Vendredi 4 avril 2008 à 20:53

Cassie est apparue dans le café, ses escarpins ruinés à la main, sa robe froissée comme si elle avait passée la nuit dehors et tâchée, et de grandes lunettes à verres fumés lui dévorant le visage, masquant probablement ses éternelles cernes.
À sa démarche titubante, je déduis qu'elle avait passé une nuit blanche. Encore.

« Cass, tu n'es pas sérieuse. J-10. »

Elle a ôté ses lunettes et a offert à son interlocutrice un sourire éclatant et d'une sincérité désarmante.

« À vrai dire, j'ai oublié de rentrer chez moi.
- Tu as encore oublié tes clefs, n'est-ce pas ? » a fait l'autre en sortant un trousseau couvert de plus de babioles que de clefs, et en le jetant sur la table, devant Cassie.
Cette dernière l'a saisi entre deux doigts, comme un objet étrange et vaguement dangereux puis a éclaté d'un rire insouciant en l'identifiant finalement.

 

« Je suppose que tu n'as pas cherché les plans que je t'avait demandé ? »
Cassie gardait un large sourire un peu stupide rivé aux lèvres.
Parfois, je me demandais si elle prenait de la drogue, seule explication à sa résistance exceptionnelle à l'épuisement qu'aurait dû causer ses insomnies.

« Ni la liste des produits ? Ni où se les procurer ? Ni la liste définitive de nos cibles ? »
Cassie gardait un sourire béat. L'autre a soupiré.

L'autre, c'est Elena.
Je crois qu'elle a rencontré Cassie un peu par hasard (mais peut-on réellement parler de hasard avec Cassie ?) mais je ne connais pas très bien leur histoire.
Elle vous en parlera, plus tard.

(À suivre)

Samedi 29 mars 2008 à 9:47

« Cécilia était la première... Aux yeux de tout le monde c'est le suicide des soeurs Lisbon qui a marqué le début de la fin pour notre quartier.
À croire qu'elles avaient eu le pressentiment de la maladie et de la mort des hommes, qu'elles avaient lu dans le dur éclat du soleil le déclin de l'industrie automobile; tout de suite nous avons cherché à rassembler les pièces du puzzle...

Aujourd'hui encore nous n'y sommes pas parvenus. Et quand nous nous croisons dans des déjeuners d'affaire ou dans des soirées le moment vient toujours où réfugiés dans un coin nous passons en revue toute l'histoire une fois de plus. Tout ça pour tenter de comprendre ces 5 filles, qui après tant et tant d'années nous obsèdent encore...

Ainsi avons-nous commencer à découvrir leur vie, à acquérir des souvenirs communs, que nous n'avions pas vécus.
Nous comprîmes l'emprisonnement que c'est d'être une fille qui vous oblige à réfléchir et à rêver et finit par vous apprendre à marier les couleurs; et que notre seule tâche est de produire le bruit de fond, qui semble les fasciner. Nous apprîmes que les filles sont des femmes déguisées, qu'elles comprennent l'amour et même la mort. Nous apprîmes qu'elles savent tout de nous et qu'elles nous demeurent insaisissables. En les observant sans cesse, on comprendrait peut-être ce qu'elles éprouvaient et qui elles étaient. Nous ne saurons jamais comment les évènements s'étaient enchainés, nous en discutons encore...

En définitive qu'importe l'âge qu'elles avaient qu'importe même qu'elles étaient des filles seul compte le fait que nous les avons aimés et qu'elles n'ont pas entendu nos appels qu'elles ne les entendent toujours pas là ou elles se sont retirées pour être seules à jamais... Là où les pièces manquantes manqueront à jamais »

Samedi 29 mars 2008 à 0:33

Et voici la reine du bal.

Tous entassés dans l'attente de notre pitance, nous ne pouvons manquer l'entrée de ton Altesse.
Notre princesse des courants d'air, aux poses royales et affectées, jauge les prolétaires qu'elle se voit contrainte de frôler de ses yeux éternellement vides et fend la foule. L'attente est trop bien pour elle.
De toute façon, n'est-elle pas supérieure à nous tous ? Elle peut donc se permettre de dépasser tous ces serfs afin de se voir accorder le privilège de ne pas remplir son auguste estomac avant tout le monde (car les princesses ne mangent presque rien, de peur d'avoir un IMC supérieur à 15).

