Rosaline
Je t'en prie, ne jette pas cette lettre, prends au moins la peine de parcourir les quelques lignes écrites de la main tremblante d'un amant malheureux.
Je n'ignore pas votre voeu de chasteté et ce serment me tue à chacun de mes pas.
J'erre dans les rues désertées par vous, poursuivi par un démon qui porte vos traits.
Chaque femme que je croise, vieille ou enfante tout juste sevrée, chaque demoiselle très digne, chaque épouse, toutes m'évoquent vos traits et meurtrissent un peu plus mon coeur déchiré, je vous l'offre, je vous le sacrifie si seulement vous m'accordez un sourire.
Mes journées s'écoulent lentement, aucun être n'égaille mes marches sans fin ni but.
Je fuis ceux qui me divertissais tant hier, tant ils me semblent fades par rapport à vous, leurs jeux me lassent, vous êtes la seule qui puisse m'arracher à ma mélancolie, je n'ose me confier de peur qu'on me méprise, je ne veux laisser personne dénigrer le sentiment que je vous porte.
Vous occupez chacune de mes pensées, une journée sans vous voir, ce ne serait-ce qu'une mèche de cheveux, vous entendre, même un bruissement de l'étoffe de votre jupe, est un enfer plus grand encore que mes réveils à l'aurore, lorsque l'aube se confond encore avec nos chimères, que je vous croyais encore mienne dans ma folie et que lentement la réalité ne m'apporte qu'une couche vide de votre silhouette.
D'autres me pressent pour que je les prenne pour maîtresses, et pourtant vous êtes la seule qui compte.
Je deviens fou et si je quitte ma demeure c'est parce que je vous y ai trop imaginé, évoluant d'une pièce à l'autre, ô fantôme de mes songes, j'espère que mes pas croisent les vôtres à chaque coin de rue et mon cœur meurtrit meurt un peu plus chaque fois que mon espérance s'avère déçue.
Il me semble que vous ne me quittez pas un instant, tant je vous imagine marchant à mes côtés le jour, endormie entre mes bras la nuit, et pourtant j'ignore si vous avez conscience de mon existence.
Quel diable êtes-vous donc pour me torturer de cette façon sans daigner me laisser le moindre espoir de voir jamais ces stupides délires se réaliser ?
Êtes-vous magicienne, pour m'ensorceler ainsi, me ligoter à vos pieds, sceller mon âme dans une cage de cristal dont la serrure porte votre nom, êtes-vous humaine, pour me regarder mourir asphyxier dans ma prison sans faire un geste pour me délivrer ?
Non, vous n'êtes pas humaine, votre beauté l'atteste, votre sagesse le prouve.
Comment pourriez-vous avoir la moindre goutte de notre sang, nous imparfaites créatures qui souillons la terre de notre impureté, vous l'ange, vous la perfection, on vous admire et pourtant personne ne vous ressemble, vous êtes au-dessus du genre humain.
Comment vous résister ?
Est-ce Dieu qui vous envoie, ou le Diable, vous qui enseignez le véritable sens du mot « beauté » à quiconque pose les yeux sur vous.
J'ignore si avoir un jour contemplé vos traits est un malheur ou une bénédiction.
J'imagine que je ne suis pas le premier à vous courtisez, merveille que vous êtes, cependant je vous supplie, je vous conjure, si ce n'est d'abandonner votre voeu d'austérité, et de célibat, au moins daigner m'adresser quelques mots, m'accorder quelques heures de votre temps, laissez-moi boire quelques gouttes de votre beauté, m'enivrer à la douceur de votre voix, vous toucher, peut-être, effleurer votre blanche main de mes lèvres froides et grossières, et me résoudre à vous abandonner à regret, pour n'attendre que le prochain instant béni que vous m'offrirez.
Je ne vis que dans l'attente d'une réponse de votre part, un mot, un signe, un battement de cil de vous pour moi, un fragment de vous, de votre attention, à chérir dans le secret de mon esprit malade et torturé.
Adieu, ô belle Rosaline, sachez que si un jour d'aventure vos pensées s'égarent vers moi, soyez assurée qu'à cet instant je penserais à vous
Roméo Montaigue