C'était un corridor étriqué, plongé dans la pénombre.
Les plafonniers semi-opaques clignotaient, et annonçaient l'imminence du couvre-feu et de la coupure de courant nocturne.
Les murs étaient recouverts de papier-paint jaune d'or défréchi et l'épais tapis, tissé d'arabesques dorées et rouges, semblait s'étendre à l'infini, bien au-delà du mur aveugle qui cernait l'horizon, au loin.
Mes pas soulevaient des nuages de poussière. Je m'engouffrais par la première porte ouverte venue pour ne plus avoir à affronter le vide entêtant de ce couloir désert.
Le Guide, qui me suivait de près, se coucha sur une petite carpette au centre de la pièce (assez sommaire, du reste et que l'obscurité relative m'empechait de détailler) et s'endormit en position foetale. Etait-ce par galanterie qu'il m'avait cédé le lit ou bien...
Je m'effondrais sur la couche, mais je mis longtemps à m'endormir : dès l'instant où je fermais les yeux, le tatouage niché dans le cou de la patronne, comme deux petites morsures, dansait derrière mes paupières.
La première chose que je vis le lendamain matin au réveil fut le bandeau du Guide... j'allait dire "qui me fixait".
Il m'attendait, assis en tailleur sur le tapis, sans bouger.
Lorsque j'ouvris la porte, je me trouvais nez à nez avec une fillette qui me détaillait de la tête au pieds.
Je n'eus pourtant pas le temps de l'observer avec attention puisqu'à l'instant où mon regard a croisé le sien, elle a dévalé l'escalier à toute allure, avec un reniflement de mépris.
Ce n'est que quand elle eut tourné les talons, ses cheveux se soulevants en corolle, que j'apperçus les tâches au creux de sa gorge, comme deux petites virgules, et je me disais "non, pas si jeune...".
Je m'élançais à sa poursuite, le Guide sur mes talons.
Elle avait atteint la salle du bar que je ne l'avais pas encore rattrapée, comme si elle eut été dotée d'aptitudes à la course surnaturelles.
La tenancière nous accueillit avec son sourire désanchanté.
" Ma fille. " commenta-t-elle laconiquement en désignant la gamine du menton.
Cette dernière était à présent assise à un des hauts tabourets du comptoir (comment avait-elle pu être si rapide ?) et montrait ses dents dans un rictus qui ne faisait même pas mine d'être accueillant.
" Elle est un peu sauvage, mais elle n'a encore mordu personne. Elle occupe la chambre à côté de la vôtre. " commenta la patronne du bar d'un ton résigné.
" Petit déjeuner ? " reprit-elle d'un ton plus joyeux.
Soudain, j'eus peur. Peur que le Jeu ne s'achève prématurement, peur que cette gosse ne plante ses crocs dans mon cou, la nuit prochaine ou la suivante.
Elle pouvait très bien être la Vampyr, elle en avait l'allure avec son attitude un peu farouche de prédateur, et pourtant si elle était réelement la fille de la tenancière... Quelque chose ne collait pas.
Sans attendre ma réponse, cette dernière avait tiré deux sièges à notre intention au comptoir, jonché de victuailles : pain; matière jaune en bloc, qui fond et qui s'étalle mal sur le pain (Du beurre ! Je croyais qu'il fallait au moins être ministre pour y avoir accès par ces temps de rationnement...); confitures très sucrées, du vrai café, du thé en sachets bien garnis, même du lait !
Que d'abondance...
Le Guide se précipita sur la nourriture, qu'il engloutissait avec ses doigts (après avoir manipulé une cuillère avec curiosité).
Pour ma part, j'essayais de garder quelques civilités, mais même à la maison, je n'avais vu autant de nourriture, et je mangeais autant que je pus.
Le café se remplissait peu à peu. Les nouveaux arrivants prenaient une collation, échangeaient quelques mots avec la patronne.
Pour ma part, je fixais sa fille, qui dévorait à pleines dents une tranche fine de viande rouge bordée de blanc (de la viande !...) avec une grimace carnassière...
Lundi 24 décembre 2007 à 17:44
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