Samedi 11 avril 2009 à 11:43

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- Vous êtes devenue la hantise de tous les journalistes…
- Vraiment ? Dites, c’est quelqu’un qui vous a soufflé cette amorce époustouflante ou vous l’avez trouvée toute seule ? Non, dites-moi sincèrement de qui est cette perle, ce joyau, ce rubis parmi les graviers, il faut absolument que je félicite l’incapable qui a supputé que cela ferait bon effet de commencer par évoquer vos collègues, sans doute dans le but de vous mettre en valeur face à leur médiocrité.
À votre tête, on dirait bien que c’est une self production. Oh yeah. You must be a genius. Vous pouvez pas comprendre, c’est de l’anglais. Genius : j – e – n – i – u – s. Non, je plaisante. Ça commence par un g. Mettez bien ça dans votre compte-rendu. Genius. Ça va faire un effet d’enfer. Mon Dieu que je suis ringarde.
Parce que vous savez… même si j’écris en français, je suis bilingue, en fait. Enfin presque.
Bon. Vous avez cinq minutes pour rattraper votre bourde et m’éblouir. Allez-y, je suis toute à vous.
- Eh bien…
- Quatre minutes cinquante-cinq.
- …
Quatre minutes cinquante. Dieu que vous êtes lente. Avez-vous seulement conscience que le XXIème siècle est celui de la célérité, du rendement ?
Pauvre chérie, pas étonnant que vous soyez devenue journaliste.
- Qu’est-ce que ça sous-entend, ça ?
- Rien.
- Et lâche, avec ça. Pas étonnant que vous soyez devenue écrivain.
- Ne crachez pas trop sur l’écriture, c’est notre gagne-pain à toutes les deux et je me doute bien que c’est parce que votre manuscrit a été rejeté que vous en êtes là.
Si j’ai dit « non rien », figurez-vous que c’est parce que je ne vois pas l’intérêt de polémiquer pour remplir du vide autour un sujet sur lequel nous ne tomberons jamais d’accord. Au demeurant, je voulais vous éviter l’humiliation de mordre lamentablement la poussière après tout juste trois minutes trente-sept de joute verbale.
Mais j’oubliais sans doute que le but d’une interview est de fendre l’air avec des mots creux, peu importe le contenu, pourvu qu’ils choquent puisque que ça fait grimper les ventes, entre deux échanges de banalités, non-sens et autres lieux communs.
- Vous semblez nourrir une haine tenace contre notre profession.
- De la haine ? Très peu pour moi, je ne vous accorderai que trop d’importance en gaspillant un peu plus que de la salive à votre égard. Et puis, je m’amuse beaucoup.
Je vous signalerai que vous n’avez pour l’instant rien fait pour me faire changer d’idée sur votre noble travail. Mais bon, il n’y a pas de sot métier, dit-on.
- Votre « style » oral est très différent de celui de votre roman. Votre écriture est marquée d’une mélancolie désabusée, mais lorsque vous parlez vous virez carrément au cynisme et à la méchanceté. La seule constante c’est la froide ironie.
- Les écrivains sont connus pour être schizophrènes.
- Mais n’avez-vous pas l’impression de vous « travestir », de vous renier vous-même ?
- Si j’avais l’intention de me complaire dans le petit confort narcissique à être la même en deux et trois dimensions, j’écrirais des autobiographies, pas des romans.
- Mais… comment expliquer une telle différence ?
- Peut-être parce que mes personnages ne m’importune pas et ne m’empêchent pas de faire ce que je veux, écrire notamment, et ne mettent pas en colère. De plus, ils sont intéressants, ils me distraient suffisamment pour que je n’aie pas besoin de les piétiner pour mon propre plaisir.
- Vous reconnaissez donc être une garce lorsque vous vous exprimez ?
- Difficile de le nier. De toute façon, mes éventuels lecteurs n’ont besoin de ne lire que quelques pages pour se rendre compte à quel point je suis tordue.
Au fait, bravo pour avoir réussi à placer le mot « garce » dans la conversation. Très accrocheur. Zéro minute trois secondes.
- Vous acceptez de répondre encore à quelques questions ?
- J’ai le choix ?
- Bien sûr.
- Vous plaisantez ? Mon éditeur va encore me gronder si je ne ponds pas une interview digne de ce nom.
