Et ce qui devait arriver arriva.
Ma mère commençait à te faire des crises de jalousies qu'elle dissimulait mal sous le couvert de la plaisanterie, elle vidait de plus en plus de verres et tu t'en occupais de moi en moins, préférant « m'aider à faire mes devoirs » ou à vaquer à tes occupations, tout simplement.
Bien que détachée de la réalité, habitant son rêve en compagnie de son fils-amant, elle sentait bien que tu te détachais d'elle, que tu t'éloignais, fissurant le ciel azur de sa chimère.
Tu sais ce qui me frappe, à présent ?
C'est qu'au fond, nous n'avons jamais communiqué, toi et moi.
Malgré tout ce temps passé ensemble, malgré cette attirance réciproque, peut-être même cet amour, malgré cette situation surréaliste, nous n'avons jamais abordé nos sentiments, ceux qui comptent, jamais nous n'avons mis à plat l'essentiel, nos échanges n'ont jamais vraiment dépassé le babillage ordinaire que tu me débitais matin et soir et pourtant, j'aurai tant eu à te confier…
C'est pour ça que je te dis tout ça, maintenant, Guillaume, tu comprends ?
Je sais qu'il est trop tard, peut-être même as-tu relégué toutes ces vieilleries au fin fond de ta mémoire.
Mais je voulais rattraper le temps perdu. Je voulais que tu saches.
Ce souvenir est marqué dans ma mémoire au fer rouge.
Ecoute. Tout se tait. Rien ne trouble ce calme inhabituel. Ni cris d'enfants ni vrombissement de moteur venu du dehors.
Le pavillon est vide, il n'y a que toi et moi.
Je suis dans le salon, je profite que Maman ne soit pas là pour me gronder pour me jucher sur la table haute, adossée au mur, dédaignant les chaises et le canapé, j'ai un livre à la main, peut-être une pomme dans l'autre.
Le salon désert borde mon ouvrage, tout est blanc, je m'arrache du monde réel.
Lorsque soudain une silhouette se découpe dans la pièce vide, se plaçant entre la lumière du dehors et moi.
Je lève les yeux, sans doute mon cœur fait-il un bond, comme souvent, c'est sans importance.
Il y a dans ton œil un éclat que je ne connais pas.
Qualifier ton regard de carnassier, ou de lubrique, serait sans doute un peu exagéré, et pourtant tu ne saurais nier qu'il y avait de cela dans tes prunelles.
Tu avances lentement vers moi, mes yeux sont hypnotisés par les tiens, je pourrais songer à un prédateur qui tourne autour de sa proie, je n'y pense pas.
Tu ne dis rien, les mots sont inutiles, tes gestes équivoques. Aucune ambiguïté possible.
J'ai peur et je suis rassurée, parce que c'est toi.
Le moment tant attendu est là, au creux de ma main.
Assez jeune pour que ce soit immoral, pour ne pas tout saisir, assez vieille pour sentir que c'est mal, sentir mon cœur tambouriner dans ma poitrine, pour en avoir confusément envie.
Je sais ce qui va se passer, mon instinct me le souffle, mais je ne sais pas, ma tête ne comprend plus, j'ai envie et non à la fois, c'est la danse du torero, les prémices du viol d'une victime consentante, une relation incestueuse entre deux individus sans liens de parenté.
Je suis perdue.
Ces gestes, ces yeux, la machine est en marche, elle s'affole, elle s'emballe, le temps se précipite, tu marches lentement vers moi, inexorablement la distance se réduit, tu as l'air si doux et un peu âpre, je ne sais déchiffrer ton regard, ton attitude, qu'est-ce que tu attends de moi, tout bascule une fois encore, je hurle non et je m'enfuis, pourtant je voulais. Tu me suis peut-être mais tu es si lent, est-ce que tu es vraiment toi-même en cet instant, ou non, je me barricade dans ma chambre. Tu ne cherches pas à entrer, ni même à me parler à travers le battant, je ne sais même pas si tu vraiment là, il me semble déceler ta présence menaçante et bienveillante derrière la porte, entendre ta respiration hachée et sifflante, et peut-être que je rêve.
Maman rentre avec mon frère et ma sœur, je me sens sauvée, je ne t'entends pas t'enfuir.
Quelques jours passés à t'éviter, à t'échapper, à me cacher derrière ma mère. Je ne saurais dire si tu cherches ma présence, si tes intentions à mon égard sont bonnes ou mauvaises, si c'est encore comme avant ou si tout est changé.
N'y tenant plus, j'ai fuis, la rue est devenue mon nouveau foyer, ma mère n'a jamais cherché à me retrouver, à ma connaissance, tu n'as jamais tenté de prendre de mes nouvelles.
Je ne saurais dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose.
Celle que je suis devenue est sans intérêt, sache juste que je viens, les interrogations que je soulève sur cette bande magnétique n'exigent pas de réponses, peut-être ton point de vue même n'appelle pas à être exposé.
Je voulais seulement rendre justice à cette fillette de douze-treize ans, peut-être quatorze, qui t'a aimé. Qui n'a jamais cessé de t'aimer.
Si tu veux me retrouver, je t'attends, si tu parviens à retrouver ma trace, mais je n'y crois pas vraiment.
Adieu, Guillaume. Maintenant tu sais.
Jeudi 1er novembre 2007 à 17:09
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