Samedi 14 juillet 2007 à 15:19

Je donne un ultime –et inutile- coup de brosse dans mes cheveux.
Ça n'a pas été facile, j'y aurais passé des heures, devant la glace, mais là, c'est bon, j'en suis sûre : je suis jolie. Enfin, correcte. Passable.
Fée et moi avons sorti nos plus beaux atours, les tenues d'apparat (à croire que c'est nous qui allons monter sur scène), je porte confusément des vêtements qui m'appartiennent et des siens, je sais que pour elle, c'est pareil.
Un concert exige tout de même un minimum de toilette.
Et puis, si on ne peut pas se faire jolie pour ce genre d'occasions, quand le peut-on ?

Je vais mieux, cette étrange apathie, cette bile noire, a reflué hors de mes veines.

C'est peut-être la patinoire.
C'est peut-être les saltimbanques.
C'est peut-être que je n'écrivais plus.

Une enveloppe de la banque repose sur la table, j'en toucherai un mot à Fée.
Qu'importe : ce soir c'est fête.

N'empêche… ça m'inquiète.

Peut-être va-t-on retrouver là-bas par hasard des connaissances, un des saltimbanques l'affirme, le monde est petit, dit-on.
Nous saurons bientôt.

Fée me dit que je devrais trouver un travail, un petit boulot, puisque j'ai dû mal à écrire, puisque je m'étouffe, puisque je dilapide mon temps, je me dis que je devrais prendre un petit boulot, un travail, puisqu'il faut bien renflouer les caisses, puisqu'il faut bien régler les factures.

Bien sûr que j'ai abandonné mon poste de serveuse.
Vous l'ignoriez ?
Les cafés, j'aime y régler l'addition.
Trop envieuse du patron.
Et puis, je n'y étais pas libre.
L'uniforme ne me sied guère.

Fée témoignera.

Ce que je compte faire ?
Que voulez-vous que j'en sache ?
Nous ne vivons pas exactement une période économique où on peut se permettre de faire la fine bouche.

Mais ce n'est peut-être pas la peine de penser à ça maintenant…

Il y a urgence. Fée déambule, effervescente, d'un coin à l'autre de l'appartement, un peu de mascara en plus, et un nuage vaporeux de parfum, elle rajuste ses vêtements (pourtant très bien…), elle cherche… -quoi ?-, je crois, je sais que c'est plus un moyen d'évacuer son impatience, son excitation, qu'une quête véritablement utile et raisonnée.
Comment expliquer, sinon, qu'à moins de dix minutes du départ, elle éprouve le brusque besoin existentiel – paraît-il – de mettre la main ou simplement jeter un œil sur sa carte bancaire/nos barrettes fraise/les billets pour notre (lointain) voyage vers mon archipel natal/son papier d'inscription à la faculté/les verres à pieds qui prennent la poussière dans le placard/ses clefs (trois fois qu'elle vérifie qu'elles sont dans son sac)/les bracelets qu'elle avait acheté sur un coup de tête et depuis à jamais reclus au fond d'un tiroir/la télécommande de la télévision/l'état des cendriers…
Moi, je regarde l'ouragan depuis un de nos vieux fauteuils élimés et douillets, en fumant lentement.
Bien sûr que je pourrais donner le signal de départ, me lever, l'arracher à son adrénaline.
Mais nous attendons les saltimbanques, rendez-vous en bas de l'immeuble, ils ne devraient plus tarder à présent, tout chambouler à moins de cinq minutes de leur arrivée serait impoli, et les attendre en bas serait pire : Fée n'aurait de cesse que de faire des allers-retours (7 étages sans ascenseur) entre le palier et l'appartement vérifier mille détails futiles jusqu'à leur arrivée.
Je préfère penser sans bouger.

Cela fait longtemps que je n'ai pas écrit à Machi, je viens d'y songer. Que je n'ai plus de ses nouvelles.
Je me sens coupable… je sais ses problèmes avec… peu importe qui, elle les évoque souvent, sans avoir l'air de trop y toucher, elle les survole…
Penser à lui téléphoner.
Elle me manque, vous comprenez. Peu importe le nombre de kilomètres et de mers entre nous.

On sonne : ce doit être eux.
Ultime coup d'œil au miroir et je dévale déjà les escaliers.
Fée s'arrête en pleine course, comme figée, suspendue.
Elle fermera sur mes pas. Et à nous l'aventure.

