Étendue sur le lit, elle fixait le plafond en lui tenant la main.
« Tu sais je n'en peux plus, je n'en peux vraiment plus.
Je suis au pied du mur.
J'ai pensé à me jeter du septième étage, pour voler au moins une fois dans ma vie, tu vois, mais j'ai trop peur d'avoir mal, et puis pour les petits... Je n'ai pas le droit de leur montrer ce triste spectacle. Pareil pour les poignets, ça doit être une longue agonie. La pendaison, ce n'est pas la peine, le support va céder, c'est un classique. Et puis je n'ai pas envie de mourir seule.
Je suis désolée de t'imposer ça, peut-être tu me regretteras un temps et d'autres aussi, mais ce n'est juste plus possible, tu comprends ? Je suis déjà morte.
Alors je voudrais que tu m'étrangles. Là, maintenant, sur ce lit.
Ne t'inquiètes pas, personne ne t'a vu, personne ne sait, on ne peut pas remonter jusqu'à toi, j'y ai veillé. Personne n'est au courant pour nous deux, personne ne nous a vu devenir pas même amis, on te demandera si tu savais que j'étais dépressive et puis on te fera voir un psy, tu pleureras un peu et tu pourras retourner à tes études, avec les autres.
Je ne veux pas qu'on te cause du tort.
En plus, ça aura l'air d'un meurtre, ça pourrait être n'importe qui.
Lorsque tu auras fini, n'oublies pas de mettre un peu de désordre, s'il te plaît. »
Elle serra sa main plus fort encore, sans jamais le regarder. Lui s'obstinait à fixer une ombre floue par la fenêtre. Qu'aurait-il pu faire d'autre ?
Le sinistre engrenage se mettait en marche, cran par cran, et lui donnait la nausée, mais que pouvait-il faire ?
Il sentait cette douleur immense, presque palpable, il sentait ses doigts s'éteindre doucement entre les siens, il sentait son coeur battre de plus en plus doucement, il la sentait se déchirer lentement, égarant ce à quoi elle tenant tant... ses souvenirs... ses amis... ses mots... son âme...
Comment la regarder se dissoudre lentement, sans rien faire ?
Ils se connaissaient à peine, leurs peaux sont encore si peu intimes...
« Je sais que c'est beaucoup te demander, A., mais je ne peux pas, je n'y arriverais pas sans toi. J'en ai besoin. »
Il comprenait et il ne comprenait pas, il aurait voulu dire non, il voulait dire oui, l'assassiner proprement et qu'on en finisse...
La mort comme ultime acte d'amour.
Elle ajouta avec un sourire apaisé « et puis c'est sensuel, d'étouffer quelqu'un. C'est comme si tu avais voulu m'étreindre un peu trop fort. »
Il appliqua ses deux mains sur sa gorge et commença à serrer, en fermant les yeux pour ne plus jamais les ouvrir...
Lorsqu'elle les rouvrit, il était recroquevillé sur sa chaise, ses yeux la fuyaient.
« Je ne peux pas. »
Elle se leva avec légèreté, et l'entoura maladroitement de ses bras frêles « Je sais. Ce n'est rien. »..
Elle essaya de le serrer aussi fort que possible, en répétant dans le creux de son oreille « ce n'est pas grave, ce n'est pas grave... »
Puis elle se détacha de lui et prit la parole, en jouant machinalement avec une mèche de A.
« Bon c'est fini, alors, de toute façon ? Tu devrais rentrer, tu vas prendre du retard dans tes devoirs pour rien. Tu as déjà perdu assez de temps tu ne crois pas ? Tu vas le dire aux autres, n'est-ce pas ? Tu vas leur dire que je suis complètement timbrée, que j'ai voulu te forcer à me tuer. Tu leur diras qu'il ne faut pas m'approcher. C'est bien normal. Dans deux jours, toute la classe saura que je suis folle. Bah, je m'y ferais. Ce n'est pas si terrible. C'est même normal. C'est ce que je suis, il n'y a rien à cacher. J'espère juste que ça ne viendra pas aux oreilles de Maumau, sinon je n'en finirais plus avec les entretiens... Pour le coup c'est moi qui vais me coltiner le psy, ahah. Quelle perte de temps. Je vais peut-être même me faire renvoyer, d'ailleurs. Je ne sais pas si c'est une bonne ou un mauvaise chose... »
Elle énonçait toutes ces choses avec calme, elle ne semblait même pas s'apercevoir qu'elle parlait à voix haute, elle ne semblait pas affectée par ses suppositions, tout au plus ennuyée à l'idée de devoir rendre compte aux adultes de ses états d'âme qu'elle aurait préféré ne partager avec personne.
A., qui avait encaissé toutes ces accusations sans mot dire, lui agrippa soudain le bras.
« - A. Tu me fais mal.
- Parce que c'est ta grande hantise, n'est-ce pas ? « Non, je ne veux pas me tuer de cette façon, ça fait mal. » Même ton suicide, c'est pour fuir la douleur. Tu te prends pour quoi ? Pour une poupée ? Tu crois que tu es la seule à souffrir ? Tu crois que tu es la selue à saigner ? Tu crois que personne ne va souffrir de ta mort ? Tu n'es qu'une sale gosse pourrie gâtée ! Tu veux crever ? Parfait ! Tu le mérites ! Tu me dégoutes... Je ne sais pas ce qui me retient de te tuer et qu'on en finisse... »
Il la poussait peu à peu vers le mur, une main sur son cou.
Elle sourirait tristement, en silence, ce qui ne pouvait qu'énerver son amant d'avantage.
Elle affichait une mine résignée, se préoccupant peu de l'issue de l'affrontement.
Il laissa retomber ses bras.
« - Je suis désolé, je...
- Ne t'excuse pas. »
Elle fit un geste pour lui caresser sa joue et le suspendit. Elle ne savait plus au juste si cela lui était autorisé ou non.
Il la serra contre lui, convulsivement puis se dirigea à grands pas vers l'entrée.
Elle le regarda partir avec un signe de main, il ne se retourna pas.
Il claqua la porte sur quelques heures de bonheur paisibles, d'étreintes hâtives et sauvages, d'une alcôve où il avait pu trouver quelques rares moments de paix.
Il ne savait pas s'il aurait le courage de revenir un jour, bien qu'il sût que la porte lui serait toujours ouverte. Il ne savait pas si elle se présenterait en cours le lendemain. Et si elle n'y était pas...
Vendredi 10 octobre 2008 à 16:32
Commentaires
Par Lince Darkness le Vendredi 10 octobre 2008 à 17:40
Encore un interlude, ceux que je préfères, voila mon second texte préféré, dommage.... j'aurai bien aimé un peu plus de description entre le passage "fermant les yeux" et "rouvre les yeux"... sinon j'adore! that's all!
Par Mercredi 22 octobre 2008 à 6:59
le Jolie texte :o))
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