Elle n'est pas belle (bien qu'elle en soit sans doute persuadée), elle manque de sagacité et gratifie ses suivantes de commentaires désobligeants sur les paysans qu'elle croise : nul ne peut y échapper, car elle se targue de savoir tout sur ses sujets.
On aimerait qu'elle tente de résoudre une équation du premier degré avant d'avoir la prétention de sonder l'âme humaine, mais il ne faut pas trop en demander à ton Altesse, et t'as vu comme son jean lui fait de grosses cuisses, et je peux pas saquer ce mec même si je ne lui ai jamais adressé la parole, et la pute là-bas en est à son troisième mec de l'année, tu parles, du mois, de la semaine tu veux dire, je la déteste elle me fait de l'ombre, elle est trop moche les mecs sont trop aveugles, en plus son gilet doit coûter moins de 500$, importé direct des States, sale pouilleuse. On parle un langage châtié chez les princesses.
Si son nez devait s'allonger, à la manière de Pinocchio, à chaque fois qu'elle médit, bientôt on la prendrait pour une sorte de licorne, en plus laid et en moins gracieux.

Mais c'est le clou du spectacle que de l'observer, après avoir pris un bain de foule mémorable et avoir remonté la foule grouillante de ses esclaves, elle se heurte à un obstacle, et de taille : une barrière.

N'importe quel individu normalement constitué enjamberait aisément la-dite barrière. Mais notre princesse en toc appartient à cette race trop répandue des golden poufs, des affamées à la pointe de la mode, triste suiveuse sans un gramme d'individualité, noyée sous une truelle de maquillage, les cheveux détruits par les lissages quotidiens.
Leurs chambres de bonnes gracieusement offertes par papa-maman font cinq fois votre appartement, ce qu'elles dépensent en pédicure dépasse largement votre budget alimentation annuel, leur compte en banque pèse cinq chiffres qui passent en soirées, alcool et cigarettes, plus tard elles deviendront poules de luxe, femmes du patron ou PDG dans la société de Papa.
Elles ne travaillent pas au lycée parce que c'est pas cool, elles comptent sur le pouvoir du fric pour grimper les échelons parce que c'est la seule chose qu'elles ont à leur disposition, et s'appliquent à avoir l'air toujours plus bêtes pour se fondre dans le moule.
Elles se défendent d'afficher ostensiblement la richesse de leurs parents mais ne vous adresseront jamais la parole si vous n'affichez pas un jean Diesel, elles parlent de vous dans votre dos parce qu'elles sont trop creuses pour pouvoir avoir un autre sujet de conversation, elles sont kleptomanes parce qu'elles peuvent tout se payer. Comprenne qui peut.
Pour en revenir à la reine des abeilles, je vous rappelle la dernière tendance : paraître affamée et porter des vêtements slims moulants asphyxiants (pour mettre ne valeur leur absence de formes) qui entrave gravement les mouvements.
C'est ainsi qu'avec une démarche de Robocop, crispée et raide, sans plier les genoux de peur de craquer le jean, ton Altesse s'est donc trouvée confrontée à un problème majeur : ce qui lui sert de vêtement ne permet ni de lever la jambe suffisamment haut pour enjamber la barrière, ni de la plier pour passer en dessous.

Après quelques essais infructueux (et passablement comiques) ton Altesse doit se résoudre à utiliser le coupe-file royale qu'elle s'était auto-accordé, et laisser son sac, voire ses vêtements entrer en contact avec tous ces manants.
Malheureusement, les-dits manants ont grand faim et refoulèrent sans pitié la reine de l'Atlantide. Comme c'est dommage.

