Samedi 27 juin 2009 à 11:36

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Mon voisin, sympathique personnage perdu dans la vallée urbaine, sorte de petit démon familier dans ce monde de guimauve. Comme tant d’autres, il ressent le besoin exaspérant d’exister. Certains pour cela tentent de gagner un concours de cuisine ou sortent au bras d’un garçon différent tous les soirs ; mon voisin lui a opté pour le bruit, et laissez-moi vous dire qu’en la matière il est insatiable.
Il a choisi un immeuble mal insonorisé et dont l’une des fenêtres donne sur une cour intérieure, pour que le son reste emprisonné et enfle comme le tonnerre ; tout cela pour que tout le monde en profite.
Il est noir, pour avoir une voix qui porte et pour écouter de la musique que tout le monde déteste sauf lui. Il n’est pas frileux, il passe la plupart de son temps toutes fenêtres ouvertes, afin que le son puisse s’échapper de son appartement. Il est juste en dessous de chez moi, afin que le son qu’il diffuse ne soit nulle part plus fort que chez moi. Un amour.
Mon voisin, ce mâtin domestique, ne dort jamais : il parle (fort) avec ses amis sur fond de musique traditionnelle africaine dont les basses font vibrer mes murs, juste à côté de ma tête étendue sur l’oreiller qui tente vainement de trouver le sommeil, il est minuit cinq et j’ai tenté d’attendre que le bruit cesse pour me coucher, à vingt-et-une heure trente pas une onde sonore ne filtrait du plancher : il faut croire qu’il attend le tapage nocturne pour exploiter son potentiel. Et bien sûr, il ne se réserve pas pour le vendredi et le samedi soir. Le mardi et le jeudi (voire les autres jours de la semaine) sont également les soirées qu’il juge appropriées pour exister.
Lorsqu’enfin je trouve le sommeil, lorsque le bruit cesse (son record, c’est quatre heures du matin : j’ai fini par frapper à sa porte) et ne franchit plus l’épaisseur de mes boules Quies, je n’en suis pas délivrée. Dès l’aube (exemple : 8h30), mon voisin recommence à exister. Sa dernière trouvaille : téléphoner (en parlant fort) à la fenêtre, afin que sa voix résonne bien dans la cour intérieure et qu’elle se faufile sans difficulté dans les appartements voisins, par le simple vitrage et les battants de bois mal isolés. Non seulement de m’empêcher de m’endormir, il trouve aussi celui de me réveiller.
Si ce n’est que ça, me direz-vous… Mais non. Mon voisin, ce diablotin ordinaire, existe même pendant la journée, à se demander s’il travaille. Pendant la journée, en général au moment où je me décide (enfin) à aller travailler ou faire une sieste (loi de Murphy), il met tout à coup la musique à fond (et quand je dis à fond, ce n’est pas que je sens les basses dans le plancher : c’est que je l’entends presque plus fort que si l’appareil était dans mon appartement, paroles et mélodies comprises dans le pack). C’est ainsi que je suis devenue fan de metal : j’ai remarqué que lorsque je mets des cris sur fond musical au volume maximal, en général au bout de trois chansons la musique du voisin s’arrête mystérieusement (ou alors c’est moi qui devient sourde). À croire qu’il est fan de Lordi. Mais ce n’est peut-être qu’une coïncidence, parce que cela ne fonctionne pas à tous les coups. C’est en tous cas le seul moyen que j’ai trouvé pour ne plus entendre cette incarnation de la nuisance sonore.
Voilà le portrait de mon cher voisin, tapage diurne et nocturne, mon pire ennemi, un jour je finirais par appeler la police ou par faire le travail moi-même (on est jamais si bien servi que -). Mais avant que j’oublie, j’ai oublié de vous parler d’un fléau qui dépasse tous ceux évoqués précédemment, l’apothéose de l’horreur, la cerise blette sur le gâteau rance de l’apocalypse : parfois il chante sur la musique vomie par les baffles.

