Dimanche 17 février 2008 à 18:43

Ouvre les yeux et tends-moi un autre verre
Désormais nous n'avons plus rien à nous cacher
L'odeur asphyxiante de ta cigarette inonde l'air
J'ai peur de ne pas me refléter dans ton regard

Elle est assise à la table de la cuisine, tout est d'une blancheur aveuglante.
Quelques notes de couleur, un verre de jus d'orange posé devant elle.
Par la porte-fenêtre on devine la végétation d'un jardin, gorgée de lumière.

Lorsqu'il entre, elle lève la tête brusquement et l'égare d'un sourire hypnotique.
Il la trouve si belle que c'en est insoutenable.
Sa bouche voudrait prononcer je t'aime malgré lui et c'est à grande peine qu'il maintient la phrase interdite tapie derrière ses dents.

Il remarque distraitement qu'elle se noie dans le T-shirt trop large qu'il portait la veille, elle le regarde distraitement, encore un peu perdue dans leurs étreintes de la veille, elles brûlent encore sur leurs peaux.

A cet instant précis il songe qu'il a de la chance de l'avoir elle, il ne se doute pas que leurs pensées se rejoignent.

Les fantômes des précédentes se confondent momentanément avec la jeune femme, qui porte le verre à ses lèvres, il les chasse d'un signe de main.
Laisser le passé à sa place.

Elle repose son verre vide, elle a envie de lui dire merci, de ne pas s'en aller à ses obligations, de rester là toujours, de lui dire qu'elle l'aime, qu'elle est heureuse, de fumer une cigarette, de lui, peut-être.

Il s'assoit face à elle, leurs mains ne s'effleurent pas, il a pris le soin de prendre une brique de lait et remplit le verre qu'elle avait sorti à son intention, on dirait presque qu'elle a vécu là toujours.
La bouilloire siffle mais ils ne l'entendent pas.
Ils ne se touchent pas, ils ne se parlent pas, et pourtant ce que leurs yeux se susurrent ne pourrait qu'être terni par un geste, par un mot, et même s'ils apprennent tout juste à se connaître, même si tout ceci a encore le parfum de la nouveauté, même s'ils ne s'aiment pas encore tout à fait, l'instant est parfait. Encore un peu saturé de sensualité brute, des caresses dont l'électricité chatouille encore la surface de leurs épidermes.

Elle finit par prendre la parole, puisqu'il faut bien briser le silence.
« Laisse-moi le troisième tiroir, d'accord ? J'apporte ma valise jeudi. »
Elle n'ajoute pas « parce que tu vas me manquer », elle n'ajoute pas « parce que les instants passés loin de toi me seront désormais insupportables » car ce n'est plus nécessaire.
Pour preuve, il hoche la tête sans rien dire.

Elle l'éblouit d'un sourire et bondit sur ses pieds pour saisir un briquet et son paquet de cigarettes, s'en va fumer dans le jardin, juste devant la porte-fenêtre.
Il lève les yeux au ciel et lui prépare une tasse de café, il en a acheté pour elle, bien qu'il déteste ça.

Toujours sur le pas de la porte, elle lui lance « tu sais à quoi tout cela me fait penser ? »
Il hausse les épaules, bien qu'il soit certain qu'elle ne le regarde pas.
« À une chanson de Muse, Bliss. Ça veut dire félicité. »
Il voudrait lui demander en quoi la chanson lui fait penser à « tout cela », et qu'est-ce que « tout cela », mais ça lui ferait trop plaisir.
Il sourit en silence et la rejoint sur la terrasse afin de lui apporter sa tasse et de sentir à nouveau sa peau contre la sienne.

Ça va, à présent je n'ai plus peur
L'instant pourrait s'écouler ainsi à l'infini, je désire que rien ne change
J'ai retrouvé ma place, un fragment de bonheur.
Ne me promets rien, ne bouge pas. Laisse-moi savourer encore quelques secondes à tes côtés.
C'est sans doute cette paix que l'on nomme amour.

Dimanche 17 février 2008 à 14:42

Danser sous la pluie.
Sa robe virevoltait autour de ses cuisses.
Moi, je suis resté à l'intérieur, à la regarder - déjà de la chance d'être là, ne pas chercher à comprendre, ne pas chercher à la comprendre, surtout ne pas l'interrompre…
Et pourtant.
Tellement étrange…

L'instant avait quitté le domaine étanche de la réalité, mes pieds quittent le sol, et demain je sais qu'elle annoncera aux poupées qui l'entoure, avec une jubilation contenue, qu'elle m'a recueilli, alors que j'étais étendu sur le bord du trottoir, vieux chien miteux et élimé, elle m'a pris dans ses bras, ma ramené chez elle, pour me faire effleurer les nuages sucrées de sa cage dorée.
Mais ça n'a aucune importance.

