Suite de
- Vous n'avez pas peur ?
- Si, un peu. J'ai surtout peur du noir.
- Il y a des gens louches dans votre quartier ?
- J'ai beaucoup d'imagination.
- Vous avez de la chance.
- Si vous le dites.
- Votre femme vous reproche de ne pas en avoir ?
- Oui, je… Comment vous savez que je suis marié ?
- Je le sais, c'est tout.
- Euh oui, bon… Pourquoi rentrer tard si vous avez peur ? Vous pourriez vous faire agresser ou…
- Ma vie n'a aucune valeur, vous savez.
- Bien sûr que si !
- Ah oui ? Vous m'en direz tant…
- Vous avez… envie de mourir ?
- Pas plus que ça.
- Ah…
- …
- Et ces nuits-là, vous ne rentrez pas du tout ?
- Si, je passe chez moi vers 5-6 heures, pour me reposer un peu.
- Et comment vous faites pour tenir jusque là ??
- Je bois beaucoup de café.
- Quand même…
- Je n'aime pas dormir.
- Pourquoi ?
- Perdre le contrôle de soi-même, comme ça, c'est rageant, vous ne trouvez pas ?
- Je ne sais pas…
- Et puis j'aime trop la nuit.
- Vous aimez la nuit ??
- Pas vous ?
- Hum…
- Tout est tellement différent… Dire qu'il y a des tas d'êtres humains qui ne savent même pas à quel point c'est beau…
- Vous n'allez pas en boîte de nuit ?
- Ne soyez pas insultant.
- Donc, ça ne vous gêne pas de rester seule, comme ça ?
- Je ne suis visiblement pas seule.
- Je veux dire, en général.
- Et pourquoi donc ? Je ne suis pas de ces gens qui ont besoin des autres pour exister. Ça fait du bien d'être seul, non ?
- Je vous dérange, donc.
- Non, ça va. Ça me distrait.
- Pourquoi passer vos nuits dehors si vous vous ennuyer ?
- Vous croyez que je serais mieux à m'ennuyer chez moi ?
- Euh…
- Et vous ? Qu'est-ce que vous faites dehors ?
- Je ne sais pas.
- Décidément vous ne savez pas grand-chose. Personne ne vous attend ?
- Non.
- Menteur.
- Bon, peut-être que si. Un peu.
- Quelqu'un vous « attend un peu » ?
- En quelque sorte.
- D'accord.
- Vous ne voulez pas en savoir plus ?
- Non.
- Ah…
- …
- Je peux vous demander votre nom ?
- Non ?
- …
- Ne faites pas cette tête ! C'est important ?
- Quand même… Ça facilite la conversation.
- Je trouve que nous nous sommes très bien débrouillé sans, jusqu'à maintenant.
- …
- Appelez-moi Manon, si vous y tenez.
- Mais c'est votre vrai nom ?
- Et qu'est ce que ça change ?
- Je… D'accord.
- Votre femme doit s'inquiéter. Je suis sûre que vous n'êtes jamais rentré si tard.
- Ça fait longtemps qu'elle ne s'inquiète plus.
- Je ne suis pas étonnée.
- Pourquoi ? J'ai l'air si ennuyeux que ça ?
- Votre cravate est coordonnée à vos chaussettes.
- Vous l'aviez remarqué ?
- Il faut croire.
- C'est ma femme qui choisit mes tenues.
- Et si vous vous assumiez, pour changer ?
- Bon, d'accord, je ne sors jamais sans assortir mes chaussettes avec ma cravate. Ça vous va ?
- Il faudra bien.
- Et sinon, vous faites quoi de vos journées ? Vous allez à la fac ?
- Non. J'ai arrêté.
- ?...
- Mauvaise orientation.
- Oh…
- Je prends une année sabbatique.
- Ça fait du bien de faire un break ?
- C'est épuisant.
- Vraiment ?
- Il n'y a rien de pire que de se réveiller juste parce qu'on a plus sommeil. Je cherche un travail, là.
- Quoi comme travail ?
- Je ne sais pas. Je ne suis pas très exigeante. L'idéal, ce serait serveuse dans un bar comme celui-ci, bien fréquenté, et ouvert toute la nuit.
- Et vous trouvez ?
- Pas vraiment.
- Vous jouez d'un instrument ?
- Non, je…
- Vous chantez ?
- Non plus…
- Vous écrivez ?
- Mais pas du tout ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- Vous ne faites rien de tout ça ? Même pas un petit atelier théâtre, un cours de danse ?
- Pas exactement, non.
- Ah bon. Je vous voyais bien artiste, pourtant. Un peu déconnectée…
- Eh bien non.
- Et votre copain, il doit bien être comme ça, alors ? Genre bassiste avec des dreadlocks et des vêtements un peu ethniques, si vous voyez ce que je veux dire, membre d'un groupe amateur comme il en pullule à votre âge. Non ?
- Quelle technique subtile pour savoir si j'ai un petit ami ou non.
- Vous trouvez aussi ?
- Silence. Vous vous enlisez.
- Alors ?
- De toute façon, vous n'êtes pas mon genre.
- Parlons-en. C'est quoi, votre genre ?
- Ça ne vous regarde pas.
- Oh…
- Le genre qui n'existe pas.
- C'est triste.
- C'est tellement plus romantique, vous ne trouvez pas ?
- Je ne sais pas…
- C'est clair que le romantisme, c'est pas votre truc.
- Vous croyez ?
- Ça se voit.
- Vraiment ?
- Vous devriez rentrer.
- Pourquoi ? Je vous ennuie ?
- Non, au contraire…
- J'en étais sûr !
- Non, je vous en prie… De toute façon, vous avez l'âge d'être mon grand-père.
- Je n'ai même pas quarante ans !
- Un grand-père très précoce ?
- Rattrapez-vous…
- Je disais ça pour votre femme.
- Ma femme ? Vous savez l'heure qu'il est ?
- Justement. Elle vous attend et elle commence à être épuisée.
- Ça fait longtemps qu'elle ne m'attend plus.
- On parie ?
- Vous croyez que…
- Si je vous le dis. Filez. Et n'oubliez pas les fleurs.
- Les fleurs ?
- Oui, les fleurs. Vous savez, les trucs colorés au bout d'une tige verte. Très important les fleurs. Allez, au revoir.
- Vous partez ?
- Vous, vous partez.
- Mais…
- Allez-y ! Ouste !
- Attendez ! Est-ce qu'on va se revoir ?!
- Peut-être.
- Quand ? Où ?
- Bonne nuit…
=)