Vendredi 17 août 2007 à 16:48

Machi

Plus le temps passe et plus j'ai le sentiment que tu t‘humanise, et tu ne peux concevoir combien cela me comble.
Non, tu ne « t'humanise » pas. Ce n'est pas le terme. Tu es sans doute la plus humaine de nous tous, dans tes fissures et tes sourires.
Mais il me semble que tu laisses les autres effleurer ton univers, à présent.
C'est bien.

Moi ? Ce que je deviens ? Oh, tu me connais.
L'appart' 707 ne désemplit pas, Fée invite souvent les saltimbanques à prendre le thé ou faire des claquettes, bien qu'aucun de nous n'ait jamais pris un seul cours de claquettes, nos voisins du dessous nous détestent.
La fille du banc passe de longues heures devant notre porte, au rez-de-chaussée, Fée l'invite toujours à entrer, lorsqu'elle rentre de l'université et qu'elle la trouve à fumer, rêveuse, appuyée contre la façade de l'immeuble. Et Fée qui me reproche de laisser mes amis dans le froid, avec une indifférence « sans rivage et sans fond » (je ne sais plus de qui est l'expression, sache juste qu'elle n'est pas de moi).
Et pourtant je ne les vois pas, je ne vois personne.
Tout s'éloigne, toi la première, et j'ai parfois le sentiment d'être une île déserte, les vagues éloignent de moi, inexorablement, tout ce qui m'est cher.

J'écris à peine, mon éditeur use ses touches à m'adresser des mails que je n'ouvre pas.
Je n'ose évoquer le sujet avec Fée : son banquier et elle ne sont plus dans les meilleures termes, nous avons annulé notre escapade à l'archipel, ça ne passe pas très bien à la fac (Fée ne doit pas être adaptée à la vie humaine).

Mais on est encore ensemble, alors ça va. Ça va toujours…

Et puis peut-être que ça ne va pas tant que ça.
Rien de grave, bien sûr.
Tu sais, outre que l'encre ne coule plus aussi bien qu'autrefois, il y a toujours ce garçon, le seigneur des sylphes, le roi  des aulnes, qui hante mes mots, qui poursuit mes songes.

Surtout, ne crois pas que les choses changent, je les crois figées à jamais dans la sombre écorce des chênes.
Mais peu importe puisqu'il m'est donné de le saluer et qu'il me réponde, puisqu'il m'est donné d'échanger parfois avec lui quelques paroles sans intérêt, puisqu'il m'est donné de lui sourire, lorsqu'il ne me regarde pas et même parfois lorsque nos regards se croisent.
Je retombe, je m'accroche à nouveau à toutes ces futilités triviales et insignifiantes, et je suis tellement stupide, je ne peux ouvrir la bouche sans l'agresser, tant je suis maladroite, tant je tremble, et tous diraient que c'est mignon, tous diraient que c'est cela tomber, et peut-être qu'il l'ignore, peut-être que mon attitude lui clame le contraire et assassine l'avenir conjugué au pluriel, et je suis tellement… Lamentable.

Tout est perdu. Mais je ne suis pas vaincue.
Parce que je suis humaine, moi aussi, rien qu'une imbécile d'humaine qui espère, qui espère toujours…
Ce ne serait-ce que parce que je sais que si je ne m'attache pas à lui, Cupidon dévira son trait pour que quelqu'un d'autre prenne la place du roi des aulnes, à l'instant même où mon cœur achèvera de soupirer, car cet imbécile refuse de tourner à vide, tu comprends. Et je sais que le roi en vaut bien un autre. Il vaut mieux que les autres.

Parlons d'autre chose, Machi, puisque c'est pathétique de s'apitoyer ainsi sur son sort, puisqu'il n'y a rien à dire, parlons de toi.
Tu es plus loquace qu'avant. Parle-moi de ce garçon qui te guérit.

J'ai peur, Machi, parfois la chimère qui fait « tic-tac » se love dans mon ventre et ça fait mal.
Les échéances courent à ma rencontre, j'aimerais me cacher sous la table mais je n'ai plus le droit.
Le temps… Fée et moi dressons son bûcher chaque soir jusqu'à l'aube et pourtant c'est lui qui nous consume.
C'est ainsi.

Ici s'achève ma lettre, Machi, je m'en veux de tant parler de moi alors que tu as sans doute tant à dire. La tentation est trop forte.