Vendredi 26 juin 2009 à 10:23

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C’est ainsi que je suis devenue l’héritière d’un personnage désenchantée, les mères ne racontent plus sa légende aux petits pour les bercer, et pourtant la Licorne existe, elle danse dans une ronde de flammes obscures et parfois on l’aperçoit qui se noie dans la lande.
Je ne suis qu’un pâle fantôme des cendres dispersées par le vent des siècles, je ne suis que le dernier reflet d’une ombre de théâtre. Indis m’a appelé à lui en faisant usage des vieux sortilèges oubliés, c’était si douloureux de revenir une fois encore à la vie et pourtant il avait besoin de moi, je suis son exacte mesure.
C’est une harmonie comme on n’en trouve plus sur Terre, la douceur et la folie étroitement mêlées, liant nos deux êtres dans un aura de flammes noires.
Nous ne savons plus qui nous sommes, sans cesse nous errons et Dieu seul sait ce qui entravera notre égarement.
Lorsque nous galopions vers quelque chose, lorsque notre existence toute entière était tournée vers l’astre flambant de l’horizon, chaque foulée était un délice, nous étions beaux alors. Que nous reste-t-il ? Les enfants ont oublié notre nom et nous soulevons la poussière des sentiers, les jours et les chemins se ressemblent, une inexorable chute vers l’infini. Et dire que mon étalon des ténèbres a dû affronter cela seul, des siècles et des siècles… Mais je suis là, à présent.

Lundi 22 juin 2009 à 16:28

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Elle se faisait appeler la Licorne.
« - Tu croyais vraiment que les licornes avaient de l’ivoire sur le chanfrein ? me demandait-elle en riant. C’est un symbole, comme tant d’autres mythes. Une licorne, c’est un cheval qui fait corps avec son cavalier, au point que ce dernier semble se fondre dans la monture. »
Leurs existences étaient à ce point étrange qu’ils ne pouvaient être que de la même espèce. Je ne sais lequel avait engendré l’autre, mais je sentais que la magie qu’ils diffusaient avait fait éclore un être qui soit à la parfaite mesure de l’autre. C’est pour ça que c’était si difficile. J’aimais la Licorne à en mourir mais comment un joueur de flûte aurait-il pu s’immiscer entre eux ?

Dimanche 21 juin 2009 à 19:53

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C’était un étalon ébène nimbé de flammes couleur d’encore de Chine, des flammes glacées comme au crépuscule, je flattais son encolure et ma main se maculait de givre.
Sa cavalière avait un teint de porcelaine, gâché par l’aura de ténèbres qui se lovait contre son épiderme. Du reste, sa toge de prêtresse surmontée par un capuchon suffisait à perdre sa peau dans les ombres.
Du haut de sa monture, elle tendit sa main vers moi et me dit d’une voix tout juste humaine, écho de toutes celles qu’elle avait été « veux-tu être mon compagnon pour l’éternité ? ». Que vouliez-vous que je dise ? J’ai dit oui.
 

Vendredi 12 juin 2009 à 18:39

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Mon père me jetait un regard accusateur. Cela faisait peut-être deux semaines ou trois que je n’étais pas rentrée à la maison. Pour m’en débarrasser, je lui lançais « J’ai quinze ans, c’est normal que j’ai envie de passer du temps avec mes amis, non ? » Ma mère releva la tête mais ne dit rien. Elle n’était pas ce genre de femmes. Je compris. Je n’avais plus quinze ans, je n’avais plus quinze ans depuis longtemps. Je ne savais plus quel âge j’avais, une fille de quinze ans ne vit pas dans le studio financé par ses parents. J’avais finalement atteint cet âge abhorré, cet âge entre vie et mort des adultes, où on construit lentement la future tombe qui nous fera ressembler à tout le monde, dans l’indifférence des transports en commun. Je m’étais faite rattraper par le temps sans que je ne m’en rende compte. J’allais avoir dix-neuf ans, j’allais avoir vingt ans, peut-être plus, j’allais devenir une jeune grande et ce n’était pas moi ça, je me regardais dans le miroir et j’avais quinze ans pour toujours. Comment était-ce arrivé ? Rien n’avait changé à part cette lettre écarlate, je n’aurais jamais plus quinze ans. J’étais tellement heureuse, je voudrais qu’elle se répète à l’infini, qu’importe que je n’aie plus quinze tant que ma vie est aussi étincelante qu’en cet instant, je ne suis pas encore morte, j’aime ce que je fais, j’aime mais qu’en sera-t-il de demain ? Que m’arrivera-t-il lorsque je me ferai happer par l’engrenage des ans qui passent et de la vie qui se tasse, que m’arrivera-t-il lorsque j’oublierai que j’ai eu quinze ans ? Que restera-t-il de moi ?

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