Lentement, le café s'est vidé, les chaises ont été désertées, par à-coups, comme un contrecœur. Et pourtant il n'y a rien à y faire. Comme partout ailleurs.
Bientôt, il n'est plus resté entre ces quatre murs que le Guide, la barman et moi, plus quelques vieillards trop ivres ou trop épuisés pour faire quelques pas.
La barman a levé les yeux de son ouvrage (Elle reprisait… quoi ? L'étoffe était trop informe pour le déterminer.) et a gentiment mais fermement poussé les vieux dehors.
Elle s'est alors tourné vers nous, avec tapie au fond de ses iris cette question « que vais-je faire de vous ? ».
Son instinct lui soufflait sans doute qu'elle ne devait pas, ne pouvait pas nous mettre à la porte. Ce n'était même plus une question d'éthique (qui se soucie encore de ceux qui dorment dehors ?). C'était sûrement plus vital que ça.
Je fuyais son regard. J'avais trop peur de ce qu'elle y pourrait lire.
Je n'aimais pas ce monde étriqué, maintenu sous cloche, l'air y sentait encore un peu le luxe rance, je n'aimais pas cette Bulle dont je ne connaissais pas les codes et où je n'avais pas ma place.
Dans la rue, dans la meute, au moins, la règle était simple, limpide : survivre. Coûte que coûte.
Ces gens ne tentaient même plus d'agir, ils attendaient… la fin de la guerre, la mort, ou je ne sais quoi…
Ils semblaient s'ennuyer tellement…
J'avais hâte de gagner le Jeu, pour en finir. Pour fuir.
« Tu n'as nulle part où aller, n'est-ce pas ? » me demanda la tenancière, les bras croisés sur sa poitrine.
J'opinai sans rien dire.
« Il y a des chambres, en haut. » me dit-elle avec un sourire désolé, comme si elle était responsable de cette misère, de tous ces enfants perdus, de cette guerre absurde.
« Pour toi aussi. » a-t-elle ajouté à l'intention du Guide.
Sans doute ne savait-il plus très bien ce qu'il devait faire, s'il devait rester avec moi ou si sa mission était achevée… Mais ce n'est pas comme s'il avait autre chose à faire, ailleurs. Ce n'est pas comme s'il avait une existence propre.
La patronne nous adressa un de ses sourires distants et pourtant chaleureux, et nous fit signe de la suivre.
Nous lui emboîtâmes le pas tandis qu'elle traversait l'arrière-boutique et nous entraînait dans les méandres de l'Etouffoir.
La barman s'effaça pour nous laisser franchir une volée de marches. À l'étage s'étendait un long couloir.
« C'était un hôtel, ici, avant. » nous indiqua-t-elle du bas de l'escalier.
« Un endroit où on prête des chambres contre de l'argent. » ajouta-t-elle devant notre incompréhension. Puis elle disparut.