Je donne un ultime –et inutile- coup de brosse dans mes cheveux.
Ça n'a pas été facile, j'y aurais passé des heures, devant la glace, mais là, c'est bon, j'en suis sûre : je suis jolie. Enfin, correcte. Passable.
Fée et moi avons sorti nos plus beaux atours, les tenues d'apparat (à croire que c'est nous qui allons monter sur scène), je porte confusément des vêtements qui m'appartiennent et des siens, je sais que pour elle, c'est pareil.
Un concert exige tout de même un minimum de toilette.
Et puis, si on ne peut pas se faire jolie pour ce genre d'occasions, quand le peut-on ?
Je vais mieux, cette étrange apathie, cette bile noire, a reflué hors de mes veines.
C'est peut-être la patinoire.
C'est peut-être les saltimbanques.
C'est peut-être que je n'écrivais plus.
Une enveloppe de la banque repose sur la table, j'en toucherai un mot à Fée.
Qu'importe : ce soir c'est fête.
N'empêche… ça m'inquiète.
Peut-être va-t-on retrouver là-bas par hasard des connaissances, un des saltimbanques l'affirme, le monde est petit, dit-on.
Nous saurons bientôt.
Fée me dit que je devrais trouver un travail, un petit boulot, puisque j'ai dû mal à écrire, puisque je m'étouffe, puisque je dilapide mon temps, je me dis que je devrais prendre un petit boulot, un travail, puisqu'il faut bien renflouer les caisses, puisqu'il faut bien régler les factures.
Bien sûr que j'ai abandonné mon poste de serveuse.
Vous l'ignoriez ?
Les cafés, j'aime y régler l'addition.
Trop envieuse du patron.
Et puis, je n'y étais pas libre.
L'uniforme ne me sied guère.
Fée témoignera.
Ce que je compte faire ?
Que voulez-vous que j'en sache ?
Nous ne vivons pas exactement une période économique où on peut se permettre de faire la fine bouche.
Mais ce n'est peut-être pas la peine de penser à ça maintenant…
Il y a urgence. Fée déambule, effervescente, d'un coin à l'autre de l'appartement, un peu de mascara en plus, et un nuage vaporeux de parfum, elle rajuste ses vêtements (pourtant très bien…), elle cherche… -quoi ?-, je crois, je sais que c'est plus un moyen d'évacuer son impatience, son excitation, qu'une quête véritablement utile et raisonnée.
Comment expliquer, sinon, qu'à moins de dix minutes du départ, elle éprouve le brusque besoin existentiel – paraît-il – de mettre la main ou simplement jeter un œil sur sa carte bancaire/nos barrettes fraise/les billets pour notre (lointain) voyage vers mon archipel natal/son papier d'inscription à la faculté/les verres à pieds qui prennent la poussière dans le placard/ses clefs (trois fois qu'elle vérifie qu'elles sont dans son sac)/les bracelets qu'elle avait acheté sur un coup de tête et depuis à jamais reclus au fond d'un tiroir/la télécommande de la télévision/l'état des cendriers…
Moi, je regarde l'ouragan depuis un de nos vieux fauteuils élimés et douillets, en fumant lentement.
Bien sûr que je pourrais donner le signal de départ, me lever, l'arracher à son adrénaline.
Mais nous attendons les saltimbanques, rendez-vous en bas de l'immeuble, ils ne devraient plus tarder à présent, tout chambouler à moins de cinq minutes de leur arrivée serait impoli, et les attendre en bas serait pire : Fée n'aurait de cesse que de faire des allers-retours (7 étages sans ascenseur) entre le palier et l'appartement vérifier mille détails futiles jusqu'à leur arrivée.
Je préfère penser sans bouger.
Cela fait longtemps que je n'ai pas écrit à Machi, je viens d'y songer. Que je n'ai plus de ses nouvelles.
Je me sens coupable… je sais ses problèmes avec… peu importe qui, elle les évoque souvent, sans avoir l'air de trop y toucher, elle les survole…
Penser à lui téléphoner.
Elle me manque, vous comprenez. Peu importe le nombre de kilomètres et de mers entre nous.
On sonne : ce doit être eux.
Ultime coup d'œil au miroir et je dévale déjà les escaliers.
Fée s'arrête en pleine course, comme figée, suspendue.
Elle fermera sur mes pas. Et à nous l'aventure.