Ouvre les yeux et tends-moi un autre verre
Désormais nous n'avons plus rien à nous cacher
L'odeur asphyxiante de ta cigarette inonde l'air
J'ai peur de ne pas me refléter dans ton regard
Elle est assise à la table de la cuisine, tout est d'une blancheur aveuglante.
Quelques notes de couleur, un verre de jus d'orange posé devant elle.
Par la porte-fenêtre on devine la végétation d'un jardin, gorgée de lumière.
Lorsqu'il entre, elle lève la tête brusquement et l'égare d'un sourire hypnotique.
Il la trouve si belle que c'en est insoutenable.
Sa bouche voudrait prononcer je t'aime malgré lui et c'est à grande peine qu'il maintient la phrase interdite tapie derrière ses dents.
Il remarque distraitement qu'elle se noie dans le T-shirt trop large qu'il portait la veille, elle le regarde distraitement, encore un peu perdue dans leurs étreintes de la veille, elles brûlent encore sur leurs peaux.
A cet instant précis il songe qu'il a de la chance de l'avoir elle, il ne se doute pas que leurs pensées se rejoignent.
Les fantômes des précédentes se confondent momentanément avec la jeune femme, qui porte le verre à ses lèvres, il les chasse d'un signe de main.
Laisser le passé à sa place.
Elle repose son verre vide, elle a envie de lui dire merci, de ne pas s'en aller à ses obligations, de rester là toujours, de lui dire qu'elle l'aime, qu'elle est heureuse, de fumer une cigarette, de lui, peut-être.
Il s'assoit face à elle, leurs mains ne s'effleurent pas, il a pris le soin de prendre une brique de lait et remplit le verre qu'elle avait sorti à son intention, on dirait presque qu'elle a vécu là toujours.
La bouilloire siffle mais ils ne l'entendent pas.
Ils ne se touchent pas, ils ne se parlent pas, et pourtant ce que leurs yeux se susurrent ne pourrait qu'être terni par un geste, par un mot, et même s'ils apprennent tout juste à se connaître, même si tout ceci a encore le parfum de la nouveauté, même s'ils ne s'aiment pas encore tout à fait, l'instant est parfait. Encore un peu saturé de sensualité brute, des caresses dont l'électricité chatouille encore la surface de leurs épidermes.
Elle finit par prendre la parole, puisqu'il faut bien briser le silence.
« Laisse-moi le troisième tiroir, d'accord ? J'apporte ma valise jeudi. »
Elle n'ajoute pas « parce que tu vas me manquer », elle n'ajoute pas « parce que les instants passés loin de toi me seront désormais insupportables » car ce n'est plus nécessaire.
Pour preuve, il hoche la tête sans rien dire.
Elle l'éblouit d'un sourire et bondit sur ses pieds pour saisir un briquet et son paquet de cigarettes, s'en va fumer dans le jardin, juste devant la porte-fenêtre.
Il lève les yeux au ciel et lui prépare une tasse de café, il en a acheté pour elle, bien qu'il déteste ça.
Toujours sur le pas de la porte, elle lui lance « tu sais à quoi tout cela me fait penser ? »
Il hausse les épaules, bien qu'il soit certain qu'elle ne le regarde pas.
« À une chanson de Muse, Bliss. Ça veut dire félicité. »
Il voudrait lui demander en quoi la chanson lui fait penser à « tout cela », et qu'est-ce que « tout cela », mais ça lui ferait trop plaisir.
Il sourit en silence et la rejoint sur la terrasse afin de lui apporter sa tasse et de sentir à nouveau sa peau contre la sienne.
Ça va, à présent je n'ai plus peur
L'instant pourrait s'écouler ainsi à l'infini, je désire que rien ne change
J'ai retrouvé ma place, un fragment de bonheur.
Ne me promets rien, ne bouge pas. Laisse-moi savourer encore quelques secondes à tes côtés.
C'est sans doute cette paix que l'on nomme amour.