Ca y est. Au moins cette fois elle en est sûre.
Elle rebouche le stylo et pose le mot bien en évidence sur la table. Il y a des choses qu'on ne peut pas dire à voix haute.
Elle se dit qu'il faudrait qu'elle réfléchisse, mais parfois il ne faut pas trop réflechir. Elle se dit que c'est le moment ou jamais. Elle se dit surtout qu'il est temps d'affronter la réalité. C'est ça surtout qui l'a décidée.
Son regard croise celui du miroir. Qu'il est laid, ce reflet.
C'est ces yeux graves, résolus, qui gâchent tout. Les yeux de celle qui sait qu'elle va entreprendre l'action la plus égoïste de sa vie, et surtout qu'elle le fait au détriment d'autres, u détriment du seul qui compte… Après, bien sûr qu'il comprendra. Il la connaît trop pour ne pas comprendre.
Elle hésite et pose sa bague de fiançailles par-dessus le mot, son téléphone mobile. Pas de prison dorée dans son périple, nulle entrave. Ça aussi, il comprendra. Il aurait mal entre les côtes, mais il comprendra.
Est-ce que l'autre l'attendra encore ? Y a-t-il seulement une place pour elle, au bout du voyage ?
Mais ça n'a presque plus d'importance.
Elle lance le stylo. En plein dans le mille, le miroir se froisse et vole en éclats.
Un énorme impact au centre, sept ans de malheur.
Elle a envie de se dire que ce ne peut pas être pire que maintenant et pourtant elle sait bien que c'est faux.
Ça non plus, ça n'a presque plus d'importance.
Elle est fébrile et surexcitée, comme une gamine sur le point de commettre une grosse bêtise. Elle n'est qu'une gamine inconsciente, elle le sait bien, mais elle a envie de s'en moquer. Elle envie d'être libre, tout simplement.
Au fond de son sac, des billets d'avion. Un aller simple. Elle ne sait pas encore si elle reviendra, et elle aimerait se dire que ça non plus, ça n'a presque plus d'importance, mais ce n'est pas vrai.
C'est de la folie… Elle ne connaît même pas son adresse.
Mais ce n'est pas comme si George passait inaperçu. Alors elle se répète en souriant, comme une comptine « Pour le retrouver, suivez les cheveux bleus et les cœurs brisés »…
Elle a tellement besoin de savoir, vous comprenez ?
Fuir, délicieuse exaltation.
George, H-24.
Va-t-elle le retrouver ? Comment va-t-il l'accueillir, après tout ce temps ? L'aura-t-il remplacé et cherchait-il encore vainement pour combler le vide qu'elle a laissé ? Sera-t-il déçu de la revoir ? Ennuyé ? Soulagé ? Surpris ? Heureux ? Nostalgique ? Ou bien dira-t-il « tu t'es fait attendre. » comme si c'était tout naturel, comme si elle était en retard de dix minutes et non de dix ans.
Oui, c'est sûrement ça qu'il dira…
Et ça non plus, ça n'a presque plu d'importance.
Parce qu'elle l'a fait, vous comprenez ? Elle l'a fait.
Elle a choisi la liberté.
Et peu importe ce qui se passera ensuite, qu'elle le retrouve ou qu'il l'abandonne, qu'elle reste ou qu'elle reparte, il restera toujours cette force gravée dans son cœur, inébranlable : elle l'a fait. Elle a choisi la liberté.