Jeudi 18 février 2010 à 15:35

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Ces soirées sur fond de roulement de tambour, toujours plus rapprochés, oppression croissante. On perd méthodiquement le peu de sens qui demeurait. Rires, chutes fumées. Les couleurs gagnent en intensité, elles sont brûlantes, rose orangé, bleu ananas. Les corps et les mots tanguent. Qu’importe tant que l’on est ensemble.
On peut s’amuser, tant qu’on est plusieurs. On plonge avec délice dans un jeu grandeur nature, un jeu où on n’a plus à être soi-même. Il n’y a plus à se retenir il y a juste à tenir la cadence. Les filles se sont faites belles pour ne lus avoir à parler, de toute façon leurs paroles sont couvertes par les pulsations.
On danse de concert, on fume de concert. Il ne s’agit pas de fréquenter d’autres êtres humains, il faut juste se laisser un peu aller, accueillir les flashs lumineux. Les tambours se rapprochent, jamais ils ne s’arrêtent, il n’y a plus qu’à rentrer.

Jeudi 18 février 2010 à 14:10

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Elle a toujours voulu prendre le train. Il lui semble que toute sa vie n’est ponctuée que par son apparition, lorsqu’il s’arrête sur la grande place. Tout le village est là, on fait de grands signes à celui ou celle qui monte. Dans le wagon on peut apercevoir des autres voyageurs, ils baissent la tête, presque transparents. Ils ont toujours un vêtement rouge, la marque infamante. C’est comme si ce dont elle se souvenait entre les passages du train n’était qu’un rêve, seul le train est réel. Personne d’autre ne semble s’en inquiéter. Peut-être que le train n’est qu’un rêve.

Personne ne souhaite prendre le train, personne ne descend jamais. Personne ne le craint non plus. Prendre le train est dans l’ordre des choses. Personne ne semble s’inquiéter de la destination. Elle, elle voulait bien savoir où il va. Personne ne sait combien elle s’ennuie.

Un jour, elle trouve une paire de chaussures rouges. Ne me demandez pas comment, c’est de la magie. Parfois, elle se dit que dans ce monde il suffit de vouloir assez fort.

Elle attend que quelqu’un d’autre soit atteint par la marque pour les enfiler, elle n’est pas sûre que le train vienne dans le cas contraire. Personne ne sait pas ce qui fait venir le train.

On fait une grande fête en leur honneur, Mariella et elle. Les anciens viennent la congratuler, on dirait qu’ils la voient pour la première fois.

Le lendemain le train entre dans la grande place, étincelant et effilé, le village semble un décor de toile peint et les villageois des silhouettes de carton-pâte, ils leurs disent au revoir avec un sourire vide, comme s’ils ignoraient qu’ils ne les reverraient sans doute jamais – le train ne circule que dans un sens.
Les vigilants la laissent passer sans un battement de cils. Les talons rouges préservent l’illusion.
Les portes se referment, l’extérieur n’est qu’un grand linceul blanc. Les éclairages artificiels du train remplacent le ciel.

Les deux filles échangent un signe de tête et elles se séparent, le train se met en branle. Le paysage s’effiloche. Les autres passagers sont comme absents et elle, elle ne peut pas, c’est comme si sa vie venait de commencer.

D’abord une forêt. Elle n’a jamais traversé de forêt, personne ne quitte jamais le village. Elle ne sait pas pourquoi. Sans doute personne n’y a jamais pensé.

Brusquement la forêt s’efface et le train entre en gare. Fuselage en béton et lignes métalliques. Chez elle, le métal ne sert qu’à quelques outils.
Des automates gardent les portes de l’extérieur, le train avale sa ration de voyageurs, harmonie blanche et rouge.
Des tunnels. Alternance de noir et d’éclats de paysages : sable, béton, verre, glace, nuage… Elle s’émerveille du tunnel transparent qui mène à Atlantide. Mais personne d’autre ne semble sensible aux charmes de la vie subaquatique.

Soudain le train émerge du tunnel et traverse brièvement la lande, paysage de carte postale, clochers en arrière-plan.
Le train s’élance sur un grand pont, tendu au dessus du gouffre, la mer s’étend à perte de vue. La paroi opposée vers laquelle le train se jete est invisible. Les voyageurs sortent de leur léthargie, doucement ils s’animent. Le train est suspendu au-dessus de l’eau. Grand flash de lumière.

Le village. Ses chaussures, comme le reste de ses vêtements, sont blanc aseptisés. Les villageois passent sans la regarder, un garçon de ferme place d’autorité un seau entre ses mains, le village a besoin d’eau. Comme si elle n’était jamais partie.

