Mercredi 25 août 2010 à 19:25

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Je n'en suis pas fière et pourtant j'en tire une sourde excitation qui pulse dans mes veines. Je n'ai pas besoin qu'on me fasse la morale. Je n'ai même pas l'impression d'être en faute, pour moi ça ne compte pas. Il est trop vieux pour que ça compte.
Je ne sais pas qui a fait le premier pas. C'était trop bizarre pour qu'il y ait vraiment un premier pas.

On s'est rencontré sur notre lieu de travail, moi je vendais des livres (c'était les vacances) et lui il descendait du siège pour vérifier la conformité des couvertures avec les données informatiques, des choses captivantes de ce genre. Moi, la première fois que je l'ai vu, je me suis dit qu'il était plutôt pas mal, pour un vieux (surtout en comparaison des sales tronches des clients qu'on voyait défiler). Lui, je sais pas, il n'a sans doute pas fait attention.
Et là, la faim s'est éveillée et je me suis dit "je le veux". Je le voulais lui comme j'aurai voulu n'importe quel autre homme, je voulais m'assurer de mon pouvoir encore une fois. Je ne pensais pas vraiment gagner, je n'y pense jamais. De toute façon, il y avait la différence d'âge, l'interdit... Le genre de détails qui faisaient que je le voulais distraitement, comme un caprice.
Mais lorsqu'il était là, je voulais le ferrer. C'était la seule idée que j'avais en tête. Lorsqu'il apparaissait le magasin, j'en faisais des tonnes pour être charmante, sourire ultra-bright, petits rires, je tentais de deviser un peu avec lui, pour le retenir. Le matin, il m'arrivait de me préparer en pensant à lui, je mettais une jupe plutôt qu'un jean, je soulignais mes paupières d'un trait de khôl, négligemment. Il venait rarement. Mais c'était toujours vers moi qu'il se dirigeait, un petit sourire aux lèvres.
Je me plaisais à croire que peu à peu qu'il y avait une sorte de relation qui se tissait entre nous, une relation en pointillés et courants d'air, une relation à temps partiel (des vrais sourires, des frôlements, des regards soutenus un instant de trop, le degré zéro du flirt. Et puis il regagnait les étages.). J'avais l'impression d'avoir gagné.

Ca aurait pu continuer comme ça jusqu'à la fin de l'été, et puis mon contrat se serait achevé et on ne se serait plus jamais revu. Mais il a décidé de faire un pas de plus, ma faim dévorante avait triomphé de sa résistance. Je dois dire qu'il s'est bien débrouillé, ça pouvait presque passer pour un accident, il se protégeait en laissant l'ambiguïté.
Il avait laissé une carte de visite sur le comptoir. Il avait fait ça avec discrétion, je ne l'avais pas vu la déposer. Ni personne, il y avait du monde à la boutique. J'espérais que c'était bien la sienne, je ne savais même pas son prénom (pourquoi nous serions-nous présenté ?). J'ai décidé que ce n'était pas une erreur, qu'il avait voulu me laisser le choix.
J'aurai dû la jeter, j'aurai dû me dire que ma faim était allée trop loin. Je lui ai envoyé un message mon dernier jour, lui expliquant que je ne reviendrai plus au magasin, et bonne continuation. J'étais assez satisfaite de mon prétexte, un texto ça n'engage à rien. Il est descendu à la boutique quelques instants plus tard, l'air un peu fébrile, il me cherchait des yeux. Je le surveillais depuis mon poste de caisse avec l'air satisfait de la veuve noire qui a capturé une proie. Il a un peu discuté avec les autres vendeuses, tentant de faire oublier qu'il n'avait pas de raison particulière de descendre au magasin, puis il s'est tourné vers moi et nous avons échangé quelques mots sans importance, les regards que nous avions échangé avaient tout dit, ma liaison était scellée.
Je lui ai envoyé un SMS l'invitant à prendre un verre tandis qu'il remontait, quelques instants plus tard je recevais un rendez-vous. C'est comme ça que j'ai commencé à tromper mon petit ami, avec une certaine euphorie.

D'ailleurs je n'ai pas l'impression de le tromper. Pour ça il faudrait que nous ayons une vraie relation. Je l'appelle quand j'ai besoin de m'assurer de mon pouvoir sur lui, quand j'ai envie de me dépayser, quand il pleut. Nous parlons peu, d'ailleurs je ne sais pas s'il voit quelqu'un d'autre, il ne me parle jamais de mon petit ami. Ce n'est pas important. C'est une relation en gruyère, trop incongrue pour avoir un sens. Il ne me plait pas particulièrement. Tout ce qui compte, c'est que je sois spéciale à ses yeux. C'est toujours comme ça. J'ai besoin de sentir le regard des hommes sur moi, c'est ma faim, mon petit secret.
 
Nous nous amusons beaucoup de notre différence d'âge, Adrien et moi (oui, j'ai oublié de vous dire, mon "amant" s'appelle Adrien). Avec quelqu'un de ma génération, je n'aurai pas pu faire ça, il aurait fallu s'investir, choisir, se cacher, s'expliquer. Avec lui, je peux m'afficher au grand jour, parce que personne n'imagine une liaison entre un homme de quarante ans et une jeune étudiante. On guette le regard des gens, qui tentaient pensifs de deviner notre lien de parenté, ce qui pouvaient nous unir (parrain et filleule ? prof et élève ? ancien baby-sitter ?).
Je n'ai pas besoin de trouver des excuses pour voir un homme de quarante ans. Un homme de quarante ans, ça ne compte pas. Je reste évasive quant à nos activités, nos discussions, et personne ne va s'imaginer des choses. Pourquoi une jeune fille bien dans sa peau et heureuse dans son couple irait fréquenter un vieux ?
J'aime le silence que je peux partager avec lui. Mon copain, il vit dans l'instant présent, et il se sent obligé de saisir le moment, les souvenirs, avec des mots, des exclamations. Il ne me laisse pas être en paix. Sinon, on est bien ensemble, j'ai l'impression que je ne pourrais jamais échapper à son emprise. Il ne parvient plus à contenir ma faim, c'est une proie trop facile.
Avec Adrien, c'est facile. Je n'ai pas sans cesse à me sous-titrer, à me justifier, à m'expliquer. Notre liaison se passe de commentaires. il me prends comme ça, un peu baroque, un peu absente. Au fond, tout ce qu'il y a entre nous, c'est une histoire un peu bizarre, un peu incongrue. Un goût pour ce qui boite, pour ce qui est tabou. Au fond, on est deux paumés qui se sont croisés par hasard.
Bientôt il ne suffira plus à apaiser ma faim.
Par Nowhere.Town le Mardi 21 septembre 2010 à 20:35
Un texte très agréable à lire, parce que je suis curieuse -peu importe que l'histoire soit réelle ou non- et qu'il est très bien écrit.
 

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