Vendredi 13 juillet 2007 à 13:20

Fée sort sans cesse, entre ses cours et les saltimbanques, c'est à peine si je la croise, bien que nous vivions ensemble.
Moi, je ne sors plus : trop de travail.
Enfin… Il faut bien se trouver des excuses…
Ma plume griffe le papier, trois fois que je raye stupidement la même phrase.
Il faudrait vraiment que je trouve une occupation.
Je deviens un fantôme : je me couche tard, déjeune à peine éveillée, erre tout l'après-midi, d'une pièce à l'autre, cigarette sur cigarette, en me répétant comme en mantra qu'il serait fort souhaitable que j'écrive quelques mots, et quelques douze ou treize heures plus tard, lorsque le soleil a disparu depuis fort longtemps, lorsque j'ai achevé mon orgie, composée du contenu –sucré- du réfrigérateur et de programmes télévisés stupides à l'envi, alors je finis par pondre quelques lignes fades et truffées de fautes, que Fée se fera un plaisir de déchiffrer en petit-déjeunant (à une heure raisonnable, elle), et elle laissera un petit mot gentil, un petit mot d'encouragement, en post-it sur un coin de l'écran, en se disant que sa colocataire commence à perdre les pédales.

Incroyable : un message sur mon répondeur.
Personne ne m'appelle jamais…
Un saltimbanque : j'aime à croire que le timbre de sa voix est quelque peu anxieux. Quelque peu inquiet pour moi.
Laissez-moi au moins croire ça.
Il veut savoir si je peux les rejoindre.
Hélas… j'ai tant de gens à rejoindre et je n'ai envie de voir personne.
Ce qui me prends ?
Le spleen.
Je n'ai qu'un désir : me laisser aller à l'absurdité de mon existence enfermée et seule dans l'appartement 707. M'y ennuyer à mourir en refusant farouchement d'en sortir.

Je crois que je vais fumer une cigarette, et ça ira mieux.
Enfer : mon paquet crie famine, il n'y reste que quelques débris de tabac au fond.
C'était prévisible : des jours que je ne suis pas sortie en acheter, et avec Fée qui essaye d'arrêter…
Je voulais me désister auprès de mon rendez-vous du jour, mais puisque je sors de toute façon en quête de nicotine…
Puisque je vais devoir m'habiller et tenter de faire bonne figure, sous une coiffure bâclée et maquillée comme une voiture volée, puisqu'on me contraint à franchir le seuil de l'appartement, puisque je serais bien obligée de sentir l'air glacial gifler mon visage sans pouvoir fermer la fenêtre… je peux bien aller à cette… sortie patinoire (je déteste patiner, c'est onéreux, je suis presque à sec, j'ai envie de voir les saltimbanques, j'ai envie de Fée, mais qu'est-ce qui m'arrive, moi, qu'est-ce qui m'arrive ?).

Fumer. Tout de suite. Ne peux pas attendre.
Une demi cigarette dans le cendrier.
Je déteste voir Fée gâcher de la si bonne marchandise (arrêt ou pas), mais cette fois-ci je l'en remercie secrètement.
Je tente de rallumer le mégot. J'aspire une longue bouffée salvatrice. Je la recrache.
Infecte.

Et j'enfile quelques vêtements à la hâte, ils étaient jetés épars sur le sol de ma chambre, dépareillés, déjà portés, peut-être, le reflet du miroir me confirme que mon allure tient plus de la sorcière hirsute que de l'être humain normalement constitué, et à vrai dire, je crois que ça ne tient pas seulement à l'apparence.


Je serais en retard. Tant pis.

Vendredi 13 juillet 2007 à 12:18

Parfois je me dis que Fée ne m'aime plus.
J'ai tellement peur de lui déplaire.
Alors je tire sur ma cigarette.
D'ailleurs je ne devrais pas, c'est mauvais pour la cicatrisation.
Je n'ai pas la force de lutter.

J'ai rendez-vous avec un éditeur, cet après-midi. Un autre.
Mais ça m'est égal. Je le vois. Le roi des aulnes.
On doit se voir, pour le boulot, pour...
Peu importe. On doit se voir. On va se voir. Vraiment.
Lui. Moi. Contraints et forcés.
Et puis après...

Je ne quitte plus l'appartement. Depuis des jours, des semaines.
Fée me dit de sortir et puis...
Je n'écris même pas. Je vis ma vie par procuration.
Je regarde des couples se déchirer, bêtement. En boucle.
Je passe des heures au téléphone et j'écoute les autres parler. Et j'écoute le silence.
Je dois lasser mes pauvres correspondants.
C'est comme ça, c'est tout. J'en ai besoin.

Ne croyez pas que ça va mal.
Je suis d'humeur radieuse. Enfin, j'étais.
Je ne me sens pas vivante. Je suis en mode pause, c'est tout, et dès que je franchirais le seuil, un mystérieux marionnettiste appuiera sur le bouton play.
Je dois être abrutie par l'opération (bénigne qui est parvenue à me faire pleurer sans que je ne sente rien). Les médicaments. Le manque de sommeil, puisque je suis incapable de m'imposer de limites.
N'ayez pas peur. Ça va passer. Ça passe toujours. Je tourne en rond, c'est tout.
Et je n'ai même pas la motivation de descendre au rez-de-chaussée.
Pour l'instant.
Un jour, bientôt...