À bientôt, Machi.
Rappelle-toi : il y a un canapé qui t'attend à l'appartement.

Vendredi 17 août 2007 à 16:48

Hey, Machi !

Comment vas-tu ?
J'ai essayé de t'appeler, l'autre soir, ça m'a coûté une fortune et je n'ai même pas pu entendre le son de ta voix.
À charge de revanche.

Ça se passe mieux avec ton... Soma, ou je ne sais plus très bien comment il s'appelle ?
Kakeru m'en a touché un mot dans sa lettre, parce qu'il m'a écrit, Kakeru sait écrire, incroyable non, il dit qu'il me rendra visite bientôt, qu'il me rendra visite ici, je n'y crois pas.

Tu imagines cette anormalité génétique faire tout ce voyage rien que pour me voir, pour me voir, moi ?
Tu l'imagines tenir ses promesses ?

Moi non plus.

En parlant d'extraterrestre, l'exemplaire venu du grand froid a rejoint sa galaxie en soucoupe volante. Sans moi.
Bien sûr.
J'étais folle de croire qu'il était autre chose qu'une étoile filante.
Mais bon...
Ce n'est pas comme si c'était la première fois.
Ce n'est pas comme si c'était grave.
Alors moi, ça va. Autant que possible.

J'ai envie d'arrêter le travail à la boutique, Fée me dit de continuer, je ne connais pas assez de gens qui me ressemblent.
Je me dis que c'est triste, que je n'ai le temps de rien, et surtout pas d'écrire, de t'écrire, mais si j'arrêtais, j'aurais du temps en trop, non ?
Alors... c'est peut-être mieux comme ça.

Je ne t'ai pas parlé de notre emménagement, avec Fée ?
Si je ne l'ai pas fait, c'est parce que je crois que pour moi, ce n'était un événement neuf, un changement, une fracture avec l'ordre établi... Le début de quelque chose.
C'était... comme un retour à la maison. À l'écoulement normal des choses.
En poussant la porte de l'appartement 707, traînant derrière moi mon énorme valise et Fée accrochée à mes basques, j'ai eu envie de lancer « Je suis rentrée ! » au logis vide, et je sais que pour Fée c'est pareil.

Je te l'ai sûrement déjà dit : je ne suis pas particulièrement heureuse d'être avec Fée (« être avec elle » plutôt que « la voir »).
C'est juste que lorsque nous ne sommes pas ensemble... il manque quelque chose.

J'ai tellement peur qu'un jour on nous sépare, qu'elle prenne la clef des champs et pourtant je l'aime trop fort pour que ce soit possible.
Est-ce une illusion de croire que ceux qu'on aime resteront nôtres ?

À bientôt, Machi.
À bientôt...

Vendredi 17 août 2007 à 16:47

Fée est partie.
Pas pour longtemps, bien sûr, elle va revenir, elle va revenir, elle revient toujours, je n'ai pas peur, je n'ai pas peur, elle me manque, elle me manque quand même, elle a dit ne t'inquiète pas, elle a dit je reviens, je ne m'inquiète pas, ce n'est pas de sa faute, elle me l'a dit, alors c'est vrai.
Mais elle me laisse quand même un creux au coeur.

J'ai rencontré quelqu'un, Machi. Encore.
Et parfois je me dis que si le destin m'offre autant de chance c'est que ma place est ici et pas sur notre petit archipel. Désolée. Mais un bout de mon coeur reste là-bas.
Et ce petit bout, c'est toi.

Je n'ai pas envie de t'en parler, Machi, juste pour conjurer le sort.
Je suis lasse de vomir des états d'âmes à du papier.
Mais je crois que cette rencontre panse de vieilles blessures.

Machi, j'ai l'impression que chaque fois que je t'écris, c'est pour te parler de quelqu'un de nouveau, pour étaler ma vie comme si elle avait le moindre intérêt, la moindre valeur.
Absolument.
Il y a eu la cause de mon départ, Fée, la fille du banc, un compagnon de passage et les saltimbanques.
Et maintenant, lui.
Cet extraterrestre du grand Nord.
J'en raffole.
Alors j'étreins son écharpe dans mon sommeil et je suis ridicule.
Tant pis.