Elle laisse tomber le seau et court vers la forêt, parallèlement à la ligne de chemin de fer qui transperce le village.
Elle marche longtemps. La forêt est opaque et un peu moite. Le sol semble s’étendre sous ses pas à l’infini, la forêt est muette, comme retenant son souffle, aucun animal ne croise sa route. Peut-être que ce n’est pas une vraie forêt, ça ne peut pas être une vraie forêt. Elle fatigue, ses sandales ne sont pas faites pour une telle marche mais elle veut aller au bout. Au bout de la forêt, au bout du monde. Mais les arbres semblent décidés à ne pas s’écarter, ils font front, un bloc compact qui n’en finit pas de s’étendre.
Elle finit par revenir sur ses pas, le village apparait à la lisière des bois en quelques instants. Pourtant elle est sûre de ne pas avoir changé de trajectoire, elle est sûre de ne pas s’être perdue. Le village la tient prisonnière.

Le village n’a pas changé, le village ne changera jamais. Elle est à nouveau prise au piège. Elle imagine qu’elle n’a plus qu’à attendre son tour. Pour aller au bout du voyage.

Jeudi 31 décembre 2009 à 11:00

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On s’habituait à les voir l’un avec l’autre, comme s’ils étaient les deux faces d’une même pièce. Souvent, lorsqu’ils daignaient se joindre aux autres, ils refusaient de se mêler à des conversations différentes, un seul prenait la parole, dans l’approbation indifférente de son double, car ils partageaient des pensées similaires.
Il y a longtemps qu’ils avaient cessé de se parler, las de convenir sur tout. La seule chose dont ils discutaient encore était de leurs travaux respectifs, de leurs recherches ; afin de se pousser mutuellement dans leurs retranchements, ils tendaient vers une unique perfection.
Ils s’abandonnaient parfois, cherchant une altérité, mais l’autre est tellement décevant, ils finissaient toujours par réintégrer l’appartement qu’ils partageaient.
Ils avaient décidé de s’unir afin de multiplier le temps par deux, ils se refusaient à former un couple pour ne pas brandir en étendard la seule altérité qui demeurait entre eux – le genre.

À vrai dire, la relation amoureuse n’avait guère de sens, elle n’était qu’une occupation, voire une distraction à leurs passe-temps intellectuels.
Ils fuyaient désespérément l’humain ; cherchaient à enrichir leur humanité, en se préservant jalousement du monde. Parfois ils échangeaient quelques mots, se mettaient à nu en quelques phrases, et pourtant il y avait toujours cette distance guindée entre eux, ce respect entre deux égaux – le temps n’avait pas tout à fait achevé d’abolir la distance entre leurs deux êtres.
ils s’interrogeaient mutuellement, anxieux, mais leurs limites étaient les mêmes et ils se renvoyaient leurs asymptotes, dans la maigre consolation de ne pas être seul face à leurs vertiges.

Vendredi 18 décembre 2009 à 20:54

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Jane est petite, brune, lorsqu’elle s’installe à son bureau en acajou elle chausse des lunettes cerclées de noir. Ça fait longtemps que j’observe Jane, elle ne le sait pas encore. Elle ne me voit pas, peut-être qu’elle m’a oublié. Mais j’existe encore. Lorsqu’elle quitte la chambre, je feuillette son journal, la couverture est en cuir noir et les pages sont satinées, j’ai du mal à saisir les pages pour les tourner. Jane est une fin en soi.
Moi je ne connais rien en dehors de la chambre de Jane. Il lui arrive d’évoquer d’autres personnes, d’autres lieux. Mais pour moi il n’y a rien en dehors de cette pièce qui choit inexorablement dans les limbes, lorsque je regarde par la fenêtre c’est toujours la nuit, une nuit sans étoile.

Jane m’a juste esquissé, je n’étais qu’une silhouette, je ne savais même pas définir la couleur de mes pupilles, chatoyantes. Mais même si je ne suis plus dans ses pensées, lentement je prends forme, je me nourris de son imaginaire pour devenir.
Parfois un souvenir surgit à ma conscience, c’est Jane qui imagine la vie d’un personnage encore inconnu, quelqu’un qu’elle compte croquer dans son journal, elle ne le sait pas encore mais c’est moi, c’est moi qui m’impose lentement à elle. Je cherche encore à trouver ma place dans le journal de Jane.

Le journal de Jane est un monde en soi. Je sens que bientôt Jane se souviendra de moi, que j’aurai ma place entre ses pages.