J'arrête ici parce que je n'ai plus rien à dire.
Depuis le début je n'avais rien à dire.
Donner des nouvelles, on dit.
Alors...

Vendredi 13 juillet 2007 à 0:22


L'appartement est vide, Fée est à la faculté, l'autre ne vient pas, il ne viendra plus, les saltimbanques vont répandre leur gaieté dans la ville voisine et je suis seule.
Quand à la fille du banc, comment savoir ? Peut-on seulement saisir son visage, son image ?
Enfin, je suis seule. Terriblement seule.


Pour changer, je fais jaillir une étincelle de mon briquet, j'allume une cigarette, et, le cendrier tenu stupidement de ma main libre, je déambule dans les pièces vides en me donnant des irs fiers de propriétaire.
Comme s'il y avait tant à visiter.
Comme s'il y avait quelque chose à montrer.
Quelqu'un à qui le montrer.

Ces chambres vides et silencieuses ont un goût de mort.
J'augmente le volume de la chaîne hi-fi pour mieux noyer la pesanteur de l'air.

La solitude est toujours comme un hérisson soyeux.

Une fois que le moindre placard de l'appartement est copieusement enfumé par mes soins, j'investis la cuisine, la machine à café crachote quelques bulles d'une mousse blanche et onctueuse, je fais réchauffer un fond de crème dans une casserole trop vaste : j'adore.

J'aime prendre mon temps.

Je déballe mon service à thé, en porcelaine s'il vous plaît, pièce par pièce, au grand complet, j'en rangerais la moitié sans y avoir touché, et laverais l'autre en maugréant de ce recours agaçant à tout ce qui est inutile pour boire une simple tasse de caféine liquide, les mains pleines de mousse (de liquide vaisselle, cette fois).
En dépit du lave-vaisselle.
Tant pis.

Je ne sais pas si je dois être triste ou non, mon café refroidit dans sa tasse, je vais encore oublier de le boire, froid c'est infect. Tant pis.
Personne ne sait, personne ne doit savoir, ils sauront tout, puisqu'il ne vient plus, ils sauront tous.

Je m'installe derrière l'écran scintillant, les mots coulent de mes doigts, j'ai la peau qui pleure et un sourire rivé entre les lèvres.
L'habitude.

Mais ne vous inquiétez pas.
Ce n'est pas comme si c'était triste.
Ce n'est pas comme si c'était grave.
Ce n'est pas comme si c'était Fée.

Je repose la tasse, elle est vide, voilà longtemps que ma cigarette est morte, que le temps passe vite, j'allume une ultime cigarette, encore, mon portable vibre : pensée de Fée, et quelque part, au loin, dans l'univers immatériel des syphildes et autres ondines, elle reçoit un message d'amour, j'aimerais éteindre ma cigarette, j'étouffe, je tousse, j'ai la tête qui tourne, je ne suis pas triste j'ai juste un gouffre au coeur, je devrais aérer, l'atmosphère est vraiment trop oppressante. N'est-ce pas.
J'inspire une bouffée d'air sale à la fenêtre.
Ça va aller. Ça va toujours.

Pour changer, je range méticuleusement mon service à thé, le lave précautionneusement, avec l'amour que je n'ai plus le droit de vomir, chaque ustensile et je m'échappe dehors, imaginez que ma cigarette persiste dans son incandescence, j'achève la dernière bouffée et je l'écrase sur le trottoir. Rageusement.

je me traîne entre les rues, je piétine l'asphalte, je me nourris de vent et je me dis que je suis à ce point immatérielle qu'il pourrait disperser mes molécules sur la place publique.
Et puis non.

Mes pas me portent devant l'université de Fée, encore quelques heures à l'attendre.

Jeudi 12 juillet 2007 à 23:12

J'allume une cigarette et je me poste à la fenêtre.
Là-bas, le ballet incessant des véhicules de tous ces gens qui croient encore que la vie a un sens.
Un nuage gris traverse mon champ de vision.
A-t-on jamais vu plus beau que de la fumée ?

On sonne.
Dois-je vraiment répondre ?
Je suis lasse de toutes ces visites, de tous ces... amis...
Ne comprennent-ils pas que la seule dont j'ai besoin partage mon appartement ?

On insiste. Deux coups brefs, un long. C'est elle.
J'écrase ma cigarette.
Elle a dû oublier ses clefs. Comme toujours.
J'aime bien lui ouvrir.
Comme ça, je peux la serrer dans mes bras plus tôt.
Et elle le sait.
Pourquoi croyez-vous qu'elle égare ses clefs ?