Que dire, Machi ?
Les jours me rapprochent de notre emménagement, avec Fée, au septième étage d'un immeuble à la fois ancien et en bon état, perdue au milieu des ruelles étroites d'un vieux quartier de la capitale, noble, majestueux, le métro est un peu loin, il faut marcher, et c'est bon de sentir l'air frais sur son visage en passant devant la boulangerie qui exalte des odeurs de croissant.
Délice.
Et pourtant notre rêve semble s'éloigner.
Je regarde l'avenir, et j'ai peur, Machi, vraiment peur.
L'avantage, c'est la certitude de ne pas être originale.
Alors je me dépêche de détourner les yeux et d'envoyer un sourire électronique à ma Fée.

Je me rends compte que je n'ai rien à te dire, Machi.
Assez naïvement, j'aimerais te dire que tout va bien, et je crois que je ne m'étais pas sentie aussi bien depuis longtemps.
Rien que ça, ça vaut la peine, non ?

Et toi, Machi ? Parle-moi de toi. Dis-moi que ça ne va pas. Dis-moi pourquoi.
Je suis là.

J'espère qu'il neigera demain.

Vendredi 17 août 2007 à 16:47

Fée et moi, on va le faire. On va vraiment le faire.
C'est sûr. Maintenant.

On a rencontré des gens, Machi. (Quand je dis on, c'est Fée et moi. C'est toujours Fée et moi. Même lorsque je dis je, il y a Fée qui se cache quelque part dans le point.)
Ils sont jeunes, tu sais. Encore plus que nous. Et pourtant...
Ils sont libres. Un peu fragiles, un peu instable.
Différents, ça c'est sûr.
Je les aime beaucoup.
Magnifiques ? Un peu surnaturels.
Et parfois tellement terre-à-terre.
Et ils fument tellement que parfois un nuage de fumée les précède.
Leurs vêtements ne sont pas normaux non plus.
J'aime bien.

Ils semblent à ce point irréels que je me demande parfois si je ne les ai pas croisé en rêve.

Surréalité.
Long voyage dans ce tube glacé pour les approcher.
Perdition.
Loin de tout. Loin de toi.
Fée ?
Il n'y a rien... rien d'autre que ce vent glacé, ce livre que je tiens entre mes doigts engourdis et ce manège qui tourne tourne tourne...
Attente.

Après, bien sûr qu'il y a la mer des anonymes qui passent, rient trop fort et disparaissent au détour de l'allée.
Crois-tu qu'ils aient la moindre importance ?
Silhouettes éthérées émergent de la brume des innombrables.
Saltimbanques.
L'air se réchauffe.
Alors je ferme mon livre et pars à leur rencontre.
Félicité.

Tu les verrais, Machi... Toi aussi, tu voudrais les connaître.
S'ils sont beaux ? Bien sûr. Comment pourraient-ils ne pas l'être ?

Ils sont trois. Juste trois.
Trois visages souriants, trois cascades de cheveux bruns et bouclés.
Trois cigarettes.
Un seul briquet.
Il faut bien partager un peu d'intimité.

J'aime Machi.
J'aime battre le pavé de la capitale à leur suite, à leur poursuite, entrer dans des boutiques superbes et minuscules dont les étagères croulent sous le rêve, des robes somptueuses qu'on ose à peine effleurer, princesse, et toutes ces choses belles, et inutiles... Si belles.
Magie.
Éclat de rire.
Inscrire une fraction d'éternité dans une boîte.
S'asseoir à même le sol et rire encore.

Parler à demi-mots (les mots ont-ils encore un sens ?) et rire toujours.
Parcourir les sous-terrains.
Écouter de la musique cabalistique et affirmer qu'on aime.
Bien sûr qu'on aime.

Leurs sourires ont un goût de sel et d'exotisme.
Leurs gestes sont saturés d'une grâce maladroite, et parfois, je me dis qu'on pourrait se nourrir de leur essence.

Tu sais... Je ne sais pas si c'est parce qu'elle était avec moi la première fois... mais au fond de leurs yeux, je crois voir voler une Fée.

Fée.

Samedi 14 juillet 2007 à 15:23

Hey, Machi !
Comment vas-tu ?
Que veux-tu que je te dise ? Moi, contre toute attente, je vais bien. Aujourd'hui. À l'instant où je t'écris.
De toute façon, ça sert à rien de déprimer trop longtemps.