Dimanche 23 mars 2008 à 0:08

- T'es sûre que ça peut pas attendre demain, putain, Caro, je suis crevé là, j'ai eu une dure journée...
- Non ça peut pas attendre demain et arrête de m'apeller Caro, ça m'énerve.
- Ok, ma biche, Caro, mon coeur, viens te coucher, on parle demain si tu veux...
- Arrête de dire Caro je te dis, Caro tu la connais pas.
- Chérie, ça fait un an et demi nous deux, alors je crois qu'on peut dire qu'on se connait un peu, tu crois pas ?
- T'as pas compris là, je crois. Caro, tu sais pas qui c'est, tu la jamais vue, tu sais même pas à quoi elle ressemble Caro.
- À quoi tu joues, là ?
- Je joue à rien du tout, je te confie un truc que j'aurais dû te dire il y a un an et demi, et même avant, ok, j'aurais jamais dû te rencontrer, putain...
- Caro, je sais pas ce que t'as pris, mais arrête, je te jure que ça craint.
- Mais Caro elle existe pas ! Tu comprends, ça ? Caro elle est morte, ok ?
- C'est quoi ce bordel ?
- Tu veux vérifier ? Rubrique nécrologie, il y a trois ans, le 1er avril 2005...
- C'est une blague c'est ça ?
- T'y es pas du tout, connard. 1er avril 2005, Caro F., six pieds sous terre. Tu veux vérifier ? Tu veux que je te montre la coupure de presse ? Tu me crois, là ?
- Qu'est-ce que tu me racontes, là ? Que je sors depuis un an et demi avec une inconnue, une connerie comme ça ?
- Toi et moi, ça a jamais été autre chose qu'une histoire de cul sans grande passion alors me fais pas la grande scène du II, ok ? Tu t'en fous bien de qui je suis, de toute façon t'as jamais cherché à savoir qui j'étais vraiment, tout ce que t'aime chez moi c'est mon joli petit cul bien ferme.
- Attends où tu veux en venir, là ? T'es en train de me dire que je t'aime pas, c'est ça ? J'ai oublié ton anniversaire, nos vingt mois, je sais pas quoi ?
- Mais t'y es pas du tout, mon pauvre chéri, nos vingt mois je sais pas quad c'est, pas plus que nos deux ans, et je m'en fous pas mal.
- T'es en train de me dire qu'il y en a un autre, c'est ça ? Tu me quittes ? Ah non. T'as lu les messages de Jennifer ? Mais c'est qu'une amie, je te jure, Baby, y a rien entre elle et moi, c'est pas ce que tu crois...
- Mais arrête ton char, et essaie de m'écouter, merde ! Je sais pas qui c'est Jennifer et je m'en tape. Je suis en train de te parler d'un truc dont j'ai jamais parlé à personne depuis près de trois ans et toi tout ce qui te préoccupe c'est de savoir si j'ai découvert tes petites coucheries à droite et à gauche ? Mais bien sûr que je sais que tu me trompes, c'est pas nouveau et ça m'en tape autant qu'il y a un an et demi, alors ferme juste ta gueule et laisse-moi parler. Caro est morte et j'ai pris sa place. Depuis trois ans je joue à Caro.
- Ok. T'es pas Caro. T'es qui alors ?
- Ca te regarde pas.
- Mais pourquoi tu me dis ça, tout à coup ?
- Caro tout le monde s'en foutait de son vivant, les mecs avec qui elle baisait, ils lui demandaient jamais son nom. Caro, elle a jamais été personne. Alors, je pouvais bien prendre sa place, parce que j'ai jamais été personne non plus.
- Mais t'es qui, putain ?
- J'étais personne. J'ai jamais été personne. Même pour mes parents, j'étais personne. J'étais peemière de la classe mais j'étais personne, j'étais une bouche à nourrir et la chambre au bout du couloir. Pour mes mecs, j'étais personne, j'étais la fille qu'il fallait présenter aux parents mais pas celle qu'on baise, ça c'était pour les filles comme Caro.
- Comment tu l'as connue Caro ?
- Je l'ai jamais connue. J'ai vu sa photo dans le journal quand elle est morte, elle me ressemblait, elle avais un site, elle disait qu'elle allait tout le temps dans cette boîte, ils m'ont tous pris pour elle, ils savaient pas qu'elle était morte, ils s'en foutaient qu'elle se soit flinguée, ils m'ont fait comprendre qui elle était...
- Ils, qui ils ?
- Alors je suis devenue elle. J'ai couché avec tous les mecs que j'aurais jamais approché, tous ces putains de mecs sales et puants, j'ai repris son appart', j'ai même repris son job de pute...
- Calmetoi. Calme-toi. Respire. Qu'est-ce que t'as ?
- ... et je suis montée à Paris parce que c'est ce que font toutes les putes dans son genre, j'ai passé des castings, je voulais savoir ce que ça fait d'être bonne, putain, pour une fois quelqu'un me regardait, même si c'était mes seins, et qu'est-ce que ça m'a apporté, hein ? Qu'est-ce que ça m'a apporté ?