Elle a les cheveux ébouriffés, ses joues sont fraîches.
C'est bon de la voir.

Elle sort du frigidaire la bouteille de lait du frigidaire et en remplit son verre préféré, celui où elle a peint des fraises, un jour d'ennui.
Je m'installe sur notre vieux canapé élimé et contemple le grand poster de la mer du Japon qui trône face à moi, au dessus de notre grande télévision (Une folie, pour fêter l'acquisition d'une table qui nous plaise à toute les deux. Futile. Je sais.), j'attends qu'elle me raconte sa journée en sirotant à petites gorgées mon café trop chaud et trop noir. J'adore.

Elle revient d'une manifestation pour la cause des dauphins emprisonnés dans trois mètres cube d'eau chlorée, pour satisfaire les rêves imbéciles de quelques touristes fortunés qui veulent nager avec les cétacés.
Elle est scandalisée, comme toujours, et me demande où j'ai rangé mon ordinateur portable : elle a une lettre à écrire, pour exiger auprès de je-ne-sais-quel président la libération de prisonniers politiques, ou quelque chose comme ça, elle me demande aussi si j'ai des nouvelles de mon éditeur, et si mon manuscrit avance, et si elle peut le lire s'il te plaît.
Comme si j'étais capable de lui refuser quelque chose.
Elle me demande si je vais travailler au café, demain. Comme si elle l'ignorait.
Mais je sais qu'elle espère qu'on pourra passer la journée ensemble, demain. Quand même. Même si elle sait que ce n'est pas possible.
Je lui répond que j'ai envie d'ouvrir un café, ici, à l'appartement, que ce serait le rêve, ou même déménager, racheter l'appartement d'en dessus et d'en faire un bar, ou même un cyber-café, un café-philo, un café-bibliothèque, que sais-je, ça serait parfait, hein, Fée, ça serait parfait.
Un café privé, connu de quelques initiés, des érudits, l'élite, personne de vulgaire, des jeunes engagés, débordants d'idées, des ados prêts à débattre pendant des heures, des savants, des auteurs, des professeurs de français, on aurait le droit d'y fumer, rien d'officiel, juste du bouche-à-oreille, une société secrète, un salon des temps moderne, le café de Flore entre nos quatre murs.
Et elle soupire avec béatitude, comme si c'était la première fois que je lui en parlais.

Elle babille encore un peu, tout en s'agitant, en ouvrant et fermant les placards sans rien toucher, décalant parfois un ou deux objets de quelques millimètres, s'interrompant parfois au milieu d'une phrase pour boire une gorgée de lait, elle s'arrête enfin, j'entends le déclic d'un briquet, et elle repart, la tornade s'immobilise à côté de moi dans le canapé, et étendue, abandonnée, calme enfin, elle porte le filtre à ses lèvres, tire une longue bouffée, et dit « C'est bientôt qu'on va la voir, la mer, hein. » et j'approuve, les billets sont sur le bureau, elle voulait les encadrer, je lui ai dit que ce ne serait pas très pratique à l'aéroport et elle a éclaté de rire.
« Il arrive bientôt. »
Comme si elle avait besoin de me le rappeler.
Je vais ouvrir la porte, il entrera bien s'il veut, qu'ils entrent tous, moi tout va bien, une porte s'ouvre, la petite des voisin court me serrer dans ses petits bras, je la garde souvent, elle est tellement mignonne, sa mère me salue d'un sourire et les portes de l'ascenseur se referme sur elles, j'allume une cigarette, je m'installe à côté de Fée, torpeur, et on reste là quelques instants, assises l'une à côté de l'autre, sans un mot, tirant à tour de rôle sur nos filtres respectifs, puis soudain elle achève la sienne, la pose machinalement dans le cendrier, sans rien dire, sans l'écraser, elle oublie souvent, elle met un CD, bientôt les premières notes de Sleeping with ghosts retentissent, elle sait que c'est la chanson dont nous avions besoin, on savoure les décibels, il entre, « salut les filles », il a un sac du traiteur asiatique du coin de la rue et dans l'autre main un carton à pâtisserie, je suis sûre qu'il a oublié que Fée, n'aime pas manger chinois.
On se débrouillera.

Ni Fée ni moi ne nous levons pour l'accueillir, tant pis, il a l'habitude, il se glisse entre l'accoudoir et moi, me prend dans ses bras et me saupoudre le cou de baisers, il sait que je déteste ce genre de déballage en public, ça ne l'a jamais gêné. On fait avec.

Encore un après-midi à refaire le monde.
Je lui souffle ma fumée dans la figure.
Il déteste.
Tant pis.

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