Je prendrais forme et je deviendrais quelqu’un.
Au début, j’explorerai le monde de Jane, je la suivrai comme son ombre. Ses amis me demanderont qui je suis, ce que je fais là, et elle sera embarrassée, car pour elle ce sera comme si j’avais toujours été là. À force de contaminer d’autres mémoires, d’interférer avec d’autres âmes, je pourrai m’affranchir du journal de Jane. Je gagnerai en consistance et mes souvenirs du monde réel jouxteront avec ceux conçus par Jane. Et je disparaitrais de sa vie. Je ne sais pas si elle se rappellera de moi, si je vais lui manquer, si je laisserai un vide.
Je ferai des rencontres ; je trouverai un travail, parce que Jane m’a fait intéressant ; j’aurai de quoi me loger et peut-être je pourrai tenir un journal.
Et Jane ne parlera plus de moi dans son journal, car il n’y aura plus rien à dire.

Jane tient un journal des choses qui sont et celles qui ne sont pas.
Dans les premières pages de son journal, elle disait qu’elle n’aurait sans doute jamais eu l’idée d’entamer un journal intime si on ne lui avait pas offert ce beau carnet avec cette inscription gravée en lettres déliées, gravés en lettres d’or, déliées : The Diary of Jane.
C’était faux, elle avait cherché des mois ce cahier, elle craignait qu’en tombant sur un cahier d’écolière, on ne la prenne pas au sérieux.
Jane écrivait l’histoire car bientôt j’allai rencontrer Jane. En attendant, j’épiais ses gestes depuis les limbes. Il faut juste que Jane me laisse une place dans son journal.

Je connais Jane par cœur, nous sommes encore liés. Tant qu’il y aura ce journal entre nous, il y aura ce lien insécable, un filet de mots.
Jane peut faire de moi ce qu’elle veut et déjà elle forme des projets, elle ne le sait pas encore mais elle tente de me façonner, je suis trop faible encore mais lorsque Jane n’aura donné ma place dans son journal, alors je pourrai l’influencer à mon tour et faire de moi ce que je suis.

Par le journal je connais tous les personnages de Jane, ce sont tous des personnages car il n’y a pas de monde extérieur. Je n’ai pas besoin de leur parler car nous sommes attachés par le journal. Je rêve de rencontrer quelqu’un, de parler avec quelqu’un, même avec Jane.
Elle pense à créer quelqu’un qui s’appelle Eve. J’espère qu’elle prendra chair dans les limbes.

Mercredi 21 octobre 2009 à 13:58

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Une noce décadente au son des trompettes et des tambours, un tapage à éveiller les morts. Les squelettes ricanant jaugent les couples virevoltant sur la piste de danse, tourbillon chatoyant et translucide, parfois certains s’évanouissent et la ronde n’est jamais au repos. Aucun des convives ne sait ce qui l’attend, personne ne sait s’il survivra à cette nuit d’apocalypse, les poutres de la grande salle de balle s’effondrent par intermittence. Les coléoptères macrophages se frottent les élytres. Mais n’ayez pas peur, on s’amuse tellement !
Le clerc s’empare vivement de deux catins et la vierge et le vieillard et la mère et le fils : quelle importance ?
la clameur s’apaise mais les sons vibrent encore dans les os, personne ne songe à s’immobiliser de crainte d’être figé en pierre, rien ne saurait en venir à bout de la quadrille.
les pieds s’emballent, on frappe le sol à le fissurer dans un transport démoniaque, les cœurs battent au même rythme exactement. Will danse seul (seuls les morts ne dansent pas), il attend sa fiancée (elle ne viendra pas, il a échoué, elle est perdue à jamais, emportée dans les anneaux des aspics, noyés dans les nœuds des couleuvres, il n’y a rien d’autre à faire qu’à poursuivre la quête, ce pèlerinage sans fin, cette marche inexorable vers nulle part). Will parmi les crânes, ici tout se confond et les murs tanguent, ils sont de chair et s’emparent des invités qui les longent de trop près de leurs bouches édentées.
Will, il y a si longtemps que nous t’attendons. Si tu crois que tu es en Enfers, alors je brûle de t’y précipiter, c’est tellement amusant.
Tu n’es rien Will, à présent tu n’es même plus un homme, c’est à mourir de rire. Tu vas voir comme c’est drôle, Willy, tu vas voir comme c’est drôle de danser au-delà de l’aube.
Tes pieds s’emballent, tu as offert ton âme au diable et autour de toi les squelettes grimaçants, ils ne te laisseront jamais fuir.
Will regarde, ça ne peut être l’Enfer, c’est tellement mieux : c’est une fête ou une bacchanale, une orgie ou un mariage, tout le monde est tellement heureux et leurs yeux voilés et leurs têtes sur le point de s’effondrer, c’est ton mariage Willy, ce sont tes épousailles avec la Grande Faucheuse. Tu as voulu épouser une morte et ton vœu est exaucé, bien sûr ce n’est pas tout à fait celle qu’on t’a dérobée, mais elle lui ressemble. Tu ne peux refuser, tu es coincé ici pour l’éternité alors regarde au fond de ses orbites vides comme elle a l’air jolie.
Allez Willy. Tu peux embrasser la mariée.

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