(à creuser ?)

Samedi 22 mars 2008 à 18:22

On a qu'à commencer par « il était une fois », puisqu'on m'a dit que c'est comme ça que débutent les contes.

C'est l'histoire d'une gamine qui n'était pas prête à grandir encore et d'un Peter Pan qui était las de regarder les autres enfants à travers les carreaux épais des fenêtres.
C'est l'histoire d'une Wendy qui a ouvert sa fenêtre à Peter Pan et qui lui a laissé une petite place dans sa vie, un petit coin de tapis, un tiroir de sa commode pour se cacher dans la journée, en lui disant que bientôt ils s'enfuiraient au Pays Imaginaire.

Qu'est-ce que vous croyez ? Que la vie est comme dans les contes, que toutes les histoires se finissent bien ? Ne soyez pas si crédules, si candides. Vous n'êtes plus des enfants.
Faut-il être naïf pour croire que Wendy serait prête à sacrifier son petit confort, la douceur de sa couette en plumes d'oie et en soie et sa nurse canine et les troquer contre un matelas de feuillages et des baies sauvages en guise de petit déjeuner.
Faut-il être naïf pour croire que Peter Pan aurait suffisamment de poudre de fée pour emmener sa dulcinée contre son gré.
Ils n'étaient pas du même monde, voilà tout.

Et Wendy, qui espérait sans doute que Peter Pan pourrait passer sa vie à observer sa bien-aimée par lune petite fente de la penderie, attendant qu'elle daigne lui accorder un instant, un regard.

Ainsi, Wendy, par sa seule faute et ses désirs à sens unique, a épuisé son bel amant, et l'a jeté à coups de balais hors de sa chambre et de sa vie, ombre décousue et dé à coudre compris.
Après, bien sûr qu'elle a pleuré en voyant la poussière dorée maculant ses vêtements, seule trace du séjour de Peter Pan dans sa demeure, bien sûr qu'elle a amèrement regretté d'avoir sciemment laissé passer sa chance de s'envoler sur cette île lointaine que tous les gamins rêvent de visiter.
Et c'est ainsi que les contes s'achèvent en drames.
Alors, mieux vaut en rire qu'en pleurer.

Que voulez-vous que je vous dise ?
Je ne peux compatir à la peine de Wendy, on ne peut plaindre tout le monde, et le mérite-t-elle vraiment ?
Parfois certaines décisions sont prises à la légère et les conséquences peuvent s'avérer fatales. Tout est fatal. De même, certains choix nécessitent d'être assumés, c'est une affaire qu'on règle seul et je ne comprends pas pourquoi tous les enfants de Londres devraient y être mêlés, à leur insu. Te crois-tu réellement, Wendy, suffisamment importante pour faire jaser dans toutes les réceptions de la ville ? Personne ne perd son temps à s'attarder sur les émois d'une môme.

Mais ne blâmons pas Wendy. Elle n'est encore qu'une petite fille, trop frêle encore pour comprendre les rêves pleins d'étoiles de Peter Pan.
Ne pleure pas, Wendy. De toute façon, il est trop tard.
Sèche tes larmes, petite fille.
Des Peter Pan comme celui que tu as laissé s'échapper, tu n'en reverras peut-être jamais mais sois rassurée : lorsque tu seras grande et une cavalière prisée dans les galas du tout-Londres, tu rencontreras une nuée de gentlemans lacunaires et bons danseurs, qui à défaut d'un paradis enchanté et d'un accessoire de couture, t'offriront une bague avec un caillou dessus et une grande maison avec un feu dans la cheminée.

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