Vendredi 21 mars 2008 à 20:56

Elle s'est présentée à moi honteuse, enfoulardée Chanel, cachée derrière ses vastes verres opaques. Je la soupçonnais d'avoir pleuré.
Inutile de lui demander ce qu'il s'est encore passé, certaines questions ne se posent plus.
Je l'ai laissée s'asseoir à ma table sans dire un mot, attendant qu'elle daigne sortir de sa coquille de douleur. Une fois de plus.

Inutile de préciser que la chaise qu'elle venait d'accaparer était théoriquement occupée par une sublime créature (comprendre : future hypothétique mannequin et actuelle call-girl) qui était tout aussi théoriquement occupée à se repoudrer le nez, c'est-à-dire qu'elle était en train de renifler le rail de coke avec lequel j'avais réglé sa « prestation ».

Heureusement, j'ai racheté l'hôtel et son bar, je connais intimement toutes les serveuses, et je sais qu'elles feront le nécessaire pour éconduire la jeune demoiselle. Elles me doivent bien ça.

« Quoi de neuf ? Tu files toujours l'amour parfait avec N. n'est-ce pas ? » j'ai demandé d'un ton engageant appuyé d'un sourire éclatant (3 000 $ chez un dentiste de ma connaissance, une misère), en lui allumant une cigarette, ravi de la tenir enfin sous ma coupe.
Elle a haussé les sourcils en me regardant par-dessus ses lunettes, juste pour vérifier que je ne me moquais pas d'elle.
C'était pourtant le cas.
Ne me regardez pas de cette façon. Que vouliez-vous que je fasse ? Que je renverse la table (provoquant des tracas aux serveurs en projetant du même coup les bougies Dieu sait où, embrasant Dieu sait quoi ?), pour la prendre dans mes bras ? Que je mette à un genou à terre en lui déclarant mon amour éternel ? Que je lui offre un dé à coudre ?
Pas mon genre. L'amour, c'est trop désarmant, vous ne trouvez pas ?

 

Elle a daigné ôter un de ses carrés et me montrer par la même occasion la partie inférieure de son visage de poupée de porcelaine.
Elle a aspiré une bouffe de la cigarette que je lui tendais sans conviction, et me la rendue, comme si elle était trop lasse même pour fumer, avant de plonger ses yeux dans le vague (pour autant que je puisse en juger à travers ses verres fumés) et de maugréer sans conviction, presque pour elle-même « Encore une fois, putain »
J'imagine qu'elle venait d'apprendre que N. l'avait trompée, une fois encore, ou quelque chose comme ça.

J'ai pris l'air affecté de celui qui s'ennuie et qui ne se préoccupe pas le moins du monde de ce que peut bien articuler sa compagne de beuverie, afin qu'elle se sente libre de se confier au vent et qu'il me rapporte ses chuchotements.
J'ai commandé deux vodka-orange et elle a brièvement orienté sa tête dans ma direction, comme si l'association « vodka-orange » lui parlait particulièrement.
Et c'est justement ce que j'avais l'intention de faire. La faire parler puis la faire taire. La séduire à ma façon, une fois encore.
Il n'y a que lorsqu'elle ne marchait plus droit qu'elle abaissait ses défenses et me laissait approcher, et je l'aimais trop pour ne pas me précipiter sur les rares miettes qu'elle me laissait picorer, entre deux réconciliations avec N., et peu importe que ce ne soit pas « moral », ni « loyal », et tous ces mots que j'exécrere. Je l'aime trop pour ne pas la vouloir de gré ou de force.
Au fond de moi, j'aimais croire que ces moments d'égarement n'étaient pas seulement le fruit de l'alcool.

Mais avant, la faire parler. Découvrir ce qui cloche cette fois, l'utiliser pour saper ses remparts, ses convictions, la déstabiliser, pour l'affaiblir, l'entraîner dans ma chute, ma déchéance, mais la serrer contre moi de toutes mes forces. Lui dire je t'aime dans le seul langage que je connaisse, même si je l'ai tant utilisé pour mentir.
Mais je n'en peux plus de la perdre le matin venu.
Elle sera mienne ou nous ne serons plus.

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