Je sais ce que tu vas te dire, Machi.
Pourquoi devrais-je déprimer ?
Disons qu'à force de l'écarteler, même la plus résistante des étoffes se déchire. Même un cœur peut se déchirer. Même si c'est de notre propre faute.
Mais ce n'est pas grave, Machi. Rien n'est grave.
Je suis responsable. Alors...

Je prends des vacances, Machi.
Je sais ce que tu te dis : comment prendre des vacances lorsqu'on ne travaille pas ?

Je m'évade, Machi, je prends la clef des champs, et Dieu que ça fait du bien de respirer de l'air frais.
J'ai fendu un cocon trop étroit et je me sens seule et libre et jeune et... vulnérable. Redevable envers le carcan de soie, étendu, abandonné.... seul à son tour, au bord de la route. De ma route.
Mais que veux-tu, Machi ? Il faut bien que la chenille devienne papillon.
Bien que je sois loin d'être adulte. Bien que je sois loin d'être entière.

Ah, Machi, je suis bien, si tu savais.
On s'est enfuies, avec Fée.
C'est bientôt « les fêtes », ici.
Alors, avec Fée, on s'offre plus qu'un objet sans valeur : on s'offre un souvenir. Une échappée du réel.
On loue une « villa », comme ils disent dans les agences de voyages, une villa, tu parles, une petite maison miteuse, une vieille bicoque pour vacanciers ruinés, oui.
Mais elle est géniale. Parce que c'est la notre.
On nous la loue... oh, une misère.
Il faut dire que le bord de la mer en décembre, c'est pas forcément le moment de l'année qui déchaîne les foules.
Surtout cette mer.
Comme elle est belle lorsqu'elle houle et qu'elle hurle et qu'elle se soulève...
Fée et moi passerons des heures à la contempler par la fenêtre.

Pourquoi passerons ?
Oh, elle ne m'a pas encore rejointe.
Pourquoi ?
Une sorte d'accord tacite.
J'imagine qu'elle a encore quelques affaires à régler, avant de prendre le large.
Il faut dire que c'était si soudain...
Je veux dire, depuis le temps qu'on la projette, cette escapade...
Mais une seule condition : pas de date précise. Pas de réservations.
On attend un signe.
On l'a eu. Plus d'attache.
Il était temps de prendre le large.

J'avais besoin de briser mes chaînes, vous comprenez ?
Les autres.
J'ai pris le premier train venu, direction nulle part.
Elle pourra bien m'y rejoindre. Me rejoindre.
Poussée la porte d'une agence immobilière à moitié morte, hors saison oblige.
Formalités. Que de tracas.

Je crois qu'elle a senti que j'avais besoin d'être seule.
La mer me rend rêveuse. Elle me rappelle ta petite île, Machi. La notre ?
Un ersatz de retour aux sources, j'imagine. Réminiscence.
Dieu que c'est bon.

Le paysage est magnifique. Exactement comme j'aime.
Contre toute attente, on m'a offert de vivre, l'espace de quelques nuits, de quelques songes, là où j'ai toujours voulu être.
Toucher du doigt cet Eldorado que j'ai si souvent vu dans mes chimères.

La maison est un peu ancienne. Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
La maison est moderne, un petit bungalow typique qui se raccroche aux falaises.
Meublée sommairement.
Mais ça m'est égal. Car la réalité n'a plus de consistance, et mes illusions plus de barrières.
La « villa » devient telle que je l'ai toujours imaginé, et je sais que Fée verra comme moi.

Laisse-moi te faire visiter.

Nous sommes seules, elle et moi, comme abandonnées au milieu d'une grande vallée qui surplombe la plage.
La maison est ancienne, froide et un peu humide.
Elle sent le passé. Celui d'autres. Et rien que ça, ça fait du bien.
De ne plus se sentir tout à fait soi à chaque inspiration.
Elle est meublée à l'ancienne.
Tout est en bois sombre.
Un buffet garde férocement un service de vaisselle à l'ancienne et poussiéreux.
J'aime passer des heures dans la cuisine à laver, essuyer, polir chaque assiette encore et encore. Je ne m'en lasse pas.
La salle d'eau n'est pas très moderne, sans être vétuste. Cependant, rien qui ne mérite qu'on s'y attarde.