- Vous materne-t-il ?
- Ça fait un peu parti de son travail.
- Je veux dire, avez-vous le sentiment qu’il s’occupe particulièrement de vous à cause de votre jeune âge.
- C’est étrange, cette tendance des adultes de plus vingt-sept ans à la condescendance et au moralisme envers leurs cadets. Comme si la jeunesse qu’ils côtoient éveillait en eux des instincts parentaux enfouis, les enfonçant ainsi dans une sorte de sénilité précoce, au lieu de les rajeunir. Mon éditeur ne fait pas exception à ce type d’individus.
- Pourquoi avoir rédigé Joël sous forme de recueil de nouvelles ?
- J’abandonne vite, je me lasse facilement et j’ai beaucoup de mal à achever quelque chose, ou à revenir sur ce que j’estime en avoir fait le tour. La nouvelle est le procédé que j’ai trouvé pour terminer.
Vous savez, lorsque je laisse une nouvelle inachevée, j’ai le plus grand mal à la reprendre, car les idées fusent au fur et à mesure que la plume glisse sur le papier. C’est un peu le principe de l’écriture, pour tout vous dire. Donc, lorsque j’abandonne un texte en cours, les idées s’envolent et il est difficile de les recapturer.
J’ai aussi besoin d’inventer peu à peu le déroulement de l’histoire : lorsque je sais comment ça va finir, ça ne m’intéresse plus de l’écrire.
En somme, l’avantage des diverses voix de ce roman, c’est de raconter sur une centaine de pages du néant, il ne se passe rien et c’est intéressant quand même. Enfin, moi ça m’a intéressé.
- À quelle époque situeriez-vous l’action ?
- Encore aurait-il fallut qu’il y ait de l’action.
Si je n’ai pas donné de date, pas plus que je n’ai décrit Joël ou que je n’ai donné leurs âges, à lui et à Jerry, c’est pour éviter ce genre de parti pris selon lequel une histoire est forcément figée dans un cadre spatio-temporel fixe, avec des personnages clairs et définis, qui font des actions et qui évoluent.
Bien sûr, certains détails trahissent ma vision, même sans cadre rigide mais l’avantage de la littérature sur le cinéma, la peinture… je vous rappelle que c’est l’imagination. L’un des objectifs de la fiction est de transcender la réalité, la dépasser et s’affranchir des considérations bassement matérielles. Le théâtre tend vers cela, en parachutant des personnages sur des scènes parfois nues, et au spectateur de construire le reste.
Après, si vous êtes incapable de percevoir que O. vit en H.L.M., si vous avez besoin qu’on vous décrive un train, si vous ne sentez pas que le paysage urbain que les narrateurs laissent échapper renvoie à une époque moderne, je ne peux rien faire pour vous.
- En parlant des narrateurs… comment vous est venue l’idée d’un portrait croisé d’un être dont on ne sait finalement pas grand-chose ?
- Il me semble avoir écrit en toutes lettres que Joël est insaisissable. C’est vrai aussi en ce qui me concerne.
C’est la raison pour laquelle il n’est jamais narrateur et que ses mots, même à l’indirect libre, sont évités au maximum.
Je vais même vous faire une analyse psychologique digne d’un magazine féminin de culture, comme vous en rêvez. En plus, moi je le fais gratuitement. Peut-être que tout ce livre n’est qu’une tentative de le saisir.
- Vous avez réussi ?
- Si ça avait été le cas, ça n’aurait pas été marrant.
- Pourquoi ?
- La beauté n’est pas sublime dans son insanité ?
- Vous vous sentez proche de vos personnages ?
- Suffisamment pour retranscrire directement les pensées de Jerry et des autres Joël addicts, et caetera, et caetera.
Pas assez pour m’attaquer à Joël. Vous savez bien que ce roman n’est peut-être qu’une tentative de définir tout ce qu’il n’est pas.
- Avez-vous le sentiment de vivre votre vie de façon fragmentée, comme ce que vous écrivez ?
- J’imagine que vous essayiez à travers cette question de paraître intelligente et réfléchie. Je vous fais la grâce de ne rien ajouter et de ne pas vous pousser dans vos retranchements en tentant d’expliciter cette question. De plus, je pense avoir donné suffisamment de réponses « normales » entre les piques.
Bonsoir.
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