Je crois que je n'ai jamais vu une fille si belle, mais vous me direz que c'est la magie de ce moment, l'aveuglement et l'absence totale d'objectivité, et rien de plus, mais…

Elle est la Déesse, la Lointaine, l'Inaccessible, celle dont on rêve sans oser la frôler, celle qu'on voit chaque soir au bal, celle qu'on voit chaque soir au bras d'un autre, celle qui mérite mieux, celle qui danse sous la pluie danse sous la pluie danse sous la pluie et ne me regarde pas, elle ne me regarde jamais, au grand jamais, je ne suis jamais qu'un détail du paysage, une étoile depuis trop longtemps éteinte de son horizon.
Elle ne m'a entraîné chez elle que pour la forme, pour voir, pour ne pas faillir, mais le temps passe et il ne se passera rien, ni ce soir ni jamais. Alors je m'endormirais seul sur son canapé, peut-être aura-t-elle l'obligeance de me prêter une couverture, si seulement elle arrêtait de danser, elle danse sans musique et sans fièvre, demain elle me demandera d'un ton aigre si je veux prendre un petit-déjeuner avant de me projeter hors de son existence, sans plus de cérémonie.

Je crois qu'elle pleure. Jamais elle ne l'admettra.
Son monde ne laisse pas de place à la douleur, ne laisse pas de place au passé ni aux regrets, ne laisse pas de place à l'attachement, trop commun, la vie est un supermarché, on achète et on jette, et moi dans tout ça ? Et moi ?
Ce n'est pas comme si j'attendais quelque chose… Cesse de danser sous la pluie.

Je voudrais la consoler, jamais elle n'admettra une telle faiblesse, elle me repoussera gentiment, mais fermement, et d'ailleurs elle n'est pas triste, elle est juste un peu épuisée, et puis elle ne pleure pas : c'est la pluie.
Elle danse. Sous les trombes d'eau.

Sa robe adhère à sa peau, une vieille robe boule, un peu kitsch, bleue nuit, elle tourbillonne, elle est sublime et même si je ne la toucherai pas, personne ne pourra m'enlever ça : elle qui danse sous la pluie, danse sous la pluie, danse sous la pluie, jusqu'à culbuter de fatigue.

Dimanche 17 février 2008 à 0:02

Il s'en suivit un entretien étrange : elle ne voulut rien me dire, ni sur elle ni sur ces autres, mais en revanche, elle parvint en détournant sans cesse la conversation avec dextérité, à ma faire parler de moi, ma vie, mon œuvre, mon nombril, en long, en large, et en travers, accueillant mes confidences avec des hochements de tête entendus.
Je ne la reconnaissais plus, elle si loquace autrefois, et pourtant elle avait gardé quelque chose de son assurance effrontée d'étudiante, de ses façons maniérées de flamber ses cigarettes, de son rire cristallin, de ses gestes félins, et de sa façon de passer sa main dans ses cheveux, machinalement.
Et puis tout à coup elle s'éteint, elle décroche, ses yeux se diluent et elle se love dans une réserve presque offensive, comme s'il en voulait à l'humanité entière de la contraindre à exister.
Quelque chose s'est brisé en elle.

« Tu vas bientôt mourir, c'est ça ? » je finis par demander, parce que c'était la seule explication.
« Ne sois pas ridicule. » a-t-elle rétorqué d'un sourire las.

Puis elle est rentrée.
Je l'ai immédiatement remarquée.

J'ai toujours été attirée par ce qui est beau.
Je ne sais pas, une lubie d'adolescence.
D'autres collectionnaient les timbres, jouaient de la guitare, couraient après une balle.
Moi, je remplissais des albums avec des photos que je trouvais belles.
Je dois en avoir quelques-uns de Cassandra, d'ailleurs, je la trouvais magnifique.
Je les feuillette encore, parfois.

La nouvelle arrivée est belle. Vraiment belle.
Comme n'ont pas manqués de le souligner regards appuyés, peut-être même sifflements pour les plus audacieux.

