Tu vois, je t'écris toujours sur mes vieux cahiers d'écolière. Ça au moins ça n'a pas changé.
C'est peut-être une façon de rattraper le passé, en quelque sorte.
Mais au fond, c'est toujours lui qui nous rattrape, tu ne crois pas ?
Ce n'est pas comme si tu me manquais. C'est autre chose, que je ne saisis pas.
Je t'attendrais sur le même banc que d'habitude.
Je ne précise pas l'heure, ni le jour. Je compte sur toi.
Reviens-moi.
Tu en connais beaucoup, des filles qui laissent des lettres comme ça ?
Mardi 1er janvier 2008 à 23:59
Mercredi 26 décembre 2007 à 23:05
Rappelle-toi de celle que tu étais, lorsque les flashs inonderont ton visage.
Rappelle-toi de celle que tu étais, lorsque tu souriras aux caméras comme si tout allait bien. Comme si tout était normal.
Un cadavre s'égoutte dans ta cave, tu te repoudres le nez dans ta limousine aux vitres teintées. Tu penses, si tu en es encore capable, tu te demandes quelle moue va le mieux leur chavirer le cœur. Tu jettes un regard satisfait à la foule, ce sont tous tes sujets.
Tu aimerais bien leur dire combien tu te sens seule, mais ce ne serait pour toi qu'une perte de temps. C'est tellement plus drôle de les regarder pleurer.
Il y a cette cruauté chez toi : tu aimes casser tes jouets.
Tu n'es pas humaine, ma petite poupée gonflable.
Rappelle-toi de celle que tu aurais dû être, lorsque tu tendras la joue à ton père
Rappelle-toi de celle que la morale voudrait que tu sois, lorsque tu mettras le feu aux preuves de ton crime, comme si rien ne s'était passé. Comme si rien n'était changé.
Tu es toujours entourée d'amies mais tu plantes tes ongles dans leurs mains lorsqu'elles osent te contredire.
Tu aimes qu'on t'obéisse, tu règnes sur un peuple d'ours en peluches.
Tu es une pauvre fille à papa qui cherche comment faire passer son dernier caprice : tu commence déjà à faire pleurer tes yeux.
Tu remets un peu de rouge sur tes lèvres, et il est du même rouge que le sang de l'homme que tu as tué hier soir dans ta cuisine.
Mais où crois-tu bien pouvoir aller ? Où crois-tu donc pouvoir fuir ?
Et pourquoi es-tu seule, soudain, allongée sur le bas-côté ? T'aurait-t-on oublié, comme un chien qu'on abandonne à la veille d'un voyage ?
Où sont tes amies, toutes ces filles que tu méprisais ?
Où sont ces filles que tu frappais, langoureusement, jour après jour ?
Mais où crois-tu donc aller ? Où crois-tu que l'on veut encore de toi ?
Tu es seule, ma petite poupée gonflable.
Mercredi 26 décembre 2007 à 0:19
Il y avait entre eux cette connivence facile, qui naît parfois entre deux acteurs qui jouent par hasard dans la même scène.
Le matin, ils demandaient à être coiffés et maquillés côte à côte, afin de préparer la prise du jour, et le soir, après le « coupez ! » final, on les voyait souvent au café, à la même table, elle avec la main familièrement posée sur son bras à lui.
Ce qu'ils faisaient ensuite ne regardaient qu'eux, mais bien qu'ils soient chacun mariés de leur côté, ça n'empêchait les assistants de prendre les paris à la pause déjeuner : couchera ? couchera pas ?
Elle démentait les insinuations de la costumière avec désinvolture, de son côté il esquivait les questions du décorateur sur les performances supposées de la demoiselle d'un haussement d'épaules et d'un regard appuyé.
Après, bien sûr que ça les regarde, bien sûr qu'on s'en fout.
Mais il faut bien s'occuper.
Tenez, ils étaient juste là, allongés sur la pelouse, attendant qu'on s'intéresse à eux.
Tenez, il sortait justement de sa poche… non ! Il ne va pas oser !
À moins que… si ! Tout va bien.
Approchez, approchez encore un peu. Vous allez entendre…
- Cigarette ?
- Volontiers.
- Permettez-moi de vous l'allumer…
- Merci. Ah !!
- Quoi, que se passe-t-il ?
- Une bête ! Il y a une bête sur ma joue !
- Où ?
- Là !
- Laissez-moi voir… Allons, c'est de l'eau.
- Très bien… AH !!!
- Quoi encore ?
- J'ai reçu de l'eau. Un jet d'eau. Oh, quel gâchis. Regardez, votre cigarette est toute trempée.
- Voilà qui est embêtant, il pleut en plein soleil. À moins que…
- Quoi ?
- Voudriez-vous regarder ma fleur ?
- Pardon ?
- Oui, cette fleur-là, à ma boutonnière. Je crois savoir d'où vient l'eau mais je ne peux rien faire si vous ne regardez cette fleur de très près. Approchez… Voilà, encore un peu… Touché coulé !
- Arg ! Mon brushing ! Vous m'avez arrose !
- Cela est fort possible… Mais que ? Vous ne frapperiez pas un homme à lunettes ?
- Je vais me gêner !
Ouille ! Elle n'y est pas allée de mainmorte ! Quelle conscience professionnelle ! Ou bien…
Terrible, la vengeance d'une femme, quand on s'attaque à ses cheveux.
C'est du cinéma ?…
Ça cache quelque chose, si vous voulez mon avis…
Je vois une assistance arriver en courant, avec les glaçons. C'est que ça gonfle vite, cet animal-là !
Ah, voilà l'actrice qui revient.
