Je lui ai dit « il n'y a que des barbelés autour de moi » et elle m'a répondu que c'était normal, que c'était la vie, qu'il faudrait que je m'y fasse. Elle m'a dit que j'étais une pauvre idiote.
Je lui ai dit « je dois être dans un manège, tout tourne si vite, si vite… » et elle m'a dit de ne pas dire de bêtises.
Je lui ai dit « je vais mourir tu crois ? » et elle a rigolé doucement, comme si ma question était stupide.
Je suis dans un champ de ruines, le cimetière des cœurs perdus, plantés sur les ronces de métal, le ciel est obstinément gris cendre, des traînées rouges comme du sang dans le lointain.
Je me suis assise sur un buisson de fer et je lui ai demandé ce que je devais faire, ce que je pouvais bien être sensée devoir faire.
L'air sentait la rouille et l'hémoglobine rance.
Je ne comprenais plus ce qu'on attendait de moi, si je devais rester en vie ou planter ma chimère sur un pic de métal, avec les autres, pour qu'elle se sente un peu moins seule.
Elle ne disait rien, elle ne voulait rien dire, trop habituée sans doute aux questions sans réponses des voyageurs égarés.
Je suis dans le cimetière des corps perdus, il y en a tant, je suis ici comme je pourrais être ailleurs, je suis ici comme je pourrais être au fond d'un lac.
Je lui ai demandé s'il y avait parfois du monde, par ici, et comme elle ne répondait pas j'ai crié « je ne voulais pas mourir pour une bête histoire d'amour ! » et elle a rétorqué avec indifférence que personne n'a envie de mourir pour une histoire d'amour.
Elle me regardais d'un air vaguement méprisant, comme s'il n'y avait pas de quoi être déboussolée, comme s'il n'y avait rien de plus normal, de plus commun en somme, que de se perdre ainsi, de débarquer dans cet entre-mondes.
Comme si les visiteurs de ce lieu n'étaient pas déjà suffisamment déboussolés.
J'aurais mieux fait de mourir pour de bon.
J'aurais dû avoir peur, peur de rester ici, piégée, j'aurais dû avoir peur d'être à sa merci, d'être sa proie, de devenir un de ses trophées, moi aussi.
Mais je lui aurais donné mon cœur si elle me l'avait demandé. Ce ne serait-ce que pour trancher la question.
Et soudain j'ai eu envie de pleurer, comme ça, pour aller mieux et elle m'a adressé un regard de mépris, comme si j'étais trop humaine pour elle.
Et j'étais tellement triste, tellement triste…
« Je peux rester ici ? » je lui ai demandé « juste un peu » et elle a haussé les épaules, parce que qu'est-ce que ça changeait, hein, qu'est-ce que ça pouvait bien changer ?
Alors ne me cherchez pas, d'accord ? Ce n'est plus la peine.
Je suis ici, maintenant. Pour l'instant.
Je voudrais encore vous dire que ça va, mais sinon je ne serais pas ici, hein ?
Alors disons que ça ne va pas si mal, d'accord ? ça ne va pas si mal.
Alors ne pensez pas trop à moi, s'il vous plaît. Ça me tiraille derrière la nuque.
Alors…