Désormais, j’étais toujours mal à l’aise en sa présence, car elle était pour moi une totale étrangère aux traits familiers. J’avais oublié qui elle était ou peut-être l’avait-elle oublié elle-même.
Elle souriait, me prenait le bras… elle était tellement avenante, elle n’avait pas grandi, elle était toujours la jeune fille vive et bavarde que j’avais fréquentée, je n’avais qu’à l’écouter et à tenir mon rang.
Mais quelque chose clochait, mon cœur martelait mes os, me hurlant de me faire la belle, de fuir d’une pirouette avant qu’elle ne me démasque, car au fond peut-être qu’elle ne s’était pas métamorphosée, peut-être que c’était juste moi qui avait bifurqué. Je m’étais consciencieusement taillée un domino givré, des pages de papier glacé et des clichés usés comme seule compagnie, ravie de me suffire enfin à moi-même. Je m'étais acharnée, méticuleusement, à jeter dans un bûcher tous ceux qui ne me semblaient pas indispensables, cultivant leurs cendres dans une cassette laquée de bois vernis. J’étais lasse d’être enchantée, je m’étais offerte aux flammes pour la grâce de ne plus avoir à être.
Et pourtant je la jugeais coupable, la traîtresse, la déserteuse, le parjure, elle avait annulé nos rares entrevues, méthodiquement, elle avait embrasé la mèche de nos chaînes, je restais des mois sans nouvelles sans que cela ne semble lui peser, sans qu’elle ne semble ne s’en rendre compte, elle ne savait plus rien de moi, de qui diable je pouvais être, mais qu’est-ce que ça pouvait faire, tant qu’elle pouvait me prendre le bras, jouer au simulacre, se raconter nos vies distendues faute de partager autre chose que des souvenirs cendrés, hurler de rire pour couvrir nos larmes.
Je crois qu’on s’est juste perdues au détour d’un chemin.