Elle s'allonge dans l'herbe, à côté de l'acteur.
- Comment j'étais ?
- Giflante. Cigarette ?
- Volontiers....
Mardi 25 décembre 2007 à 0:01
Je me suis assise parmi elles.
J'aurai pu être frappée à mort, et pour moins que ça, dans n'importe quelle autre bande.
L'une d'entre elles m'a tendue une cigarette.
Je l'ai allumée sur le petit brasero au milieu du cercle.
C'était aussi simple que ça.
La bande s'est agrandie, à notre insu.
Notre monde est une jungle et d'autres ont besoin de nous pour grossir leurs rangs, pour vaincre l'ennemi (tous les autres). Ils nous protègent. C'est un arrangement équitable.
Nous sommes trop peu, et trop faibles encore, pour conquérir notre territoire. Ça n'a jamais été notre but.
Mais pour se faire une place, dans notre univers ou dans le vôtre, il faut être fort, sans quoi on est rien.
Parfois, la police nous « ramasse », et nous passons des heures sur un banc glacé, à attendre… quoi ?
Sans doute espèrent-ils que nos parents viennent nous chercher. Ça fait longtemps qu'ils ne viennent plus. Il n'y a rien à faire pour les enfants perdus.
Car n'oubliez jamais que cette vie, nous l'avons choisie. Nous avons nos raisons, bonnes ou mauvaises (le bien n'est qu'une question de point de vue). Être orphelin est nécessaire à notre quête de liberté. Alors, ce n'est pas triste.
Vous et moi ne nous comprendrons jamais, c'est sûr.
Nous avons renoncé à nous promener ensemble de jour : nous faisions trop peur.
Cela n'a pas d'importance, la nuit nous convient mieux.
Lorsque je pousse la porte d'une bibliothèque, les gens s'écartent brusquement sur mon passage, l'œil exorbité, comme s'ils avaient peur que je les détrousse. c‘est vrai qu'il n'y a rien à voler là-bas, à part du savoir et des mots.
Comme si une yankee comme moi ne pouvait pas savoir lire.
J'aime, pourtant. Ça raccourcit le temps entre deux nuits.
Mais ça, personne ne l'acceptera jamais.
(à suivre)
Lundi 24 décembre 2007 à 23:43
Ca y est. Au moins cette fois elle en est sûre.
Elle rebouche le stylo et pose le mot bien en évidence sur la table. Il y a des choses qu'on ne peut pas dire à voix haute.
Elle se dit qu'il faudrait qu'elle réfléchisse, mais parfois il ne faut pas trop réflechir. Elle se dit que c'est le moment ou jamais. Elle se dit surtout qu'il est temps d'affronter la réalité. C'est ça surtout qui l'a décidée.
Son regard croise celui du miroir. Qu'il est laid, ce reflet.
C'est ces yeux graves, résolus, qui gâchent tout. Les yeux de celle qui sait qu'elle va entreprendre l'action la plus égoïste de sa vie, et surtout qu'elle le fait au détriment d'autres, u détriment du seul qui compte… Après, bien sûr qu'il comprendra. Il la connaît trop pour ne pas comprendre.
Elle hésite et pose sa bague de fiançailles par-dessus le mot, son téléphone mobile. Pas de prison dorée dans son périple, nulle entrave. Ça aussi, il comprendra. Il aurait mal entre les côtes, mais il comprendra.
Est-ce que l'autre l'attendra encore ? Y a-t-il seulement une place pour elle, au bout du voyage ?
Mais ça n'a presque plus d'importance.
Elle lance le stylo. En plein dans le mille, le miroir se froisse et vole en éclats.
Un énorme impact au centre, sept ans de malheur.
Elle a envie de se dire que ce ne peut pas être pire que maintenant et pourtant elle sait bien que c'est faux.
Ça non plus, ça n'a presque plus d'importance.
Elle est fébrile et surexcitée, comme une gamine sur le point de commettre une grosse bêtise. Elle n'est qu'une gamine inconsciente, elle le sait bien, mais elle a envie de s'en moquer. Elle envie d'être libre, tout simplement.
Au fond de son sac, des billets d'avion. Un aller simple. Elle ne sait pas encore si elle reviendra, et elle aimerait se dire que ça non plus, ça n'a presque plus d'importance, mais ce n'est pas vrai.
C'est de la folie… Elle ne connaît même pas son adresse.
Mais ce n'est pas comme si George passait inaperçu. Alors elle se répète en souriant, comme une comptine « Pour le retrouver, suivez les cheveux bleus et les cœurs brisés »…
Elle a tellement besoin de savoir, vous comprenez ?
Fuir, délicieuse exaltation.
George, H-24.
Va-t-elle le retrouver ? Comment va-t-il l'accueillir, après tout ce temps ? L'aura-t-il remplacé et cherchait-il encore vainement pour combler le vide qu'elle a laissé ? Sera-t-il déçu de la revoir ? Ennuyé ? Soulagé ? Surpris ? Heureux ? Nostalgique ? Ou bien dira-t-il « tu t'es fait attendre. » comme si c'était tout naturel, comme si elle était en retard de dix minutes et non de dix ans.
Oui, c'est sûrement ça qu'il dira…
Et ça non plus, ça n'a presque plu d'importance.
Parce qu'elle l'a fait, vous comprenez ? Elle l'a fait.
Elle a choisi la liberté.
Et peu importe ce qui se passera ensuite, qu'elle le retrouve ou qu'il l'abandonne, qu'elle reste ou qu'elle reparte, il restera toujours cette force gravée dans son cœur, inébranlable : elle l'a fait. Elle a choisi la liberté.
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