours brimé, règle n°1).Par exemple, un professeur de math qui vous explique très sérieusement qu'il serait avantageux pour votre maison d'adresser des spécimens de lycée à des professeurs de collège. Petit éclaircissement : les maisons d'édition envoient des spécimens aux professeurs dans l'espoir qu'ils tombent raides dingues du manuel et le fassent adopter dans leur établissement. Je me permets de douter qu'un prof demande à son directeur "bon, pour l'année prochaine, je veux qu'on commande des manuels de 2nde pour les 4èmes, ça m'a l'air d'être un bon plan". Donc en somme : le type nous dit que nous avons intérêt à lui offrir (+ frais de port) tous les nouveaux manuels que nous éditons dans une matière pour son usage personnel, plutôt que de les lui vendre. Hum.
Il y a des clients pas dégourdis. Ils vous abordent en disant : "vous pouvez m'apporter ça ? ça m'évitera de chercher devant tout le magasin.". Pourquoi pas. Vous lui expliquer que le guide pédagogique est disponible gratuitement sur Internet, il vous répond qu'il préfère le support papier. Vous allez diligemment chercher les guides papier. Vous passez derrière la caisse, lui annoncez le montant. Il fait les gros yeux. Avec beaucoup de patience, vous demandez à votre supérieur si vous pouvez lui offrir les manuels. N'étant pas sorti dans le courant de l'année, vous ne pouvez pas. En apprenant qu'il doit payer, tout à coup il n'a plus besoin de rien. Qui a besoin de guides pédagogiques quand on peut faire son cours tout seul (surtout lorsqu'ils coutent douze euros et qu'ils ne sont pas offerts...) ? Qui a besoin d'un manuel d'un autre niveau que le niveau enseigné lorsqu'il n'est pas gratuit ?
Ce qu'on aime chez le client, c'est sa générosité et son sens de l'à-propos.
Mais le client n'a pas que des défauts. Parfois il fait des compliments ("vraiment votre édition c'est la meilleure"), ne fait pas un scandale parce que le guide pédagogique n'est pas sorti (des profs qui font leur cours seul, ça existe !) ou partagent des anecdotes cocasses ("pendant un cours avec des PCs, il y en a qui ont réussi à aller sur des sites porno. Précoces en plus, c'était des 5ème"). Au pire, il reste toujours les collègues avec qui se gausser sous cape.
Par minauderai-pas le Vendredi 13 août 2010 à 19:14
J'adore, ça se lit comme si on buvait, je verrai bien un court métrage là-dessus ^^
 

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