Il y a deux chambres
Une chambre d'enfant, dans les tons jaune pâle, un petit lit exigu coincé entre deux murs, un vieux berceau en fer forgé, la peinture s'écaille. Elle sent le renfermé, et des taches d'humidité s'attaquent au plafond. Je n'aime pas beaucoup cette pièce, j'ai l'impression d'être dans une chambre funèbre. J'ignore pourquoi.

Parfois, il m'arrive d'y fumer, pour exorciser les fantômes qui y rodent, en ouvrant grand la fenêtre, debout contre le vent, gelée, transie. Très vite, la cigarette s'éteint, alors je ferme volets et fenêtre et je m'enfuis bien vite, claquant la porte derrière mon dos.

L'autre chambre est majestueuse.
Un lit à baldaquins y règne, il occupe presque tout l'espace, drapés de lourdes tentures en velours rouge encore doux malgré les ans, elles contrastent avec le vert du papier peint.
La fenêtre donne sur de vastes plaines herbeuses couchées par le vent.
Un vaste « dressing » occupe tout un mur, avec plus de place qu'il n'en faudrait pour ranger une garde-robe royale.
Les panneaux coulissants en bois clair, montés sur rails, offrent une touche de modernité surprenante à l'ensemble.

Mais ma pièce préférée reste la salle à manger.
Je ne sors d'ici qu'en cas de nécessité absolue, pour cause de tempête, tu comprends.
Alors, il faut bien que je passe mon temps quelque part.
Il n'y a pas de télévision, ici, c'est tout juste si l'électricité y est installée, en fait.
Ça ne me manque pas. Au contraire : ça gâcherait tout.

Je m'installe sur une de ces chaises standardisées en métal et pseudo cuir, à la fois simples et laides, modernes et indémodables, totalement incongrues et je m'assoie derrière cette table sans âge du même bois que le buffet (il est à côté) et je fume quelques cigarettes, je bois des litres de thé refroidis, je lis, je couvre des pages de mon écriture confuse et empressée et surtout, surtout, je me noie dans le décor.

Le salon dispose de la meilleure vue.
Un seul coup d'œil et on est happé : par la mer, belle et terrible, la pluie, le vent, et parfois les éclairs qui fendent l'air, c'est beau Machi, c'est beau, c'est inquiétant, c'est sombre et c'est fascinant.

Cette vieille bicoque craque, gémit, j'aime cette sonorité, la seule qui m'atteigne ici, avec celle des hurlements du vent et les cris des vagues qui se brisent contre les rochers et les falaises qui surplombes l'immensité liquide, c'est apaisant. Je me sens en sécurité.

Dehors, il fait froid, il pleut et moi je suis à l'abri, dedans.
Je crispe mes doigts sur une tasse brûlante.
Il fait bon, ici. C'est chaud... c'est confortable... on est bien... On s'abandonne.

Pour l'instant, je pousse le chauffage, un peu trop peut-être, mais je m'y sens bien. Douce langueur.
Lorsque Fée sera là, nous ferons du feu.

Ce que j'aime regarder la pluie strier les vitres en tirant sur mon filtre et en saturant l'air de nicotine.
J'aère peu : je déteste lutter pour clore les battants de la fenêtre.

Lorsque le temps s'y prête (Comprendre : lorsque j'estime que le vent est trop « faible » pour déraciner un arbre. Tu comprends, ici l'hiver, c'est tout le temps la tempête. Quel bonheur.), je sors par la porte de derrière, et je sors prendre l'air, faire une promenade, des courses...

Enfermée dans un vieil imperméable trop grand et des bottes de pluie dans lesquelles je nage, je fonce tête baissée sous les gouttes, s'efforçant de maintenir la capuche rivée sur ma tête.

Je m'enfonce dans la boue dans laquelle baignent de grandes herbes sauvages qui m'enserrèrent jusqu'aux chevilles.

L'air diffuse un parfum d'herbe fraîchement coupée et de terre humide et de nature et de liberté, et de liberté, et je me sens tellement bien, la plaine ne semble ne plus avoir de fin, j'ignore sur je marche dans la bonne direction et parfois je me perds, je ne vois pas le bout de cette vallée qui débouche sur un pauvre village de trois maisons, une église et deux échoppes encore ouvertes (les autres attendent le retour de l'été), mais je finis toujours par atteindre mon but, j'ignore si la promenade a duré dix minutes ou dix heures, et je rentre, fière. Heureuse.

Et lorsque Fée sera là, tout sera parfait.

 

 

J'ignore même si nous rentrerons.

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