Samedi 9 février 2008 à 12:08

J'ai pris mon sac, mes clefs et je suis partie comme ça, en coup de vent, sans même un regard pour le miroir - je ne sais que trop ce qu'il a à m'offrir – en claquant la porte. J'aime ce bruit gratuit et exaspérant.
Les voisins vont encore protester, mais qu'est-ce que ça peut faire, hein ? Qu'est ce que ça peut faire.

J'ai rendez-vous avec une vieille amie, cinq ans que je ne l'ai pas vue, aucune envie de combler ce vide.
Je ne sais pas ce qu'elle me veut, je ne sais pas pourquoi elle m'a donné rendez-vous, et je ne sais même pas pourquoi j'y vais, à la fin, pourquoi je perds mon temps ?
Comme si j'avais mieux à faire.

Je ne suis même pas sûre de la reconnaître.
Moi, je te reconnaîtrais, m'a-t-elle dit.
Mais bien sûr.

Je lutte contre le flot des rues bondées, j'ai l'impression de ne pas y avoir ma place. De n'avoir ma place nulle part.
Personne ne m'attend lorsque je rentrerai, personne, peut-être même que personne ne m'attend au café où elle m'a donné rendez-vous.
Pour ne pas avoir à regarder le visage des passants, je fixe le macadam, les affiches publicitaires de toutes ces filles parfaites auxquelles je ne ressemblerais jamais, le temps « splendide », à ce qu'il paraît. J'aime mieux la tempête. Je veux m'en aller.

Me voici devant dans le fameux café, personne ne régit à mon entrée, je me réfugies à l'intérieur, tout au fond, pour fuir le grand soleil écoeurant qui carbonise la terrasse.

J'allume une cigarette pour me donner une contenance, et soudain elle surgit dans mon horizon.
Elle a changé et elle n'a pas changé, de grandes lunettes de soleil rétro dévorent son visage émacié.
On dirait une brindille, à présent, je ne me rappelais pas qu'elle fut si mince, et si nous avions encore été amies, j'aurais sans doute été désolée pour elle. Mais j'ai déjà bien assez à faire avec mes propres démons.

Elle se laisse gracieusement choir sur le siège qui me fait face et m'adresse un large sourire, en ôtant ses lunettes.

« Salut » commence-t-elle. « Les autres ne devraient pas tarder. »
Les autres ? Quels autres ? Je pensais que nous serions seules. Je n'ai pas la force d'affronter plusieurs âmes à la fois. Pardon, j'ai dit “affronter” ? Je pensais “fréquenter”.
« Tu as organisé une réunion des anciens élèves, quelque chose comme ça ? » je finis par hasarder, pour combler le silence.
« Mais non, pas dut tout » me répond-elle, avec un sourire vaguement condescendant.

Vendredi 1er février 2008 à 23:34

Tu tires sur ta cigarette et tu rejettes la tête en arrière, mine de rien tu prends la pause.
Quelques amies te parlent, mais tu n'écoute pas, tout le monde te regarde mais qu'impporte ? Tu as l'habitude.

Tu recraches la fumée et tu t'abandonnes à la contemplation du nuage gris, avec une moue affectée, savamment étudiée devant le miroir (c'est bien la seule chose que tu prennes encore la peine d'étudier) et tu demandes qui sera le prochain sur la liste. Peut-être un intello timide, celui-là tu l'as encore jamais testé. Trop superficielle.
Tu aimes te comparer à une veuve noire : c'est bien l'une des dernières choses à laquelle tu prennes encore plaisir.

Tes « amies » rient en chœur et tu les jauges avec mépris et le silence se fait dans l'instant. Mais tu ne penses pas vraiment à ça.

Tu sors de ta poche ton cellulaire dernier cri et les autres dégainent le leur de concert, comme dans l'attente de directives de ta part, par texto interposé.
Tu demandes à ton père d'envoyer des chrysanthèmes de ta part à la famille de ton copain : il te lasse. Quel est son nom, déjà ?
Tu finis par te décider par un sobre « condoléances » joint à la composition florale.
Tu aimes… Comment dis-tu déjà ? River le clou.

Tu essayes de ne pas songer au visage d'agonie de celui que les hommes de ton père ont poussé par-delà la rambarde du troisième étage.
Souviens-toi, tu l'embrassais hier encore.
Mais tu as déjà oublié.
Tu happes une nouvelle bouffée et attardes tes réflexions sur ta prochaine victime.

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